Lorsque l’hédonicratie de Tshilombo appelle à la levée des immunités de l’imposteur Kanambe, son prédécesseur, parrain et ancien chef d’Etat de la RDC, d’aucuns pensent à une simple blague, à du théâtre de plus pour distraire et désorienter les opinions. Mais, le coup prend vite l’ampleur d’un véritable affront quand, au sommet de l’Etat, nombreux animateurs institutionnels se répandent dans de tapageuses invectives les uns contre les autres. La guerre est désormais lancée entre partisans de l’anciens et ceux du nouveau régime. C’est là que d’aucuns prennent conscience que tout n’est plus comme jadis ; que des alliés et amis d’hier sont dorénavant des ennemis aujourd’hui. Comment Tshilombo a réussi à s'affranchir de l'emprise des parrains et alliés qui ont contribué et assuré son ascension politique...
Arrivé à la Présidence de la République démocratique du Congo (RDC) à la suite d’un somptueux processus électoral grâce à la majestueuse et palpitante campagne de son challenger Martin Fayulu, le fils du leader Maximo du principal parti politique au Congo, Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), malgré une ascension lourdement entachée de fraude rocambolesque, jouissait de moult effets d’aubaine pour réussir et marquer positivement et indélébilement l’histoire de la RDC. Célèbre militant du principal parti qui s’est illustré dans l’opposition avec d’alléchantes revendications notamment en faveur de la démocratie et la promotion des droits de l’Homme, Félix-Antoine Tshilombo a en outre été au bénéfice d’un transfert pacifique du pouvoir ; une première au Congo depuis l'indépendance du pays en 1960.
Authentique fils du Congo succédant à celui que les Congolais avaient unanimement rejeté comme imposteur, Hyppolite Kanambe, Tshilombo était perçu comme le patriote qui allait recréer la cohésion nationale, construire un front patriotique compact et assez fort pour offrir au Congo un socle de combat suffisamment solide pour combattre des antivaleurs et des trahisons, juguler efficacement des infiltrations et occupations externes, restaurer l'intégrité territoriale et la souveraineté. Cependant, jusqu’à ce jour, la gouvernance de Tshilombo ne s’est surtout illustrée que par des flétrissures tous azimuts. Les détournements de fonds publics, le tribalisme avec son corrélat, l’oligarchisation de la classe politique ayant atteint des proportions ahurissantes. Mais, dans cette mare d’ignominies, un radieux éclair surprend à la manière d’étrange exception : la percée diplomatique de Kinshasa au détriment de Kigali. Leurre ou lueur d’une véritable brèche vers la Libération du Congo ?
Oligarchisation et turpitudes d'un régime aux abois
De turpitudes en turpitudes, démontrant multiples signes de grande vulnérabilité, l’oligarchisation excessive du pouvoir par Tshilombo s’apparente davantage à un dernier baroud d'honneur d’un régime aux abois, contraint de ne s’appuyer que sur ses inconditionnels pour sa survie, qu'à un quelconque élan avec assurance vers un avenir d’expansion ou développement. Si, en effet, faisant face à de nombreuses controverses, essuyant d’offensantes critiques et, en sus, se retrouve militairement assailli tant de l’intérieur que depuis l’extérieur du pays, la cleptocratie hédoniste ne sait plus à quel saint se fier, la faute lui en incombe largement et des raisons sont légion pour qu’elle ne s’en prenne qu’à elle-même. Parmi les turpitudes de l’hédonicratie de Tshilombo, on peut mentionner :
- une ascension où le tripatouillage électoral est le principe ; en commençant par son arrivée au pouvoir en 2019 basée sur la manipulation rocambolesque des résultats électoraux. Même à l’international, on a beaucoup ironisé en qualifiant d'accord à l’africaine le deal avec l’imposteur Kanambe qui a permis à Tshilombo de prendre indignement sa succession ;
