Ce sont les jeunes qui sont concernés par la réforme des retraites ? qui aurait pu le prédire
Faudrait peut-être dire aux jeunes qu’ils vont passer leur vie à payer la retraite de ceux qui ont choisi de faire trimer les jeunes au travail jusqu’à la fin de leur vie en bonne santé.
Faudrait peut-être dire aux jeunes qu’ils vont passer leur vie à payer la retraite de ceux qui ont choisi de leur laisser une planète en défaillance totale, en instabilité complète, où toutes les limites physiques sont franchies, à 4 degré de réchauffement, où il n’y a plus d’eau l’été et plus de chauffage l’hiver.
Faudrait peut-être dire aux jeunes qu’ils vivent la conséquence d’une grandeur française faite par les conquêtes sociales : vivre plus longtemps car on travaillait moins longtemps.
Faudrait peut-être dire aux jeunes que quand les journalistes commencent à argumenter plutôt que poser des questions, c’est qu’il ne faut plus attendre du système qu’il veuille se changer.
Faudrait peut-être dire aux jeunes que quand on engraisse quelques individus à milliards en même temps qu’on tire sur la corde sur l’ensemble d’un peuple, c’est qu’on a plus peur de quelques milliardaires que de dizaines de millions de pauvres.
Faudrait peut-être dire aux jeunes que c’est nous la matière première de cette mécanique perpétuelle et infernale. Les bulles financières ont besoin d’aller dans un sens, les politiques sont les engrenages qui les y conduisent, les journalistes graissent le tout. Les lobbys s’assurent du process de fabrication, les écoles fournissent les intérimaires.
Faudrait peut-être dire aux jeunes que sans matière première, plus rien ne sort. Ça tourne à vide.
C’est quoi le process ?
Entre une valeur à la hausse, un produit à la baisse, on côte des vieux sur des places boursières. On revend du kit. On troque un média spécialiste en communication ciblée sur renoncement aux acquis sociaux ; contre une tour de bureaux dans un ciel moins chargé en impositions. Entre deux tableurs, on fouille dans un peuple en mode listing, on regarde en bas à droite le montant envisagé, l’objectif, qu’on veut réduire, aller, de 3%. On prend une tranche, admettons les nés après 66. Félicitations, vous venez d’être consacré en variable d’ajustement. On ajuste avec vous. Si faut mettre votre paramètre à zéro on le fera, c’est pour une cause plus grande que vous.
Pour détruire la santé, on vous dira que reléguer la santé aux puissances financières serait de la folie. Et on détruit la santé.
Pour détruire l’école, on vous dit que l’on va refonder l’éducation et libérer les énergies. Et on détruit l’école.
Pour détruire les transports, on vous dit qu’on va investir massivement dans un plan d’envergure. Et on détruit les transports.
Pour détruire les retraites, on vous dit qu’on veut sauver le système des retraites. Et on détruit les retraites.
Parfois, prenez quelques raccourcis. Un observatoire sur la pauvreté vous alerte que la pauvreté explose ? explosez l’observatoire, un thermomètre se supprime plus facilement que la chaleur. Quelqu’un vous dit qu’il a chaud ? détruisez les thermomètres, dites-lui qu’en température ressentie c’est pas si mal que ça, entre temps prenez soin d’avoir créé un ou deux instituts d’étude en température ressentie pour pouvoir expliquer aux gens quelle température ils ressentent.
Votre ministre de la justice est mis en examen ? au nom de la présomption d’innocence, accusez ceux qui vous accusent d’indécence.
Votre assemblée parlementaire vous fait l’affront de vouloir parlementer en assemblée ? invoquez le droit à ne pas la consulter par prudence du débat et par amour de la démocratie.
L’extrême-droite a l’œil qui brille lorsqu’elle vous regarde ? elle ne vous envie pas, elle vous admire. Affirmez que votre unique raison est de la combattre.
