Souvenir de jeunesse
J'ai un vague souvenir de jeunesse, de la réaction de mon père alors qu'à la télé ou la radio on annonçait que l'ANPE, Agence Nationale Pour l'Emploi, changeait de nom, pour déjà je crois, Pôle Emploi.
«Pour faire croire qu'ils font quelque chose, ils changent les noms, mais au fond rien ne change», dit mon père. Ceux dont il parlait, c'était le gouvernement. Des années plus, je pointais à PE, et comprenais abruptement que mes cotisations à l'assurance chômage ne me seraient pas toutes reversées, pas maintenant, pas pour longtemps, comme il était maintenant normal de le faire.
Et, du témoignage de personnes plus vieille, j'apprenais que de leur temps, du temps de l'ANPE, tout le cirque auquel je devait participer n'existait pas. Robert pointait à l'ANPE comme moi à PE; mais si lui sortait avec de l'argent en poche après quelques minutes, moi je sortais au bout d'une ou deux heures d'un RDV d'étude situation au terme de laquelle il avait été bien gentilment décidé d'envoyer mon dossier pour évaluation de mes droits, et bien affablement scruté mes motivations trouver au plus tôt par tous les moyens (qui m'ont été rappelés au passage) une manière de ne plus avoir besoin de l'argent que j'avais cotisée pendant les quelques années qu'avaient duré mon dernier contrat.
Deux mondes différents, et pas de degrés ; il ne s'agit pas là d'un durcissement d'un rapport de force entre l'individu et l'organisme chargé de l'assurance chômage. Entre Robert et moi, entre nos relations à l'(AN)PE, il y a une différence de nature ; le rapport a changé, et cela de manière tangible, notamment pour lui qui a vu et vécu ce changement.
Imaginons qu'un Astronome ait une idée de machine de recherche, de télescope spatial par exemple. Il s'agit d'un projet conséquent, qui nécessitera des fonds, et des industriels compétents, s'il voulait le concrétiser.
C'est là qu'intervient l'agence spatiale, (ESA en europe, JRTO en inde, Roscosmos en Russie, NASA aux États-Unis), qui ont la capacité de réunir, autour d'une même table, scientifiques, industriels et investisseurs (Notons que les agences spatiales sont adossées à l'État qui les finance, et qui leur délèguent au moins en partie les choix d'investissement).
Soudainement, le travail long et fastidieux de réseautage et porte à porte d'usines et de fonds d'investissement (mécènes ou états) se trouve mis en concurrence avec la capacité innée de l'agence spatiale a agencer les forces en présence pour en permettre une organisation plus simple pour toutes. Du point de vue de l'Astronome, de l'industriel et de l'investisseur, l'Agence fournis un moyen d'économiser largement de l'énergie et du temps.
L'agence est utile en soit. Si elle cessait de l'être, par exemple en cessant d'inviter les investisseurs à la table des négociations, elle perdrait en intérêt, et si elle en perd suffisement, les astronomes cesseront d'y faire appel, mettant en danger l'existance même de l'agence.
Une agence trouve sa raison d'être dans sa capacité a être utile à ceux dont elle agence les forces. Elle est mise en concurrence avec les autres agences, et les solutions qu'elle entend remplacer (réseautage et porte à porte).
Imaginons que, pour une raison ou une autre, les agences spatiales fusionnent, et que par ordre légal, les astronomes soient forcés et contraints de passer par l'Agence Spatiale Unique (ASU), le réseautage et le porte à porte ayant été rendus impossibles.
Quelle est alors la rasion d'être de cette Agence ? A-t-elle changée ?
Oui, et très naturellement : l'Agence n'a plus a effectuer d'agencement des forces, car rien ne l'y contraint. Comme la loi l'a décidé, l'ASU est utile en soi, pour elle-même ; le passage à sa table est obligatoire, c'est la règle.
Naturellement, avec cette nouvelle raison d'être, «respecter la loi», et donc «faire respecter la loi» puisque la collaboration avec elle est nécessaire, l'ASU n'a plus a assurer son rôle premier. Nul doute que, lorsque des coupes budgétaires seront décidées, elles toucheront les services d'agencement des forces scientifuqiets, techniques et capitalistiques avant de toucher à ce qui permet à l'ASU d'exister : son administration, son existance juridique, tout ce qui fait d'elle, en faits et en lois, une institution.
Quel est son but ? Est-il toujours d'agencer ? Non, et cela est très évident : son but est désormais de se perpétuer, afin que la loi puisse être respectée. Tout le monde a un intérêt à sa perpétuation. Il paraît alors déplacé de parler d'agence, car si agencement il y a, ce sera par inertie du système, par conservation des reliquats de son ancien rôle d'agence, qui continuent a assurer leur métier dont il n'y a pourtant plus besoin. Sa raison d'être a cessé d'être celle d'une agence.
