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Billet de blog 20 octobre 2022

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Aux signataires soutenant Adrien Quatennens : votre texte est honteux. Faites mieux

« Trop de féminisme tue le féminisme », « intégrisme », « lynchage », « maccarthysme », « Inquisition » : non, vraiment non. Rien ne va dans le texte publié sur un blog de Mediapart en soutien à Adrien Quatennens : ces caractérisations sont honteuses. Pourquoi ce texte outrancier se trompe sur toute la ligne.

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« Trop de féminisme tue le féminisme », « intégrisme », « lynchage », « maccarthysme », « Inquisition » : non, vraiment non. Rien ne va dans le texte publié sur un blog de Mediapart en soutien à Adrien Quatennens : ces caractérisations sont honteuses. Voilà en quelques mots pourquoi ce texte outrancier se trompe sur toute la ligne. D'abord, il déforme considérablement les faits et la chronologie. Lorsque Adrien Quatennens a publié son communiqué reconnaissant des violences sur Céline Quatennens, plusieurs cadres de LFI ont surtout salué son courage et lui ont rendu hommage, souvent sans un mot pour elle et sans un mot non plus sur les violences faites aux femmes et à cette femme. Donc il n'y a pas eu « calme, sang-froid, pondération, analyse, réflexion » comme le texte le prétend, mais un élan d'éloges et d'hommages à l’endroit d’Adrien Quatennens. Au point d’ailleurs que Waly Dia s’en soit étonné avec un humour juste et glaçant : « Quatennens il reçoit tellement de félicitations tu sais plus s’il a giflé sa femme ou s’il vient d'accoucher. » C'étaient donc bel et bien une « banalisation » et une « invisibilisation » de ces violences, suscitant notre surprise et notre colère. Banalisation et invisibilisation hélas éclatantes dans le premier tweet de Jean-Luc Mélenchon. Voilà ce qu’il y disait :

La malveillance policière, le voyeurisme médiatique, les réseaux sociaux se sont invités dans le divorce conflictuel d’Adrien et Céline Quatennens. Adrien décide de tout prendre sur lui. Je salue sa dignité et son courage. Je lui dis ma confiance et mon affection.

Contrairement à ce qu'affirment les signataires – dans ce qui est, tout simplement, un mensonge –, Jean-Luc Mélenchon n'a donc alors en aucun cas affirmé qu'Adrien Quatennens avait « commis une erreur inacceptable ». Il ne disait pas un mot de la violence : a fortiori, évidemment, il ne la condamnait pas. Il la passait sous silence. C’est ce qui, avec d’autres messages de ce type, leurs brassées de soutiens, leurs messages de sympathie et d'amitié appuyés, a suscité la sidération et la colère.

Adrien Quatennens a décrit les violences diverses qu’il a commises. Mais le texte s'abrite derrière la seule justice des tribunaux : « Juridiquement, dit-elle, cette faute n'est même pas encore reconnue comme un délit puisque […] Adrien Quatennens a été entendu en audition libre et n'est nullement mis en examen. » Le texte contribue ainsi à relativiser ces violences : il voudrait attendre, pour les reconnaître, qu'un tribunal ait statué. Il traîne dans la boue, avec l'infect mot d'« intégristes », celles et ceux qui les ont condamnées et acté le nécessaire retrait d'Adrien Quatennens comme coordonnateur de la France insoumise. Il n'y a eu ni « lynchage » ni « justice expéditive » contrairement à ce que prétend le texte. Mais le ferme constat que ces violences sont inacceptables : un homme qui les commet ne saurait exercer de responsabilités aussi importantes dans une organisation de gauche et féministe. Or, le texte prend le biais de la juridicisation : « la justice se fait dans un tribunal ». Elle confond systématiquement en cela champ juridique et champ politique. Le combat contre les violences faites aux femmes est une lutte politique et n'attend pas les verdicts des tribunaux pour être mené.

Ensuite, le texte tourne au dégradant et au déshonorant quand il emploie des caractérisations comme « “féminisme” [systématiquement placé entre guillemets] intégriste », « Maccarthysme », « Inquisition »… et n'hésite pas à évoquer en guise d'analogie « les épisodes les plus sombres de l'humanité ». N'en jetez plus, et n'en jetez plus à celles qui sont pourtant dans vos rangs, ceux de la justice sociale et de l'émancipation ; à celles qui sont vos camarades et vos alliées. Le texte entend cependant les comparer aux pires mouvements réactionnaires, rien de moins. C'est tellement indigne qu'on en est sidéré-e. Comment peut-il évoquer « des féministes qui ignorent, écartent, oublient dans le meilleur des cas, la violence sociale » ? Comment ose-t-elle prétendre donner une telle leçon à celles qui la combattent quotidiennement ? C'est absolument indécent. Que les signataires relisent attentivement les mots dont elles et ils usent ; leurs comparaisons avec l’Inquisition et les atroces souffrances qu'elle infligeait ; ou le lynchage dont on a forcément en tête et les victimes et les images. Bref, l'emploi de ces termes est honteux. Les signataires franchissent encore un cap en considérant que les « féministes » (avec leurs détestables guillemets) seraient passées outre la volonté de Céline Quatennens, qui ne souhaitait pas de médiatisation. Mais c'est tout à la fois absurde et abject. Évidemment puisque la médiatisation vient de la fuite (de toute évidence policière), des journalistes puis de la diffusion qu'Adrien Quatennens a donnée à son communiqué. Le « déballage intime » n'est en rien le fait de celles que le texte prend pour cibles. Ou alors, en boomerang, ce texte y participe. Partant, en claironnant leur soutien à l’homme qui l’a harcelée et giflée, on se demande quelle considération les signataires croient avoir pour cette femme – et pour les femmes victimes de violences en général.

