Lwakale Mubengay BAFWA (avatar)

Lwakale Mubengay BAFWA

Historien et politologue, patriote progressiste et mondialiste originaire du Congo-Kinshasa ; Agrégé de l'enseignement secondaire supérieur, vit à Genève (Suisse)

Abonné·e de Mediapart

97 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 septembre 2025

Lwakale Mubengay BAFWA (avatar)

Lwakale Mubengay BAFWA

Historien et politologue, patriote progressiste et mondialiste originaire du Congo-Kinshasa ; Agrégé de l'enseignement secondaire supérieur, vit à Genève (Suisse)

Abonné·e de Mediapart

Congo : recours à des récits d’imposture pour délégitimer les adversaires politiques

Le régime congolais actuel accuse Joseph Kabila d’être un agent rwandais infiltré, né sous le nom d’Hippolyte Kanambe. Ce récit nationaliste, aux relents xénophobes, d’imposture à l’encontre de l’ancien chef d’Etat vise à délégitimer son règne, justifier les poursuites judiciaires en cours contre lui et la confiscation de ses biens ainsi qu’empêcher son retour dans l’arène politique congolaise.

Lwakale Mubengay BAFWA (avatar)

Lwakale Mubengay BAFWA

Historien et politologue, patriote progressiste et mondialiste originaire du Congo-Kinshasa ; Agrégé de l'enseignement secondaire supérieur, vit à Genève (Suisse)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Democratic Republic of Congo: The legacy of Joseph Kabila © FRANCE 24 English

Accusé par ses détracteurs d’être un agent rwandais infiltré sous le nom d’Hippolyte Kanambe, le règne politique de Joseph Kabila est présenté comme une imposture historique. Les récits démonstratifs y afférents, relayés par acteurs politiques coalisés, des mouvements citoyens et des médias stipendiés, servent à effacer la légitimité de son pouvoir et à justifier des poursuites judiciaires engagées contre lui pour trahison et crimes de guerre, certes ; cependant, les avocats des parties civiles soutiennent que Joseph Kabila, en tant que sujet rwandais, aurait infiltré l’État congolais pour le compte d’un pays tiers. Ils demandent alors que l’infraction soit requalifiée en espionnage ; ce qui correspond à une attaque contre la souveraineté nationale par un agent extérieur à la solde des envahisseurs.

Cette stratégie judiciaire est donc aussi bien une fort désastreuse manœuvre technique à l’encontre de l’ancien chef d’Etat qu’un acte politique fort à l’avantage du régime régnant ; car, elle vise à exalter le sentiment national et la souveraineté, à délégitimer le retour en scène de Kabila et à ouvrir la voie à la liquidation de son patrimoine.

L’usage du récit d’imposture pour délégitimer l’adversaire politique ou renforcer sa propre légitimité est une stratégie machiavélique très répandue ; car, aussi vieille que le pouvoir lui-même, la manipulation de l’imposture est arme narrative redoutable. En effet, comment les récits d’imposture politique sont-ils utilisés pour affaiblir l’adversaire et renforcer le pouvoir des régimes en place ? Ainsi, du Kremlin au Palais de la Nation (Kinshasa), en passant par Ankara, Téhéran et La Maison-Blanche (trumpisme), plusieurs régimes hybrides contemporains manipulent machiavéliquement l’histoire pour grossir leur légitimité et asseoir leur autorité.

Dans un monde où la légitimité du pouvoir politique est de plus en plus largement contestée, des régimes, qui y sont confrontés, font allègrement recours à la stratégie des récits d’imposture pour phagocyter leurs adversaires et pervertir les préceptes de la confrontation. Ainsi, accuser un adversaire d’être un agent infiltré, un stipendiaire ou un étranger déguisé pour nuire permet, non seulement de le délégitimer, mais aussi de renforcer sa propre autorité en se posant comme l’incarnation du patriotisme ou de gardien de l’authenticité nationale. Ce mécanisme, loin d’être anecdotique, façonne les imaginaires collectifs et justifie des politiques répressives. Tel est le cas, devenu emblématique, de Joseph Kabila en République démocratique du Congo (RDC).