- une corruption effrontément généralisée à des échelles inouïes et ostentatoirement étalée à tous les niveaux et dans toutes les institutions ainsi que des détournements de fonds publics d’une ampleur ahurissante autant par la fréquence et la multiplication du phénomène que par les niveaux inouïs de sommes dérobées ;
- un tribalisme grossier et vivement exacerbant. Outil de manipulation politique, l’hédonicratie de Tshilombo s’appuie de manière excessive sur un tribalisme outrancier pour asseoir le pouvoir ou pour mobiliser des soutiens. Dans un État multiculturel, comme la RDC, la polarisation ethnique a fini par générer des ressentiments d’iniquité, la lutte pour le contrôle des ressources ainsi que, in fine, d’imprévisibles conflits armés ;
- des violations massives des droits humains dénoncées dans de divers rapports accusant le régime des répressions violentes contre les opposants politiques et les manifestants pacifiques ;
- l’instabilité sécuritaire généralisée sur tout le territoire de la RDC ; notamment par une milice armée institutionnalisée à la Présidence du pays pour réprimer et faire la moindre critique…
La liste de ces aspects controversés est infiniment longue et le mécontentement qu’ils ne cessent d'intensifier fait de Tshilombo une figure politique complexe, divisive, la plus clivante aujourd'hui parmi les acteurs en lice tant au sein de la RDC que sur la scène internationale. De ce fait, même ses plus splendides exploits, lorsqu’il y en a, sont forcément occultés par l’ampleur des griefs.
Une émancipation relevant d’exploit insondable
Lorsque l’hédonicratie de Tshilombo appelle à la levée des immunités de l’imposteur Kanambe, son prédécesseur, parrain et ancien chef d’Etat de la RDC, d’aucuns pensent à une simple blague, à du théâtre de plus pour distraire et désorienter les opinions. Mais, le coup prend vite l’ampleur d’un véritable affront quand, au sommet de l’Etat, nombreux animateurs institutionnels se répandent dans de tapageuses invectives les uns contre les autres. La guerre est désormais lancée entre partisans de l’anciens et ceux du nouveau régime. C’est là que d’aucuns prennent conscience que tout n’est plus comme jadis ; que des alliés et amis d’hier sont dorénavant des ennemis aujourd’hui. Comment Tshilombo a réussi à s'affranchir de l'emprise des parrains et alliés qui ont contribué et assuré son ascension politique, surtout de son principal tuteur Hyppolite Kanambe et de son puissant allié et protecteur d’autrefois, Paul Kagamé, dont il s’est distancé et qu'il a désormais l’air de combattre ouvertement aujourd'hui ?
De toute évidence, Tshilombo a d’abord recherché à s'affranchir de l'emprise de Kanambe effectivement en alternant de fines stratégies distinctes, marquées par de longues phases d’intense et étroite collaboration, suivies de courtes acrimonieuses séquences d’abruptes ruptures. Face à l’envahissante omniprésence de Kanambe et de ses encombrants réseaux dans le microcosme politique congolais, Tshilombo s’est principalement appliqué à mettre en exergue les lourds handicaps de cette collaboration, à susciter et attiser des tensions entre ses différents animateurs pour enfin la saper dans trois directions :
- provoquer méthodiquement des tensions et la fragilisation de la coalition commune initiale. En effet, après les élections générales contestée de 2018, Félix Tshilombo a accédé au pouvoir dans le cadre d'une coalition avec le Front Commun pour le Congo (FCC) de Assez vite, Tshilombo a accusé cette coalition d’être une source de paralysie des institutions congolaises. De là ont émergé une multitude de désaccords profonds, fort vivaces et officiels ;
- acter la rupture en prenant le peuple à témoin. C’est en décembre 2020, désormais assuré de son imperium, que Tshilombo s’est appliqué à mettre un terme à l’incommodante coalition. Il a procédé, après avoir menacé de dissoudre l'Assemblée nationale en cas d'échec, par la nomination d’un "informateur" pour identifier une nouvelle majorité parlementaire. S’appuyant généreusement sur la distribution d’espèces sonnantes et trébuchantes, il a assez facilement atteint son objectif de former un nouveau gouvernement à sa convenance, plus aligné sur ses desiderata et dorénavant plus enclin à n’exécuter que son programme ;
