Face aux événements récents, on peut se poser une question, quand on est artiste et écrivain : peut-on, doit-on continuer à écrire et à créer après la terreur et le choc qu’on créé ces attentats ? Est-ce que l’horreur et la consternation qu’on soulevé ces attentats ne rendent-elles pas vaines et futiles nos tentatives de création, doit-on s’interdire de créer à face ces centaines de morts et de blessés ?
Je ne le pense pas et j’ai écrit dans un précédent billet comment la photographie de paysage pouvait permettre de surmonter un traumatisme, pouvait arrêter l’exil et l’errance[1]. A présent, je souhaiterais réfléchir à la façon dont l’écrit peut permettre de surmonter la terreur et de dire l’indicible.
On sait, depuis les récits des déportés, qu’il s’agisse de Primo Lévi, de Charlotte Delbo ou de Jorge Semprun par exemple, combien est difficile et pourtant nécessaire la mise en récit des traumatismes qu’il soit individuels ou collectifs. Plus près de nous, Eva Thomas, dans les livres qu’elle a écrit sur l’inceste et le combat qu’elle mène ou bien Janine Altounian, revenant sur le génocide arménien, transmis par son histoire familiale, nous montre l’importance de la transmission et de la symbolisation du ce qui fait trou et béance en nous, de ce vide et de cet appel du néant que l’on peut sentir en nous, que le traumatisme nous ait été transmis ( je pense ici au clinique du transgénérationnel et à tout ce qui est sorti des travaux de Nicolas Abraham et de Maria Torok) ou bien que l’on ait été victime soi- même.
Aussi, je pense que face aux tragiques événements qui ont frappé si durement une partie de nos concitoyens, il devient urgent de ne pas se taire, mais de parler, d’écrire et de symboliser ce qui fait choc et irruption violente en nous. Je dis en parler et écrire pour symboliser, c’est-à-dire prendre du temps pour respirer, du temps pour se poser, du temps pour réfléchir et prendre du recul, mettre en mots ce qui fait souffrance et douleur en nous. Il s’agit de dépasser le mur de la sidération, l’au-delà du langage et des mots, l’au-delà de la représentation auquel certains d’entre nous ont pu être confrontés.
Alors, oui, plus que jamais, créons, écrivons, inventons les mots pour dire la terreur, inventons les mots pour aller au-delà de la terreur, créons les mots, les images, les musiques pour réenchanter le monde, pour rêver le monde. Ce monde a besoin de rêves et de rêveurs, un grand, un immense besoin, alors tâchons tous, à notre mesure et avec nos moyens, d’être ces lumières qui permettront d’aller sortir de la terreur et du néant ceux qui, malgré eux, restent sous cette emprise. Ce n’est, à l’échelle individuelle , qu’un travail de colibri, mais, si chacun y contribue, cela peut devenir un vrai travail du rêve à l’échelle nationale, voire mondiale.
[1] http://imagesetimageurs.com/2015/11/11/photographie-et-appartenance/