Illustration 2

Vers la phagocytose et liquidation de l’œuvre et héritage politiques de Kabila

Accusé par ses détracteurs d’être un agent rwandais infiltré sous le nom d’Hippolyte Kanambe, le règne politique de Joseph Kabila est présenté comme une imposture historique. Les récits démonstratifs y afférents, relayés par acteurs politiques coalisés, des mouvements citoyens et des médias stipendiés, servent à effacer la légitimité de son pouvoir et à justifier des poursuites judiciaires engagées contre lui pour trahison et crimes de guerre, certes ; cependant, les avocats des parties civiles soutiennent que Joseph Kabila, en tant que sujet rwandais, aurait infiltré l’État congolais pour le compte d’un pays tiers. Ils demandent alors que l’infraction soit requalifiée en espionnage ; ce qui correspond à une attaque contre la souveraineté nationale par un agent extérieur à la solde des envahisseurs.

Cette stratégie judiciaire est donc aussi bien une fort désastreuse manœuvre technique à l’encontre de l’ancien chef d’Etat qu’un acte politique fort à l’avantage du régime régnant ; car, elle vise à exalter le sentiment national et la souveraineté, à délégitimer le retour en scène de Kabila et à ouvrir la voie à la liquidation de son patrimoine.

Accusation d’imposture comme outil de délégitimation

C’est ne pas le régime de Kinshasa qui a inventé cette pernicieuse arme politique et ce procédé n’est pas seulement propre à la RDC. En Russie, le Kremlin qualifie régulièrement ses opposants, comme Alexeï Navalny, d’agents occidentaux, manipulés par la CIA. En Turquie, le chef de l’Etat, Recep Tayyip Erdoğan, s’est appliqué à purger l’administration de ses milliers de fonctionnaires en les accusant d’être des imposteurs gülenistes infiltrés dans l’État. En République islamique d'Iran, les gardiens de la révolution islamique présentent les dissidents comme des voix étrangères déguisées en patriotes et les traitent en ennemis de la nation.

Dans chacun de ces cas, les imputations d’imposture sont mises en exergue et perfidement exploitées comme des armes narratives assez puissantes pour délégitimer, disqualifier et terroriser les adversaires politiques. Ainsi, comme armes narratives, les accusations d’imposture activent des peurs identitaires, simplifient la perception de conflits en opposant les authentiques aux traîtres, inciter la population à des règlements de comptes, à la vendetta et justifier des mesures autoritaires ou exceptionnelles pouvant aller jusqu’au prolongement anticonstitutionnels de mandats politiques.

A l’instar du régime de Kinshasa, accusant Joseph Kabila d’être un agent rwandais infiltré au Congo pour asseoir et consolider l’occupation de la RDC par des envahisseurs étrangers, d’autres modèles contemporains exploitant machiavéliquement  les récits nationalistes d’imposture pour affermir leur pouvoir  sont légion. Parmi les exemples les plus caractéristiques du moment, il y a :

Russie de Vladimir Poutine

  • Le Kremlin utilise régulièrement le récit d’imposture occidentale pour délégitimer les opposants à tendance libérale comme Alexeï Navalny, en les présentant comme des agents de l’Occident impérialiste ou des stipendiaires à la solde de la Central Intelligence Agency (CIA) des États-Unis.
  • Ce discours permet de renforcer l’autorité du régime en place en s'érigeant comme le rempart contre les infiltrations idéologiques des expansionnistes occidentaux. Ce faisant, Vladimir Poutine en l’occurrence, délégitime et disqualifie ses challengers politiques et les fait même déconsidérer…

Turquie de Recep Tayyip Erdoğan

  • Erdoğan a accusé ses opposants, notamment le mouvement Gülen, d’être des imposteurs infiltrés dans l’État turc. Après le coup d’État manqué de 2016, des milliers de fonctionnaires ont été purgés de l’administration pour collusion avec des traîtres.
  • Ce récit a servi à consolider son pouvoir et à justifier une répression massive ; qui lui sert à assurer sa survie politique.