Pour rabattre un électorat de la droite vers le centre en un pliage rapide, prenez une figure frappée d’indignité nationale pour collaboration à l’extermination des juifs. Dites qu’elle fut un grand soldat et accusez d’antisémitisme tout ceux qui vous critiquent.
Une communauté scientifique unanime parle d’un bouleversement climatique depuis 50 ans ? parlez météo et demandez qui aurait pu voir venir des sécheresses et des inondations.
La ressource en eau se raréfie ? décrétez qu’elle est la source de notre vie et montez un projet pour la privatiser.
L’énergie est au même prix pour tout le monde sans discrimination géographique et sans spéculation ? demandez à votre réseau de vendre à perte à un mille-feuille de sous-traitants privés et mettez-donc ça en concurrence.
L’énergie demande des investissements massifs ? complexe celui-ci : investissez au maximum au début, construisez tout, dites que c’est trop cher à entretenir et vendez le un euros symbolique à vos amis financiers pour qu’ils en exploitent les bénéfices. Mais donnant-donnant, ils devront vous le rendre quand c’est en ruine pour que vous l’ajoutiez à vos dettes.
Les dividendes représentent depuis votre mandat 4 fois plus dans le PIB, soit un tiers de la valeur, vous franchissez les records de bénéfices plusieurs fois par an, vos premiers de cordée remportent plus de richesse en 3 mois qu’en deux ans habituellement. Mince, ça s’accélère, ça peut commencer à se voir mais pas d’inquiétude. Dites que vous n’augmenterez pas les impôts. Faut aller plus loin. Allez, dites même que vous allez les baisser. Supprimez l’ISF par exemple. Supprimez aussi la taxe sur la valeur ajoutée au passage.
Période de crise, plus de quoi manger ni se déplacer pour les gens, alors que vos meilleurs industries les plus polluantes et les plus prolifiques font les plus grands records de leur histoire ? Je vois. Dites que vous ne savez pas ce qu’est un super profit.
Allez, systématisons, avant, vous saviez tout. Maintenant, nous ne savez plus rien. Violences policières, connais pas. Super profit, connais pas. Méga bateaux de milliardaire russe pro-poutine dans nos ports ? connais pas. Rapport du GIEC ? connais pas.
Victor Hugo, connais pas. Jean Jaurès, connais pas. L’Abbé Pierre, connais pas. Ah, attendez, exception. Si, parlez de gauche, c’est la parole qui compte. Rappelez-vous. Comme ça on a arrêté les gilets jaunes, on a résigné les soignants, on a même une convention citoyenne à la poubelle. Non pardon, « on l’a repris sans filtre. »
Si ça discute encore, créez une parole partout et tout le temps. Par exemple, faites vous filmez, allez dans des lieux où vous choisissez les participants. Choisissez les questions. Choisissez l’ordre. Choisissez la durée. Choisissez une chemise que vous pouvez retrousser et répondez à des questions qu’on ne vous a pas posé pendant des heures. Prenez tous les comptes rendus, jetez-les à la poubelle mais créez un mille-feuille administratif pour que cette poubelle soit plus dur à retrouver qu’une once d’humanité chez Gérald Darmanin. Appelez tout ça « grand débat ».
Vous avez supprimé le rôle consultatif du Conseil National de la Résistance et montré par votre politique que vous déconstruiriez tous les acquis de ce repère à gauchiste historique ? Je vois, il y en a encore pour qui les retraites, la sécurité sociale, la résistance, ça comptait. Bon, prenez notre dernière technique et adaptez là un peu. On crée une réunion pour se serrer les coudes au niveau national, réservez-là à nos amis, dites que c’est ouvert à tous. (Pensez aux journalistes qui pourront accuser ceux qui n’y participent pas). Gardez l’idée de la consultation, mais le mot est une contraction de « con » et d’ « insulter », alors revenez à l’origine, prenez « conseil ». Maintenant, rappelez-vous de vos cours, prenez un mot valise, mais un beau, un où on peut rentrer du grandiloquent, du classe, et du positif. Refondation, c’est pas mal. Appelez ça le Conseil National de la Refondation. Regardez, ça fait CNR, vous avez remplacé résistance par la refondation, le langage est à vous.