Les institutions de la république. Elles sont là, par l'application de la constitution ou de la loi. Elles existent, dans le but d'effectuer le rôle qu'on leu ra attribué. Si ce rôle ne convient pas la réalité, aux citoyens, ceux-ci peuvent décider que les règles, les lois, la constitution, doivent être changées. On appelle cela une crise des institutions, et cela est d'autant plus rare que le citoyen accepte l'imperfection des institutions qui régissent sa vie, et ne s'emploie pas à déterminer si d'autres que lui sont dans le même cas.
Et même si, informé ou non, tolérant ou non, il se débat, l'institution possède plusieurs leviers pour le faire retrourner au silence et à l'acceptation.
De la manipulation, à la rérpression policière, en passant par le mensonge et la violence symbolique, l'institutupion possède au moins un moyen coercition.
C'est une condition nécessaire la survie l'institution : sans moyen de coercition, elle ne peut se défendre lorsque quelqu'un décide de s'en passer ou de s'en débarasser, comme une forteresse de cristal qui s'effondrerait au moindre mot prononcé un peu fort par le premier grognon qui passe. Quelque soit son but, l'institution a l'épreuve du temps avant tout à l'épreuve des balles.
Reprenons l'exemple de l'Agence Spatiale Unique, qui n'est plus une agence. Qu'est-elle alors ? Une institution, sans doute. L'ASU — qui sera d'ailleurs renommée Pôle Espace — n'a plus pour objectif que le respect de la loi qui la légitime. Et assurer sa légitimé à travers le temps, c'est d'abord se perpétuer.
En usant des moyens de coercition disponibles, par exemple. Ou en étant utile de fait, en continuant d'effectuer le rôle d'agence qui a initialement justifié son existance, de manière à ce que nulle critique ne soit faite, que personne ne crie sur la forteresse de cristal.
L'ASU, devenue l'institution Pole Espace, est donc face a un choix : la légitimation par l'utilité, ou la légitimation par la coercition.
Mais le continuum entre les 2 est glissant : la critique renouvellée de l'institutunio la contraint a réagir, a déployer de sa coercition ou de sa compétence.
Hors, si son financement diminue, ou si augmente la quantité de travail qu'elle doit fournir pour justifier de son travail (plus de bureaucrates, plus de rapports à envoyer à l'État, plus de directives à appliquer, plus de circulaires à prendre en compte), les moyens disponibles pour le travail agenciel (avec les astronomes, les investisseurs et les industriels) diminuent.
Ainsi, il y a une baisse tendencielle des moyens de l'institution Pole Espace employés au travail productif.
Le temps amoindrira son utilité, la rendra cible de nouvelle critiques, justifiant encore plus de coercition.
L'institution Pole Espace a perdu, ou predra un jour, sa capacité d'agencement. Les astronomes, contraints de collaborer avec elle, ne seront plus libres ni maîtres de leur projets de télescopes spatiaux, car l'institution toute puissante, fera la pluie et le beau temps sur ces projets.
Un changement de nature s'opère dans la relation entre Pole Espace et Astronomes, et là ou une agence spatiale vivait de sa capacité a rendre service, a agencer, Pole Espace est en potition de force dans la négociation implicite qu'elle réalise avec l'astronome. C'est désormais à lui d'être crédible, professionnnel, et utile. Si li veut trouver à la table des investisseurs et des industriels, il devra rédiger son projet «ainsi, et pas autrement», «plus gros les titres», «vous avez des garants ?», «je vois que vous n'avez rien proposé depuis 1 an, comment expliquez-vous ça ?».
La transformation de l'ANPE à Pole Emploi est un exemple cette institutionalisation, ce processesus qui, d'une agence, produit une institution.
Ce processus est achevé lorsque le système agenciel a été totalement supprimé des actes de l'institution, mais déjà bien avant cette fin, le processus est déjà dommageable.
Dans le cas de Pole Emploi, ce processus est encore en cours, puisque, malgrés bien des aventures, j'ai obtenu une allocation, résultante de l'assurance pour laquelle j'avais cotisé.
Nous pouvons sans doute détailler plus encore les dynamiques qui sous-tendent les institutions, les agences, et le passage de l'une à l'autre.
D'abord, observons que l'état final, l'institution ultime, est celle dont les seuls actes sont liés sa perpétuation par le fait, par opposition à l'agence ultime, dont les seuls actes sont liés à sa justification par l'effet.
Sans nul doute qu'il n'existe pas d'institution ultime, ni d'agence ultime, si bien que toute organisation sociale se trouve quelque part dans ce continuum : les agences spatiales sont adossées à l'état qui les finance et qui est, de fait, l'investisseur principal à la table de négociation, et Pole Emploi paye encore une masse allocative significative dédiée à l'accompagnement des chômeurs, et même si les droits sont régulièrements attaqués et les chômeurs maltraités, il est encore possible de se voir reverser par l'État, une partie de ses droits.