République islamique d'Iran d’ayatollah Ali Khamenei

  • Le régime iranien qualifie les dissidents, journalistes et militants des droits humains compris, d’agents étrangers ou de fausses voix iraniennes, pour les discréditer et déconsidérer.
  • Cela lui permet de contrôler le récit patriotique, de légitimer son discours nationaliste, de présenter toute critique comme une imposture orchestrée par l’Occident et de s'ériger en rempart crédible contre les infiltrations idéologiques des envahisseurs expansionnistes occidentaux.

États-Unis de Donald Trump (Trumpisme)

  • Donald Trump et ses partisans ont accusé Barack Obama d’être né au Kenya – c’est la théorie du complot appelée birther - pour remettre en cause la légitimité présidentielle de son prédécesseur ainsi que l’œuvre et l’héritage de celui-ci.
  • Ce récit, bien que faux, a eu un impact durable sur la polarisation politique et la perception de l’autorité d’Obama.

En accusant Joseph Kabila d’être un mercenaire rwandais - né sous le nom d’Hippolyte Kanambe - et placé au Congo pour phagocyter les institutions du pays pour en faciliter l’implosion, le régime congolais actuel ne vise pas seulement à délégitimer le règne de celui-ci et justifier les poursuites judiciaires en cours contre lui ; mais, par ce récit chauviniste, aux relents xénophobes manifestes, il alimente la mémoire collective congolaise autour de la trahison et de l’ingérence étrangère et escompte ainsi mobiliser les opinions contre l’éventualité d’un retour de Kabila dans l’arène politique…

Disqualification par imputation d’imposture comme fondement d’un récit national

Au-delà de la délégitimation, l’accusation d’imposture permet aux régimes autoritaires ou hybrides régnants de construire des récits nationalistes exclusifs, voire xénophobes, pour discréditer, faire déconsidérer et disqualifier des contradicteurs politiques ciblés. La disqualification politique des adversaires par accusation d’imposture est ainsi une stratégie épouvantable ; elle mêle alors manipulation identitaire, instrumentalisation judiciaire et guerre narrative. Certes, en RDC, ce mécanisme s’est cristallisé autour du cas emblématique de Joseph Kabila ; cependant, factuellement, cette machination dépasse largement la personne de l’ex-chef d’Etat et, concrètement, elle s’opère, au moins, en trois procédés :

Construction d’un récit d’imposture

  1. Origine étrangère présumée. L’adversaire est présenté comme un non-Congolais, souvent rwandais, ou comme un mercenaire infiltré et à la solde des envahisseurs du Congo. Ainsi, dans le cas de Kabila, en l’accusant d’être né sous le nom d’Hippolyte Kanambe, on le présente comme citoyen rwandais et on veut insister sur le fait qu’il a été, à dessein, imposé à la tête du Congo par des intérêts expansionnistes (coalition tutsie), en vue d’expropriation des autochtones.
  2. Manipulation de l’identité. La légende nationaliste, aux relents xénophobes flagrants, insiste sur des éléments comme le changement de nom, l’absence de documents d’état civil, ou l’adoption politique (par Laurent-Désiré Kabila) pour semer le doute sur la légitimité nationale du challenger menaçant.

Instrumentalisation de la justice

  • Requalification juridique. Dans le procès intenté contre Joseph Kabila, les avocats de la République cherchent à requalifier l’accusation de trahison en espionnage ; car, la trahison suppose préalablement la nationalité congolaise. En affirmant que Kabila est un étranger, en plus un rwandais, ils contournent cette contrainte et renforcent l’accusation.
  • Procès médiatisés. Depuis le début de cette procédure, les débats judiciaires sont soutenus par de retentissantes et répétitives déclarations publiques, de fuites dans la presse et de campagnes de communication visant à influencer l’opinion pour disqualifier davantage et à affaiblir l’adversaire.
  • Interdictions de sortie du territoire. Plusieurs cadres du parti de Joseph Kabila, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) ont été interdits de quitter le Congo. Ils sont aussi accusés de collusion avec des groupes rebelles comme le Mouvement du 23 mars (M23) ou l’Alliance fleuve Congo (AFC) de Nangaa pour renforcer le récit d’infiltration et susciter leur déconsidération et leur répulsion par le peuple.

