Le philosophe libertaire adopte dans son livre « l’échec de la non-violence », une approche radicale de la lutte et une critique acerbe des mouvements pacifistes.
« Ce que les critiques de la non-violence affirment depuis longtemps, c’est que la non-violence occulte une violence structurelle, la violence de l’Etat. Pourtant cette dernière cause bien plus de tort aux peuples du monde entier que la « violence » des révoltes ou des luttes pour la libération ».
Dès les premières pages de son livre, l’auteur et militant anarchiste américain questionne sur cette notion de violence. Son sens, son interprétation, son utilisation. Pour lui, notre rapport à la violence est fortement influencé par les médias, les discours officiels et les croyances collectives. Il est impossible pour lui de dégager un consensus, de définir ce qui va être unanimement considéré comme violent et ce qui ne l’est pas. C’est pourquoi il l’affirme, LA violence n’existe pas. « On peut conclure de tout cela que la violence est une catégorie définie moins par des critères rationnels que par les réactions de nos pairs. »
« Ceux qui ont pris tout le plat dans leur assiette, laissant les assiettes des autres vides, et qui ayant tout disent avec une bonne figure « Nous qui avons tout, nous sommes pour la paix ! « , je sais ce que je dois leur crier à ceux-là : les premiers violents, les provocateurs, c’est vous !»
Abbé Pierre
Nous pouvons, selon lui avoir, une interprétation de la violence radicalement différente en fonction des situations données ; « briser la devanture d’une banque qui fait expulser des gens de leur maison »,« payer des impôts », « un prédateur tuant et dévorant sa proie », « la foudre frappant quelqu’un », « la police expulsant des gens de leur appartement »…
Rapidement, l’auteur apporte un œil critique sur les figures célèbres mises en avant par les pacifistes comme Martin Luther King, Nelson Mandela ou Gandhi. Il nuance leurs « victoires » non-violentes en rappelant d’autres acteurs de ces luttes, qui ont choisi une tactique plus directe comme les Black Panther Party aux Etats Unis, ou Bhagat Singh en Inde. Cette vision de la non-violence falsifie l’histoire des luttes pour lui.
« La soumission de l’opprimé relève de l’ordre établi. Qu’il rompe cet ordre en brisant ses chaînes et en frappant le maître, voilà le scandale. Dans la langue des maîtres devenue langue commune, le violent n’est pas celui qui fait violence, mais le vilain qui ose se rebeller. »[1] Igor Reitzman
Peter Gelderloos affirme également que la non-violence légitime et protège la violence d’Etat. « Les organisations pacifistes les plus respectées et les plus anciennes, qui interdisent qu’on se rende à leurs manifestations avec une arme (même avec des objets aussi inoffensifs que des bâtons ou des casques), ne font rien pour désarmer la police, et l’invitent au contraire à surveiller leurs actions ».
Ces différences de méthodes, de tactiques de luttes, sont peut-être explicable par la dissension entre les différents objectifs de chaque organisation. En effet, certains groupes sont plus portés sur la négociation avec le pouvoir en place, plus réformistes, et donc non-violents pour conserver une « marge de manœuvre » contrairement à des groupes révolutionnaires, opposés à toutes formes étatiques et de coercition, avec des méthodes de luttes plus directes. « Beaucoup de gens souhaitent une révolution politique qui consiste à remplacer un régime politique existant par un autre supposé meilleur. […] Les anarchistes espèrent plutôt une révolution sociale qui implique non seulement l’anéantissement du régime politique existant et de toute hiérarchie coercitive, mais également le renoncement à tout régime politique quel qu’il soit. »
«L’efficacité de l’action directe n’est pas exprimée par le degré de violence qu’elle contient, mais plutôt sur la capacité à identifier une route praticable par tous, à construire une force collective en mesure de réduire la violence au plus petit niveau possible au sein du processus de transformation révolutionnaire. La violence érigée en système engendre l’État.» Communiqué de la Fédération Anarchiste Italienne (FAI)
Le livre est riche en références, critiques de luttes passées, et en réflexions philosophiques. Peter Gelderloos passe évidemment tous ses éléments au tamis de ses engagements militants personnels, mais il en résulte une analyse intéressante. Ce livre, sorti en 2013 et traduit en 2019 est parfaitement d’actualité, dans un contexte ou les mouvements sociaux français, après une longue période infructueuse de lutte et une répression policière toujours plus forte, se posent des questions quant à leurs tactiques de protestations.
Selon Peter Gelderloos, pour obtenir des « victoires », les militants doivent intégrer une « pluralité de tactiques » à leurs luttes. Accepter la non-violence et en retour accepter et soutenir les méthodes d’actions plus directes, sans les condamner, sans se désolidariser. (pour aller plus loin, lire le dernier article sur les violences entre la CGT et les Gilets Jaunes https://blogs.mediapart.fr/lutte-labo/blog/130120/acte-61-gilets-jaunes-marseille-la-convergence-est-remise-plus-tard )