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Billet de blog 27 mars 2018

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Apprendre à voir, esquisse d'une généalogie picturale

Dans ce texte, je m’intéresserais non à mes influences en matière de peinture, mais à mes débuts en en tant que peintre.

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Illustration 1
une cascade à Yzeron au printemps © Lucile Longre

«  Je détiens l’Unique Trait de Pinceau, et c’est pourquoi je puis embrasser le fond du paysage ; les monts et les fleuves prennent forme par mes tracés. »

«  Il y a cinquante ans, il n’y avait pas encore eu co-naissance de mon Moi avec les Monts et Fleuves, non pas qu’ils eussent été valeurs négligeables, mais je les laissais seulement exister par eux- mêmes. Mais maintenant les Monts et Fleuves me chargent de parler pour eux ; ils sont nés en moi, et moi en eux. J’ai cherché sans trêve des cimes extraordinaires, j’en ai fait des croquis, monts et fleuves se sont rencontrés avec mon esprit, et leur empreinte s’y est métamorphosée, en sorte que, finalement ils se ramènent à moi, Dadi. »

Shitao, Les propos sur la peinture du moine Citrouille –Amère, traduit et annoté par Pierre Ryckmans, Plon, 2007, p. 76.

Dans ce texte, je m’intéresserais non à mes influences en matière de peinture, mais à mes débuts en en tant que peintre.

Je n’ai aucune éducation artistique à l’école, à peine 5h de cours de peinture en 5ème, c’est tout. Tout ce que je sais sur ce domaine, j’ai dû l’apprendre par moi-même ou d’autres personnes, en dehors du système scolaire. 

Vers l’âge  de 25 ans, j’ai ressenti très fort l’envie de peindre, mais je n’y connaissais rien et n’avais guère de matériel, néanmoins ce fût mes débuts en ce domaine.

A l’âge de 28 ans, en pleine dépression, le psychologue que je voyais alors m’a demandé ce qui me ferait plaisir et je me suis entendue lui dire, à ma grande surprise, peindre. Je mis dès lors en quête de matériel et commençais réellement à peindre, chose que je n’ai plus arrêté depuis lors.

A l’été suivant, je me suis offert deux stages de peintures, qui formèrent la base de tout ce que je connais en peinture aujourd’hui. J’appris alors les bases de la technique picturale et surtout appris à voir et à regarder le monde à l’alentour, apprentissage qui me fût très utile quand je me lançais dans la photographie.

Si le stage d’acrylique m’apporta les bases pour comprendre l’acrylique, ce fût surtout lors du stage d’aquarelle que j’appris à voir ce qui était autour de moi et à rendre compte.

Une journée surtout fut comme un roman d’apprentissage, au cours de laquelle je compris ce qu’était vraiment l’aquarelle et comment voir le monde extérieur.

Cette journée, dans une campagne des environs de Vichy, en Auvergne, début août, sous un temps splendide, fût comme une espèce de parenthèse enchantée dans ma vie, et dont je me souviens toujours avec beaucoup d’émotion.

Le début de la journée fut consacrée à observer de grands champs en attente d’être moissonnés, à voir comment ils  se comportaient et ondulaient sous la lumière radieuse de ce début d’août, à saisir toutes les nuances des blés d’or ainsi que celle du ciel. C’était comme si je posais mes pas dans ceux de grands ancêtres, ceux de ma famille d’abord, mon grand-père, Henri Marillier, excellent peintre du dimanche, dont l’enseignement a su former mon œil dès le plus jeune âge. Ceux de l’histoire de la peinture ensuite, les champs de Monnet, Van Gogh, Constable ou Ruysdael, notamment. J’eu alors vraiment l’impression de me rattacher à une généalogie invisible, à une confrérie secrète, ceux qui savent regarder et se laisser imprégner par ce qu’ils voient et tentent d’en rendre compte. Je prenais place dans la société occulte de ceux pour qui l’œil est une fête, ceux qui savent voir au-delà du visible, dans la  part secrète et magique des choses.

La matinée se poursuivit par la descente dans le creux d’un vallon, frais et ombreux, au fond duquel chantait une rivière. Et c’est là, près de cette rivière, que je compris ce qu’était l’aquarelle et ce qu’était vraiment regarder le monde en tant que peintre et artiste visuel.

Ce vallon était comme celui des contes de fée, celui qu’on imagine d’après des tableaux impressionnistes rendant compte de semblables paysages, une digne vision de paradis pour peintres, du moins à mes yeux de novice

Dans cette journée où le soleil irradiait de tout son soûl, les frondaisons du sous-bois formaient une ombre fraîche et accueillante, semées çà et là de tâches de lumière. Les feuilles frémissaient à la légère brise qui soufflait de temps en temps, apportant un air frais bienvenu. Les branches et des morceaux de ciel et de soleil se reflétaient sur le cours d’eau qui miroitait sur fond de galets luisants. Tout ce paysage baignait dans une lumière de clair-obscur qui aurait fait le bonheur de Rembrand ou de La Tour.

Et là, dans ce lieu enchanteur, je compris enfin ce qu’était l’aquarelle et ce qu’était que regarder, vraiment regarder un paysage pour en rendre compte. Le maître de stage sut m’apprendre à observer, à me laisser imprégner de ce que je voyais, afin que lui et moi ne fassions plus qu’un, et que la main fut alors l’interprète fidèle de ce mariage du paysage et de moi- même.

Ce fut alors comme si une dimension supplémentaire du monde s’ouvrait à moi, une dimension magique, secrète et cachée, et qui rendait la vie en ce monde du réel plus facile et plus légère. Je connaissais désormais la porte du pays  des songes et de la féerie, la porte d’un lieu qu’il ne tenait qu’à moi d’ouvrir et de fermer, autant de fois que je le voulais.

Et désormais, tel Prométhée dérobant le feu pour l’offrir aux hommes, je n’eus de cesse de rendre compte, par la peinture ou la photographie de cette part enchantée du monde, dont je connaissais à présent les clés.

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