Disqualification politique et sociale

  1. Stigmatisation ethnique. Ces accusations d’imposture à flots stigmatisent une communauté congolaise réelle et alimentent une méfiance dangereuse, et de plus en plus considérable, à égard. Tous les  Congolais d’origine rwandaise sont ainsi désormais assimilés à des stipendiaires au service des voisins envahisseurs, avec Joseph Kabila en leader de ses infiltrés.
  2. Effacement symbolique. Joseph Kabila cesse ainsi d’être un simple adversaire politique pour endosser le statut de mercenaire génocidaire du peuple congolais. Ce faisant, il est exclu du récit national, présenté comme une anomalie historique, un corps étranger à la souveraineté congolaise et, en conséquence, son règne est une parenthèse à radier.
  3. Blocage institutionnel. En le traitant d’étranger et en l’accusant de mercenaire, le régime empêche Joseph Kabila à revenir sur la scène politique congolaise, à se présenter aux élections ou de participer au débat public. Quelle que soit l’issue de son procès, le pouvoir verrouille l’espace politique et lui enlève toute velléité à concourir pour le moindre mandat.

                    Enjeux et dérives

Mécanisme                              Conséquences

Récit d’imposture                     Polarisation identitaire, rejet de l’autre

Justice instrumentalisée           Perte de crédibilité institutionnelle

Disqualification politique        Érosion du pluralisme démocratique

Mémoire collective viciée       Manipulation du récit national

Le recours aux récits d’imposture pour disqualifier les adversaires politiques est un procédé efficace, certes ; mais il est également hautement dangereux. Car, s’il peut temporairement renforcer le régime manipulateur en place, il court néanmoins le risque de fragiliser durablement et gravement aussi bien la cohésion nationale que la confiance dans les institutions. Dans le cas de la RDC, il a révélé une âpre lutte pour la définition de l’authenticité congolaise - une question identitaire autant brûlante que politique.

Au Congo, en effet, le soupçon d’infiltration rwandaise alimente une méfiance durable envers les Congolais d’origine rwandaise, notamment les Banyamulenge constamment stigmatisés comme étrangers ; mais, pourtant, une communauté intégrante et importante de la société congolaise. Ce rejet ethnique fragilise donc la cohésion nationale et empêche l’émergence d’un récit inclusif.

La mémoire collective est également affectée. Les guerres, les massacres et les déplacements forcés sont souvent interprétés à travers le prisme de la trahison et de l’imposture. Les victimes ne sont pas reconnues comme partie authentique de l’histoire nationale, mais comme torts collatéraux d’un pouvoir illégitime.

Formes de résistances à la stratégie d’imposture et ses limites

Cependant, cette stratégie n’est pas sans risques. En plus de vives critiques logiques des partisans de l’ancien chef d’Etat, elle suscite également des résistances narratives des tiers ; notamment celles de la part des Organisations Non Gouvernementales (ONG), des mouvements citoyens congolais, des divers journalistes et des intellectuels de tout bord. En RDC plus précisément, les Wazalendo et d’autres voix engagées réclament une mémoire plus juste, une souveraineté populaire réelle et une réappropriation de l’histoire.

À l’international et de manière plus générale, ces récits d’imposture peuvent nuire à la crédibilité des régimes. Ils renforcent la polarisation, radicalisent l’opposition et fragilisent la stabilité interne. L’imposture, en tant qu’arme narrative, est puissante ; mais instable : elle révèle les failles du pouvoir autant qu’elle les masque.

Ainsi, loin d’être un simple outil de propagande, le récit nationaliste d’imposture est une stratégie politique sophistiquée. Il permet de délégitimer et de disqualifier l’adversaire, de justifier la répression, et de construire un récit national exclusif. Mais, il génère aussi des fractures profondes, des traumatismes collectifs et des résistances durables. Dans un monde en quête de vérité et de justice, il appartient aux peuples de déconstruire ces récits pour reconstruire une mémoire partagée et une souveraineté authentique.

Eclairage,
Chronique de Lwakale Mubengay Bafwa

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.