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Lwakale Mubengay BAFWA

Historien et politologue, patriote progressiste et mondialiste originaire du Congo-Kinshasa ; Agrégé de l'enseignement secondaire supérieur, vit à Genève (Suisse)

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Billet de blog 4 novembre 2025

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Sommet de Paris n’a pas amené la paix, mais révélé des lâchetés à nommer et combattre

Echec du Sommet de Paris pour la Paix et la prospérité dans la région des Grands Lacs soulève des questions profondes sur la dynamique de la crise dans l'Est de la RDC et la cohérence de la diplomatie de Kinshasa...

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#CONFÉRENCE_DE_PARIS: DES DÉCISIONS_DE_SOUVERENTÉ_DE_LA_RDC_SANS_TSHISEKEDI. © Timothée TSHAOMBO SHUTSHA

La conférence internationale pour la paix et la prospérité dans la région des Grands Lacs, qui s’est tenue à Paris du 30 au 31 octobre 2025, était porteuse d’espoirs pour une résolution durable de la tragédie régionale qui a déjà coûté la vie à des millions, entretient plusieurs autres millions en errance sans fin ainsi qu’une situation humanitaire catastrophique, notamment dans l’Est du Congo. Certes, le sommet a mobilisé d'importants fonds (plus de 1,5 milliard d'euros pour l'aide humanitaire), généré un Plan d'action pour l'intégration économique régionale et des engagements sur des couloirs humanitaires. Cependant, malgré les grandes ambitions affichées et le symbole fort que représente Paris, en tant que ville des droits de l’homme, le sommet n’a pas permis d’instaurer la paix ni de répondre aux attentes humanitaires. Au contraire, il a mis en lumière diverses lâchetés déplorables et moralement si frustrantes qu’il s’impose d’en dresser l’inventaire et d’y proposer des pistes de remédiation.

Illustration 2
Lâchetés © Lwakale Mubengay BAFWA

💢 Quelles sont ces lâchetés mises à nu par le sommet de Paris sur la région des Grands Lacs ?

Bien que non explicitement nommées comme telles dans les déclarations officielles, ces lâchetés mises à nu par le Forum de Paris, sont à interpréter comme des carences ou des manques de courage politique et de fermeté face aux causes profondes du conflit, notamment celles incriminant les acteurs régionaux et internationaux. On peut les catégoriser comme suit :

  • Lâcheté diplomatique : elle s’est manifestée par la réticence à nommer clairement et publiquement les États ou les acteurs régionaux qui soutiennent militairement les groupes armés (comme le M23, désigné par l'ONU comme bénéficiant du soutien rwandais) par crainte de provoquer une escalade diplomatique ou de compromettre les intérêts géopolitiques et économiques. Par ailleurs, les grandes puissances présentes ont montré une réticence à s’engager concrètement, préférant des déclarations de principe à des mesures contraignantes. Le manque de volonté politique à imposer des sanctions ou à soutenir une médiation forte a été flagrant…
  • En conséquence, cette lâcheté permet la perpétuation du conflit en ne s'attaquant pas à la racine du soutien extérieur aux groupes armés ;
  • Lâcheté économique : l’absence d’engagement financier significatif pour mieux répondre aux besoins humanitaires urgents, soutenir le développement et la reconstruction dans la région a démontré un réel manque de solidarité. Les promesses d’aide sont restées vagues, sans calendrier ni garanties. La lâcheté économique réside surtout dans la faiblesse des engagements à contrôler et à sanctionner sévèrement les réseaux de pillage et de commerce illégal des ressources minérales du Congo, qui financent les groupes armés et les États voisins agresseurs et pilleurs. Les intérêts économiques des entreprises et des nations aussi bien occidentales qu’asiatiques impliquées n’ont pas été évoqués ni suffisamment remis en cause…
  • Dès lors, l'économie de guerre prospère davantage, alimentée directement et indirectement par la demande mondiale en minerais stratégiques et, corrélativement, le drame humanitaire s’aggrave...
  • Lâcheté morale : la souffrance des populations de l’Est du Congo a été reconnue ; mais, même dans la Capitale des droits de l’homme, peu d’acteurs n’ont osé nommer ou condamner explicitement les responsables des massacres et viols, par peur de froisser des intérêts géopolitiques ou économiques. Ce qui débouche sur cet affligeant manque de volonté collective d'établir une force militaire régionale ou internationale dotée d'un mandat offensif et robuste pour neutraliser durablement les groupes armés, tout en assurant la protection des civils. Le Sommet s'est principalement concentré sur l'aide humanitaire, le développement et la prospérité économiques...
  • En conséquence, l'aide humanitaire, bien qu'essentielle, reste un pansement sur une blessure qui continue de s'infecter, sans mettre fin au conflit qui en sont la cause. Pourquoi inverser les priorités ?
  • Lâcheté médiatique : la couverture médiatique internationale, celle des médias majeurs, est restée superficielle, focalisée sur les discours officiels et ignorant les voix des victimes et des ONG sur le terrain.
Illustration 3
Lâchetés à nu © Lwakale Mubengay BAFWA

