On entend assez souvent : « mais tu rêves, là ! » ou bien : « faut pas rêver ! », comme si le fait d’avoir des rêves et de rêver était en soi condamnable, comme le fait de désirer autre chose, d’avoir d’autres aspirations que la prosaïque vie quotidienne contrevenait aux règles de la morale et de la bienséance.
Je ne vais pas parler ici de rêves d’avoir un nouvel aspirateur ou un nouveau frigo, ni de ces songes, indéfiniment répétés en boucle dans un processus pathologique et addictif, et qui vous coupent progressivement de toute réalité.
Non, je parlerai ici des rêves comme moteur de vie, de ces rêves qui vous rattachent et vous font espérer à ce qu’il y a de plus humain dans l’homme, même au milieu de la plus noire des détresses.
On sait l’importance, par exemple pour des enfants maltraités par la vie, d’avoir pu garder intact en eux la force de rêver, que ce soit par la littérature, le cinéma (comme François Truffaut) ou bien par la simple magie d’une rencontre avec un autre être humain à un moment opportun.
Les rêves dont je voudrais vous entretenir n’esquivent pas les grands maux de la vie, bien au contraire, en leur donnant une forme et une représentation en mots et/ ou en images, ils contribuent à nous les rendre sous forme assimilable par notre psychisme, ils rendent possible, en nourrissant notre imaginaire et en nous fournissant des moyens de penser notre situation, de survivre aux coups du sort ou au mal-être qui nous accablent.
Ainsi, deux superbes films nous font superbement rêver, tout en n’esquivant pas la problématique du deuil et de la perte. Tous, enfants et adultes, peuvent les regarder avec profit, car ce n’est pas par ce que l’on est devenu « grand » qu’il ne nous est plus permis de rêver et d’espérer.
Le secret de Therabitia http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=118164.html
et Le bonhomme de neige https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Bonhomme_de_neige
sont deux films qui traitent à fois de notre capacité à rêver et à s’émerveiller, à la capacité qu’ont souvent les enfants, mais aussi certains adultes, de se créer un monde parallèle, qui, le moment venu leur donnera la capacité de survivre et de résister aux coups du sort.
Ainsi, pour Jess, la rencontre avec Leslie, dans Le secret de Therabitia, lui ouvre des portes pour lui jusque – là inconnues ou méconnues, la puissance de l’imaginaire, la découverte de l’art (par la visite au musée). Avec Leslie et le monde merveilleux de Therabitia qu’ils se créent, ils nouent des liens et une forte amitié qui contrastent avec le peu de cas dont les adultes font d’eux. Ce monde enchanté est le leur, il provient d’eux, de leurs désirs et de leurs souhaits secrets. Avec Therabitia, leurs rêves prennent forment, une vie psychique réelle prend sens et consistance.
Et lorsque Leslie disparaît, Jess, passé le premier moment de désespoir, décide de reprendre pour lui et en mémoire de Leslie ce monde enchanté. Rêver peut aider à vivre et à survivre, et créer, ne serait- ce qu’en imagination, peut permettre de résister aux aléas de la vie, comme le deuil ou la perte, car cela permet de donner une forme et une issue à son chagrin et à sa douleur.
De même, le petit garçon du Bonhomme de neige, après sa rencontre avec le bonhomme de neige et son voyage dans les airs, se trouve face à la perte de son bonhomme de neige qui a fondu au soleil du matin. Mais dans sa poche se trouve l’écharpe offerte par le Père Noël, lors de ce voyage avec le bonhomme. Alors, que faut-il croire, que ce voyage et cette rencontre ont été réels, même si le bonhomme de neige a fondu ?
C’est tout le mérite de ces deux œuvres, et d’autres du même genre de ne pas trancher entre ce qui relève du rêve et de la réalité, de ne pas condamner l’un au profit de l’autre.
Je crois fondamentalement que tous, enfants comme adultes, et quel que soit notre âge, notre condition sociale ou physique, nous avons besoin de rêver, que ce soit par soi-même ou en s’aidant des constructions imaginaires des autres. Je pense qu’il n’y a pas, fondamentalement, d’œuvres pour les enfants ou d’œuvres pour les adultes. Bien sûr, il y a des œuvres qu’on ne peut aborder qu’à partir d’un certain âge, mais interdire à un enfant ou un adolescent, par exemple, de lire des ouvrages pour adultes, s’il en a les capacités intellectuelles et émotionnelles, est un non-sens. Egalement, s’interdire de regarder de dessins animés ou des bandes dessinées quand on est un adulte, ou décréter que cela ne doit pas se faire, sous peine d’être taxé d’infantilisme ou de peu d’intelligence, est faire preuve d’une grande rigidité morale et de bien peu d’ouverture d’esprit.
Le rêve appartient à tous, petits comme grands, et bien compris, il peut apporter ces bienfaits à tout âge et à tous moments de la vie.