Mais cela ne doit pas faire obstacle à la pensée par pur relativisme : les choses dont la raison d'être l'agencement, je les appelerais agences. Symmétriquement, j'appelerais institutions les choses dont la raison d'être est la perpétuation par la coercition.
Il s'agit là de possible définition pour Agence et Institution.
Et pour ce qui est au milieu, ni tout à fait l'un, ni clairement l'autre, je serais bien embêté.
Questionnements
L'Institution n'agence-t-elle pas ? L'Agence n'est-elle pas coercitive, puisqu'elle agence, c'est à dire organise, les forces en présence d'une manière qui lui semble juste.
C'est là la subtilité important : l'Agencement doit être propositionnel, et non performatif, il doit être aidant, non structurant. Pour le dire autrement, l'agence propose, les forces disposes, comme sur une bibliothèque numérique où un algorithme propose une sélection suggestions selon ce qu'il identifie comme d'intérêt pour l'utilisateur. S'il se trompe trop souvent, ne convient pas à l'utilisateur, celui-ci pourrait en changer, ou s'en passer. Bien sûr, si l'algorithme en question n'est pas désactivable, ne prend en compte les préférences de l'utilisateur que sur une bibliothèque volontairement limitée, et ne se laisse pas paramétrer ni remplacer de manière compréhensible et utile, c'est-à-dire n'est concrètement pas au service de l'utilisateur, celui-ci est bloqué avec un système de recommendation dont les objectifs, méthodes et biais ne sont pas nécessairement les plus souhaitables, ni les plus clairs. C'est d'ailleurs ce qui se passe sur les plateformes de contenu sur internet actuellement : les algorithmes mis en place sont opaques, indéboulonnables et au service non pas des utilisateurs, mais de la plateforme et de la publicité.
Il en découle sans doute une propriété notable de l'agence : elle ne peut être symmétriquement spécifique à une force agençable, partie prenant dans les décision et négociation, sinon son intérêt change, et sa position à la fois neutre et universelle s'en trouve affectée. C'est ce qui se passe aujourd'hui avec les agences spatiales, légitimées et adossées à un ou plusieurs États qui vont de fait avoir un pouvoir de décision important sur les négociation scientifiques et industrielles.
On comprend en effet très bien que si l'investisseur — attablé devant l'astronome et l'industriel — est aussi represésentant de l'Agence Spatiale, celle-ci se trouve dans une situation où le choix des partis n'est plus dicté par la seule recherche de sa mise au service pour les forces en présence. Ayant un intérêt dans la négociation, elle se trouve en conflit d'intérêt, rendant suspicieux par principe le choix des autres participants et toute autre décision qu'elle prendrait.
Si en plus le passage par l'Agence est obligatoire pour les astronomes et les industriels, ceux-ci se trouvent dans l'incapacité de formuler une critique sans risquer d'être consédérés gênants par l'«Agence», qui pourra alors décider de mettre quelqu'un d'autre à leur place.
Avec le vocabulaire marxiste : une institution est couplée à une armée de réserve — l'ensemble des choses qui dépendent de son bon vouloir — et qu'elle se perpétue d'autant plus facilement que cette réserve est grande. Un intérêt direct de l'institution est donc l'élimination de toute concurrence, et l'hégémonie totale, afin de faire atteindre son plein potentiel d'exploitation à son armée de réserve, qui lui serait entièrement et inconditionnellement consacrée, et soumise.
Les chômeurs, pour survivre, n'ont d'autres choix que de jouer selon les règles de Pôle Emploi, et doivent donc se soumettre aux règles qui leurs sont édictées. Sinon, c'est le sucrage des allocs, voire, ultime punition, la radiation, c'est-à-dire l'interdiction difficilement révocables de traiter avec l'institution, et donc de faire valoir ses droits, comme si l'on interdisait à un citoyen de comparaître devant la justice. L'institution est ainsi faite qu'on doit jouer selon ses règles, même les plus absurdes, pour ne pas craindre la pire chose qui puisse nous arriver : de ne plus pouvoir jouer avec elle.
Ainsi, si une agence peut se contenter d'une niche très spécifique et localisée, et y fonctionner parfaitement tant qu'elle y est utile, l'institution présente à l'inverse le mobile (augmentation de l'armée de réserve) et le moyen (coercition) du développement d'une forme particulière d'organisation sociale que nous allons justement explorer au long de cette série d'articles.
À propos
Texte publié le 15 janvier 2023.
La partie suivante devrait être publiée le 15 février prochain. Les sources, l'introduction et la structure des différentes parties seront publiées indépendemment. La suite du texte sur le métaverse est en préparation, aucune date de publication n'est prévue.