- ouvrir des hostilités politiques et judiciaires frontales. Depuis cette rupture avec la coalition initiale entre FCC et le Cap pour le Changement (CACH), en sigle « FCC-CACH), les relations entre Tshilombo et son prédécesseur Kanambe n’ont plus cessé de se tendre... Bien que devenu sénateur à vie et auréolé du titre de « président honoraire» après son départ du pouvoir, Kanambe se voit progressivement éloigné de la sphère d’influence, menacé dans son intégrité physique et dans ses biens au point d’être contraint à l’exil. Et la brutale apothéose se résume dans la levée de se immunités parlementaires et dans des poursuites judiciaires désormais ouvertes à l’encontre de l’ex-homme fort du Congo…
Si ce n’est pas un artifice machiavéliquement ourdi pour égarer l’opinion, l’exploit est d’autant immense que le successeur a hérité de l’appareil sécuritaire personnel que son prédécesseur a bien voulu lui léguer. Comment Tshilombo a-t-il su s’en accommoder jusqu’à oser s’en servir pour s’attaquer à son géniteur politique ? Ceux qui nous liront jusqu’au bout, sauront l’hypothèse que, avec un brin d’assurance, nous émettons pour répondre à cette question.
De la tutelle de son allié et parrain Paul Kagame, l’usurpateur, dealeur et receleur Tshilombo a procédé pratiquement de la même manière que contre l’imposteur et prédécesseur Kanambe pour s’en émanciper. Également une stratégie et recette à trois orientations :
- une période de rapprochement initial. Au début de son mandat en 2019, Tshilombo a cherché, de manière très volontariste, à bien harmoniser ses relations avec le Rwanda et Paul Kagamé. D’où de véritables effusions d’affection. Se lâchant carrément ; en traitant publiquement Kagamé de « frère et partenaire fiable ». Prétextant de travailler ensemble pour la paix et la stabilité dans la région, il a alors multiplié des rencontres et signé d’abondants accords commerciaux avec lui dès été 2021 ;
- la dégradation et la rupture. Le mystère réside dans le fait que c’est Tshilombo qui a ressuscité le Mouvement du 23 mars (M23). Dans la foulée, les relations entre Tshilombo et Kagamé se sont subitement et fortement dégradées avec la résurgence des activités du groupe armé M23 dans l'Est de la RDC. Kinshasa accusant Kigali de soutenir cette rébellion pour déstabiliser le régime. Paul Kagamé, de son côté, a incriminé Tshilombo de ne pas tenir sa parole et de collaborer avec les
Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ; considérés par Kagamé comme une menace pour le Rwanda ; - une guerre par invectives et accroissement de tensions. La situation a d’abord évolué vers une « guerre des mots ». Ensuite, ce sont des tensions diplomatiques qui se sont intensifiées. Les deux chefs d’Etat se livrant à s'envoyer publiquement des piques de plus en plus acerbes. Malgré l’afflux des tentatives de médiation, notamment par l'Angola et le Qatar, la situation reste toutefois complexe et instable, aggravée par des progrès du M23 sur le terrain et des pressions diverses, spécialement occidentales sur le Rwanda et des reproches directs à Kagamé.
En somme, si les apparences ne sont pas trompeuses, Félix Tshilombo aurait ainsi réussi à s'affranchir de ses embarrassants parrains par une combinaison de volonté politique affirmée, de manœuvres parlementaires pour renverser en sa faveur la majorité de gouvernement, jouir désormais corrélativement de pleins pouvoir au Congo et affirmer un positionnement de plus en plus ferme face aux ingérences régionales et diktats occidentaux, quitte à durcir le ton et à rompre avec des alliances initiales.
Leurre ou lueur d’une percée diplomatique d’envergure ?