💥 Plus explicitement et plus succinctement, on peut mettre en exergue…

Pour mieux les combattre, il est nécessaire de décrire ces lâchetés, de les nommer avec précision et d’identifier les causes qui les sous-tendent. Dans ce souci de mieux se représenter la réalité à défier, on mettra en exergue :

  • Les compromis diplomatiques stériles : les belligérants avérés eux-mêmes Kagame, Museveni, Ndayishimiye, William Ruto ont été parmi les illustres absents. Or, fuir le dialogue, c’est refuser la paix, c’est choisir l’impunité. Ainsi, la quête de consensus aboutit à l’inaction ;
  • Le financement sans garantie est indifférence voilée : peut-être que les 1,5 milliard d’euros annoncés seront réunis ; mais pour qui ? Pour quoi faire ? Car, sans mécanisme de suivi, l’aide devient poudre aux yeux, surtout si le soutien promis ne se traduit pas en actes concrets ;
  • Un révélateur du silence complice : l’oubli des pauvres victimes, une femme violée toutes les quatre minutes. Et pourtant, ces corps brisés sont absents des négociations. Où est la justice réparatrice ? Ce refus de dénoncer les auteurs des crimes encourage leur impunité ;
  • La souveraineté congolaise solennellement bafouée: lorsque couloirs humanitaires, réouverture de Goma, affectation des aides se décident ailleurs. La RDC traitée comme objet, non comme sujet ;
  • La superficialité médiatique : quand l’information se limite aux communiqués officiels et obscurs rapports, sans investigation réelle ;
  • L’échec global reconnu, mais non assumé: le ministre togolais parle d’un échec collectif. Mais qui assume ? Qui répare ? Qui transforme ?

 🤼‍♀️ Comment combattre ces lâchetés ?

Même si nommer ces lâchetés, c’est déjà les combattre ; les affronter plus concrètement commence par le refus de la résignation. Pour être efficace, la lutte contre ces lâchetés implique un changement de paradigme dans l'approche internationale et exige aussi bien une conscience citoyenne qu’une mobilisation collective ainsi que des stratégies multiformes :

