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Billet de blog 9 juin 2024

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« Surmonter le pessimisme ambiant et penser l'action commune » : à Éric Hazan

Éric Hazan n'aimait pas ce qu'il nommait un « communisme de caserne ». Son communisme à lui était libertaire. « Hacer por nostros mismos », disait-il en citant les zapatistes du Chiapas. Il était attentif à l’ « avènement d’obscurs » : des inconnus dans des comités, mandatés par le peuple révolté. Ces commencements, ces vies, femmes et hommes qui se lancent dans l'engagement. En hommage, quelques mots sur deux livres importants signés d'Éric Hazan, disparu le 6 juin. 

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« J'ai cherché à repérer dans l'histoire des révolutions passées et récentes ce qui peut nous servir aujourd'hui et demain à surmonter le pessimisme ambiant et à penser l'action commune. »

En hommage, quelques mots sur deux livres importants signés d'Éric Hazan, disparu le 6 juin : Premières mesures révolutionnaires et La dynamique de la révolte (2015), éditions La Fabrique.

En admiration, gratitude, affection. 

Illustration 1

Éric Hazan n'aimait pas ce qu'il nommait un « communisme de caserne ». Son communisme à lui était libertaire. « Hacer por nostros mismos », disait-il en citant les zapatistes du Chiapas : faire par et pour nous-mêmes, sans se laisser déposséder de la décision et de l'action.

Dans les révoltes, insurrections, révolutions, Éric Hazan était attentif à l’ « avènement d’obscurs » (ces mots étaient de Prosper-Olivier Lissagaray, participant à la Commune de Paris et son premier historien) : des inconnus dans des comités, mandatés par le peuple révolté - une démocratie vraie.

Hazan s'est intéressé au commencement des révolutions, quand tout à coup, on décide d'agir, d'entrer dans le mouvement.

Tel cet ouvrier orfèvre, Rossignol, qui le 12 juillet 1789 ne sait rien encore, danse dans une guinguette, voit qu'on brûle les barrières et entre en révolution

Né d'une famille pauvre, « ce Rossignol qui “ne savait rien de la Révolution" au début de juillet 1789 sera l'une des grandes figures du club des Cordeliers, il commandera un jour les troupes républicaines de l'Ouest et plus tard il rejoindra la Conjuration des Égaux de Babeuf. »

Hazan s'intéressait à ces vies et ces commencements : ces femmes et hommes qui se lancent dans l'engagement. Il décrit les ouvrières du textile qui, à Petrograd en février 1917, entrent en grève « en ignorant toutes les directives », rejointes par les ouvriers des usines métallurgiques.

Illustration 2

Éric Hazan était très attentif aux fraternisations entre peuples révoltés et forces de l'ordre quand elles décident de mettre crosses en l’air.

Moments rares mais décisifs dans le basculement révolutionnaire. Comme le 18 mars 1871 ; ou dans la Russie de 1917 ; ou encore l'Allemagne de 1919.

Il pensait à ce « point où une partie du corps policier ne supportera plus la haine qu'on lui porte. Ceux qui vont flancher, ce sont les “flics de base”, mal payés, maltraités par leur hiérarchie, exploités ».

Éric Hazan était passionné par l'Espagne révolutionnaire de 1936-1937 : « à Barcelone, les restaurants et hôtels de luxe servent de réfectoires populaires. Les mendiants sont pris en charge par des organismes d'assistance. Tel entreprise, café, boutique est collectivisé par le peuple ». 

« Les paysans exploitent en commun leurs propres terres et les domaines confisqués. Dans la plupart des villages, ils suppriment la monnaie : les salaires sont payés en coupons. Les biens de consommation sont distribués dans des magasins communaux. » 

Éric lisait attentivement Rosa Luxemburg. Pour lui, la « querelle entre organisation et spontanéisme, entre verticalité stratégique et horizontalité » était décisive ; il en cherchait le point d'équilibre, par les « complicités », les solidarités et « le souffle de la vie collective ».

Illustration 3

Il trouvait cet équilibre par exemple chez les Zapatistes tenant « ensemble verticalité militaire clandestine et auto-organisation horizontale des communautés indiennes » : « le soulèvement qu'ils ont lancé n'a pas été le fait d'un groupe en armes mais de tout un peuple insurgé ». 

Avec Kamo, Hazan rappelait qu'un sujet de Louis XVI, en mars 1789, aurait été très sceptique si on lui avait parlé de révolution. « Le trône, celui de Clovis, de saint Louis, d'Henri IV, de Louis XVI lui paraissait sans doute plus éternel qu'aujourd'hui l'économie de marché. »

Manière de faire saisir le surgissement inattendu des grandes révoltes populaires et la façon dont elles métamorphosent les individus sans qu'ils et elles aient pu imaginer s'engager autant quelque temps auparavant. Comme l'a dit Camille Desmoulins : « En 1789, nous n'étions pas dix républicains »

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