Jadis cassant et méprisant dans les arènes de politique internationale, Paul Kagamé semble désormais avoir beaucoup perdu de son aura et de son influence sur la scène diplomatique. Certes, une évidente victoire diplomatique de Kinshasa ; mais dont les subites prouesses renferment des mystères insondables aux yeux de plusieurs observateurs. Une victoire diplomatique le Rwanda et Kagamé sont désormais dans l’œil du cyclone. Dorénavant, en effet, explicite cible des diverses attaques à divers niveaux, Paul Kagamé, plus spécialement, perd par ce fait de son aura et de sa suffisance dans les arènes internationales. De là à relever une percée diplomatique d’envergure pour Kinshasa, il n’y a qu’un pas que d’aucuns ont allègrement franchi. Le plus bluffant étant le fait que le receleur Tshilombo ait réussi, non seulement à se défaire en interne de l’emprise de son tuteur Kanambe ; mais, plus épatant en sus, à mettre l’intriguant Kagamé en réelles difficultés sur la scène internationale.
La scène géopolitique est en pleine effervescence, et Kinshasa semble avoir marqué un point décisif face à Kigali. Paul Kagame, jadis intouchable, est désormais sous les feux des projecteurs, et le Rwanda est devenu une cible explicite d'attaques à divers niveaux. Cette situation marque un tournant notable dans la rivalité historique entre les deux nations, et la victoire diplomatique de Félix Tshisekedi soulève de nombreuses questions. Analyse d’un succès politique occulté, d'une réussite diplomatique énigmatique.
D'où vient cette possible déterminante réussite diplomatique ?
Cette manifeste victoire diplomatique de Kinshasa sur Kigali ou de Tshilombo sur Kagame est bien loin d’être fortuite ; elle résulte plutôt d’une convergence de plusieurs facteurs décisifs :
- l'usure de l'image de Paul Kagame. Au fil du temps, l'image de « faiseur de miracles » que Paul Kagame cultive depuis des décennies a commencé à s'effriter et s’éroder sous les coups de boutoir des rapports d’experts[i] et des grandes monographies aux titres si évocateurs comme tels que « Rwanda : Assassins sans frontières », de Michela Wrong ou « Ces tueurs tutsi, Au cœur de la tragédie congolaise » de Charles Onana... Les accusations répétées de tueries de masse et violations des femmes à des échelles effroyables par son soutien direct à des groupes armés dans l'Est de la RDC et de répression de l'opposition au Rwanda ont progressivement terni sa réputation sur la scène internationale. La patience des partenaires occidentaux, qui ont longtemps privilégié la stabilité et la croissance économique rwandaise, semble avoir atteint ses limites face à la persistance des tensions régionale ;
- la nouvelle donne au Congo et soubassement d’une stratégie diplomatique de combat. Contrairement à ses largesses du début, hédoniste Tshilombo s’est progressivement montré peu enclin à partage les richesses du Congo en dehors de sa famille biologique ; il adopte alors une approche plus protectrice, proactive et offensive sur l’exclusivité d’accès aux mines. Il a su capitaliser sur les frustrations internationales vis-à-vis de Kagame en multipliant les déplacements, les rencontres avec les chefs d'État et les organisations internationales. Son discours, axé sur la souveraineté de la RDC et la dénonciation de l'agression rwandaise, a fini par trouver un écho favorable ;
- l’avantage d’un contexte international favorable. Dans une conjoncture internationale ébranlée par de vives tensions et plusieurs conflits ouverts, les mandants de Paul Kagamé se voient de plus en plus contraints de se faire discrets là la justice fait défaut et où l’ingérence est grossière. Les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient ont notamment mis en lumière les attitudes discutables de l’Occident. La poussée russe et chinoise sur l'Afrique a par ailleurs soulevé des inquiétudes en Occident et obligé les néocolonialistes à soigner leurs approches. La paix et la stabilité, même en Afrique, a pris de l'importance subitement dans la préoccupation occidentale. C’est dans ce contexte que les actions du Rwanda dans l'Est de la RDC sont devenues plus difficiles à justifier ou à ignorer…
Comment et sur quelles bases s'est bâtie ce succès diplomatique ?