Mais alors, les retraites ?
C’est quand même pas compliqué. Vous prenez une conséquence, vous dites que c’est la cause : On vit plus longtemps, donc il faut travailler plus longtemps.
Vous utilisez le relativisme, quand on nous dit que la France pollue, on la compare à la Chine, et le tour est joué. Faites pareil. L’âge de départ à la retraite ? mais enfin regardez ailleurs ! (bossez-bien les « ailleurs », faut que les journalistes et vos communicants aient les mêmes). Ailleurs c’est pire, alors pourquoi l’opposition serait plus intelligente que le reste du monde voyons ?
Là, déjà, vous en avez convaincu pas mal. Trop facile vous me direz, mais ho, c’est un travail de tout les jours, Rome ne s’est pas fait en un jour, regardez tout le travail accompli jusqu’à aujourd’hui.
Le système des retraites par répartition, les gens l’aiment. Alors pour le détruire, qu’est-ce que l’on va prétendre ?
Bien ! ça commence à rentrer, vous apprenez vite : Pour détruire le système des retraites par répartition, vous allez devoir le sauver. Trompez-vous pas, ce qu’il faut annoncer c’est :
Nous réformons le système des retraites pour le sauver.
Cette réforme injuste est menée pour un besoin de justice.
Les conséquences inégalitaires sont produites pour un besoin d’égalité.
Le système aujourd’hui bénéficiaire a besoin d’être réformé d’urgence pour sauver son déficit.
C’est parce que nous sommes attachés à un système que le monde entier nous envie que nous voulons devenir comme le monde entier en renonçant à ce système.
Au passage, vous aviez supprimé les critères de pénibilité pour la retraite. Bien vu, ça va vous permettre d’annoncer que vous allez créer des critères de pénibilité.
Normalement, vous aurez enjambé ceux qui vous disent qu’à 55 ans on est 50% à être soit au chômage, soit en arrêt maladie. Qu’à 65 ans 40% des plus pauvres sont déjà morts. Qu’après 50 ans une immense partie des ouvriers les plus précaires tombent dans les allocations sociales. Gardez-vous tout ça sous le coude. Quand tout le monde sera au chômage, en arrêt maladie, il sera temps de se tourner vers une réforme de ces systèmes afin de, eux aussi, les sauver du déficit en les supprimant.
Il vous faudra convaincre tout le monde, tout ceux qui ont un cerveau branché sur un écran de silice. Mais surtout les moins jeunes. Les jeunes, ne leur parlez pas trop. Laissez-les résigner. A la limite, gardez juste cet affrontement avec les plus âgés. Mais pas au point de les faire réfléchir, ils vont quand même passer une vie à payer la retraite de ceux qui ont voulu supprimer la leur, la retraite de ceux qui ont conduit vite des grosses voitures lourdes pour des grosses industries pouvant surfer sur de la neige pas encore fondu dans des mers pas encore montées en mangeant des poissons pas encore en plastique péchés pas encore en laboratoire en écoutant des oiseaux pas encore disparus au bord de lacs pas encore secs avec des gens pas encore masqués qui profitent de leur familles pas encore mortes du réchauffement climatique.
Vos efforts payent. Les vieux s’inquiètent de la réforme des retraites. Les jeunes tentent à se résigner. A longueur d’onde, on parle de vieux âges entre vieilles personnes du monde d’après.
Soyez patient, quand ce langage sera assimilé à 100%, vous pourrez rêver à des réformes ambitieuses, enfin. L’hôpital est l’endroit où les gens meurent le plus ? Vous voyez bien qu’il ne faut plus que les gens aillent s’y faire soigner.
Car scier la branche sur laquelle on est assis, c’est bien. Mais raser une forêt pour y construire dessus un magasin de prospectus « sauvons la forêt », c’est mieux.
11/01/2023 10h/11h