Puis arrive la logique du complot : « Le cheval de Troie véhiculerait-il autre chose encore ? » Le texte accuse les féministes qu'elle prend pour cible de vouloir torpiller LFI, la NUPES, la gauche elle-même. « Qui plus est, au moment où s’organisait une marche massive à Paris »… Beaucoup de ces féministes étaient dans cette marche. Bien au-delà, toutes sont attachées à l'avenir d'une gauche émancipatrice, de justice sociale et d'égalité ; elles la construisent avec enthousiasme et espoir. C'est pour cette raison même qu'elles ne sauraient tolérer l'euphémisation des violences faites aux femmes. Nous n'acceptons pas le chantage enjoignant de mettre sous le tapis les violences et leur banalisation au nom du fait que nous avons des adversaires à combattre. Accuser les féministes de s'en faire les « complices » est d'une grande bassesse. « Certaines personnes semblent se réjouir de la chute de leurs camarades » : c’est une nouvelle indignité. Au contraire nous nous désolons que des hommes de gauche, occupant d'importantes responsabilités politiques, placent par leurs violences la gauche dans pareille situation : même, nous en sommes accablées.  « Nous ne laisserons pas détruire ce mouvement, les espoirs qu’il porte, le programme qu’il défend », affirment encore les signataires. Alors ne permettez pas que ce mouvement soit atteint par des violences en général, des violences faites aux femmes en particulier, et ne les banalisez jamais.

« Nous ne laisserons pas détruire la cause des femmes », lance le texte : comme le reste, ce sous-entendu est abject. Mais dans une charge qui se targue de défendre la cause des femmes, il n'y a de soutien exprimé, comme l'indiquent son début et sa fin, que pour Adrien Quatennens et non pour celle qu'il a violentée. Pour un plaidoyer qui entend prendre la défense de la gauche unie au sein de la NUPES, mentionner « Sandrine Rousseau, Elisabeth Borne ou Aurore Bergé » est un autre coup porté à l’éthique et à la camaraderie élémentaire, en mettant sur le même plan une élue de la NUPES, elle-même harcelée comme rarement, et nos adversaires. Dès lors, le texte s'enfonce à chaque paragraphe : « Comment faire confiance à celles et ceux qui, oui pour le coup, banalisent le viol, les coups répétés, les féminicides en les assimilant à une gifle ? » Mais qui les a « assimilés » ?!? Évidemment personne. Ce manque de rigueur et d'éthique est confondant et sidérant. Quant à la « suspicion » sur de supposés « intérêts » politiciens, elle plonge elle aussi dans l'indignité.

Il fallait qu'Adrien Quatennens quitte sa fonction de coordination au sein de LFI ; c'est ce qu'il a fait et c'était juste, en tout cas bien le moins. On ne voit pas comment une organisation aussi centrale à gauche que LFI pourrait être représentée ainsi. Mais contrairement à ce que ce texte laisse entendre, évidemment qu'il y a gradation entre les actes et que tout ne saurait être placé sous un signe égal : insultes, harcèlement, gifle, coups, agression sexuelle, viol… Et l'horreur absolue des féminicides. L'intelligence collective au sein d'une organisation peut être capable d'opérer cette gradation et donc de décider, sur une base éthique et politique, à quel moment le principe de précaution et la mise en retrait peuvent être levés sans nuire aux victimes, avant tout. Et secondairement sans affecter l'organisation ou le mouvement.

Ici et pour finir, je vais un peu dire « je ». J'ai voté Jean-Luc Mélenchon et expliqué publiquement pourquoi, puis NUPES/Union populaire. J'ai rejoint le « parlement de la NUPES » et pris part à ses réunions. Quand j'ai découvert, stupéfaite, les premières réactions des cadres LFI en question, dont le tweet de Jean-Luc Mélenchon, j'ai posté ces quelques mots : « Jamais il ne pourra être acceptable de relativiser, minimiser ou euphémiser la violence faite aux femmes #AdrienQuatennens ». Les anathèmes des signataires, leurs accusations et leurs guillemets ne m'en feront pas changer un mot. Car ce n'est ni une « croisade » ni une « curée » contrairement à ce que le texte prétend, avec ses termes outranciers. C'est une nécessité. Elle est douloureuse, et elle l'est pour moi comme pour des milliers d'autres. Les violences nous meurtrissent. Les silences et les dénis nous affaiblissent : tout ce que nous construisons patiemment en est atteint. Nous sommes les premières à en souffrir, chaque fois. Que l’on songe à cette conférence de presse avec notamment Clémentine Autain, Danièle Obono et Mathilde Panot : c’est elles que des journalistes sommaient de s’expliquer. Encore et encore et encore, les femmes doivent nettoyer ce que des hommes ont sali.

Il aurait suffi, pour discuter sereinement, de respect et de véritables arguments. Mais les déformations, les imprécations et les caractérisations insensées rendent ce texte honteux. Nos combats communs et émancipateurs méritent bien plus de dignité. Alors, faites mieux. 

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