  1. Renforcer la pression citoyenne et associative : la parole stratégique est une des manières de s’opposer à ces lâchetés : nous nommons, nous dénonçons, nous écrivons et protestons… Nous nous appliquons à amplifier les voix et protestations locales, à relayer les survivantes dans leurs revendications, à refuser l’effacement. Aux ONG, société civile, et citoyens éveillés d’interpeller les décideurs, organiser des campagnes de sensibilisation et exiger des engagements concrets !
  2. Exiger la transparence et la reddition de comptes : exigeons traçabilité des engagements, explication et justification pour des actions décrétées. Créons des alertes. Suivons où vont les fonds… Il faut donc mettre en place des mécanismes de suivi des engagements pris lors des sommets, et publier régulièrement des bilans indépendants ;
  3. Soutenir le journalisme d’investigation : encourager les médias qui prennent le risque d’enquêter sur le terrain, de donner la parole aux victimes et de dénoncer les failles des politiques internationales ;
  4. Promouvoir des sanctions ciblées : si les organisations internationales et les États adoptaient des mesures coercitives contre les acteurs responsables des violences et du blocage du processus de paix ;
  5. Favoriser la diplomatie inclusive : nous plaidons pour impliquer davantage les acteurs locaux, les communautés affectées et les femmes dans les processus de négociation et de décision… Soutenons les médiations localement bien enracinées, construisons des ponts éthiques, nous élèverons ainsi le défi de la diplomatie parallèle ;
  6. L’art de la mémoire : notre apport sera plus utile si nous instruisons, témoignons aussi et transformons les blessures des victimes en force.
Illustration 4
Eloges de la lâcheté ! © Lwakale Mubengay BAFWA

💡 Quels moyens mobiliser ?

Nous devons combattre ces lâchetés expressément orchestrées et entretenues à dessein et pour le faire efficacement, il est nécessaire de :

  • Mobiliser des ressources financières et humaines pour soutenir activement les ONG, les médias alternatifs et les institutions locales ;
  • Mettre en place des plateformes ouvertes et transparentes pour amorcer et entretenir le dialogue et des échanges d’informations ;
  • Renforcer la coopération régionale et internationale, notamment en mobilisant et impliquant organisations africaines et internationales ;
  • Relayer les appels à la réparation pour les victimes et mise en place de la justice transitionnelle et en soutenir les initiatives crédibles ;
  • Encourager la formation, la sensibilisation et la mobilisation des jeunes au patriotisme, à la citoyenneté et aux droits humains…

De manière globale et concise, ce que nous devons opposer à ces lâchetés machiavéliquement entretenues peut se résumer en cette vue synoptique :

Lâcheté à combattre  &  Moyens concrets d'action

Lâcheté de la désignation

🗣️ Pression diplomatique et sanctions ciblées : par mémorandums, pétitions, lettres ouvertes et autres déclarations publiques, exiger des organisations internationales (ONU, UA) la désignation sans ambiguïté des États agresseurs et l'application immédiate de sanctions ciblées contre les dirigeants, hauts responsables militaires et entités économiques impliquées.

Lâcheté de l'action

🛡️ Mandat sécuritaire renforcé : s’appuyant sur le chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies, exiger la création d’une force de paix robuste (sous l'égide de l'ONU ou de l'UA, avec un soutien logistique et financier accru) ayant un mandat de maintien et d'imposition de la paix avec des règles d'engagement plus musclées, et un soutien aux réformes du secteur de la sécurité de la RDC.

Lâcheté économique

⚖️ Traçabilité et certification des minerais : renforcer les mécanismes de traçabilité des minerais (comme le processus de Kimberley pour les diamants) avec des audits indépendants et des sanctions pénales pour les entreprises internationales qui s'approvisionnent auprès de filières illégales dans l'Est de la RDC. L'objectif est d'assécher le financement des groupes armés.

Le sommet de Paris n’a pas permis d’atteindre les objectifs de paix et d’humanité pour l’Est du Congo, mais il a eu le mérite de révéler les faiblesses et les lâchetés qui entravent la résolution de ce conflit. Nommer ces failles, les exposer et les combattre doit devenir un impératif pour tous ceux qui aspirent à une paix juste et durable dans la région des Grands Lacs. La vigilance citoyenne, l’engagement des médias et la pression internationale sont les clés pour transformer l’indignation en action.

Eclairage,
Chronique de Lwakale Mubengay Bafwa

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