Cette victoire diplomatique s'est construite sur des bases solides :
- le rapport des experts de l'ONU. Les rapports successifs des experts de l'ONU, documentant le soutien du Rwanda au M23 et les exactions commises, ont joué un rôle crucial. Ces preuves accablantes ont permis à Kinshasa de présenter un dossier solide et de mobiliser la communauté internationale ;
- le renforcement des alliances régionales. Tshilombo a cherché à impliquer plusieurs acteurs dans le conflit rwando-congolais en recherchant et scellant des alliances au sein de la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE) et de la SADC, en dépit des tensions. L'appui de pays comme l'Angola et la Tanzanie a été déterminant pour isoler diplomatiquement le Rwanda ;
- la mobilisation et la pression de la société civile congolaise. A l’instar de l’action médiatique de Mukwege, Prix Nobel de la Paix, la mobilisation constante de la société civile congolaise, dénonçant l'agression rwandaise et les massacres dans l'Est du Congo, a contribué à maintenir la pression sur les acteurs internationaux et à sensibiliser l'opinion publique mondiale…
Qu'augure donc à court et moyen terme cette percée diplomatique ?
A l’observer de plus près, cette brillante brèche diplomatique est solide et augure de nombreux scenarii à court et moyen terme :
- À court terme :
- pression accrue sur le Rwanda. Fini le prestige de l’enfant modèle ! Le Rwanda et Kagamé devraient désormais faire face à des pressions internationales accrues pour sortir les troupes rwandaises du Congo ainsi que, potentiellement, sous forme de sanctions ciblées ou de réduction des aides internationales ;
- renforcement de la position de la RDC. La RDC pourrait voir sa position renforcée dans les négociations régionales et internationales en bénéficiant des soutiens plus importants pour la stabilisation de l'Est du pays ;
- tensions persistantes. En effet, il est peu probable que les tensions entre le Congo et le Rwanda disparaissent du jour au lendemain. Coupé dans son élan expansionniste et brutalement privé d’importants revenus financiers, le Rwanda pourrait chercher à riposter par d'autres moyens, même si sa marge de manœuvre est réduite…
- À moyen terme :
- vers une résolution définitive du conflit rwando-congolais ? à l'image des processus du Qatar et de Washington, cette nouvelle donne diplomatique régionale pourrait ouvrir la voie à des négociations plus conséquentes sous des pressions assez normatives sur les uns et les autres, notamment sur le M23 et ses soutiens, pour envisager, enfin, une résolution durable de ce conflit rwando-congolais qui n’a que trop duré et causé trop de pertes et de souffrances au Congo ;
- redéfinition des équilibres régionaux. Le Congo pourrait-il retrouver la place, qui fut la sienne du temps du Maréchal Mobutu ? On peut l’espérer ; car, l'ascension diplomatique de la RDC pourrait redéfinir les équilibres d’influence au sein de la région des Grands Lacs, avec un rôle potentiellement plus affirmé pour Kinshasa ;
- des défis persistants pour la RDC. Cependant, malgré cette belle percée, le Congo devra néanmoins faire encore face à d'immenses et innombrables défis internes ; au premier rang desquels, spécialement la naissance d’une armée nationale, la bonne gouvernance et la neutralisation des autres groupes armés…
En somme, si on reconnaît que la brèche diplomatique ainsi ouverte par Kinshasa est la résultante d'une stratégie patiente et résolue, conjuguée à un contexte international plus favorable, force est corrélativement d’admettre qu’une embellie durable dépendra davantage d’efforts internes pour la conserver et l’entretenir. Si elle n’assure pas une paix directe, cette percée ouvre visiblement une nouvelle page dans la complexe relation entre la RDC et le Rwanda, avec des implications majeures pour la stabilité de toute la région.
Le Rwanda est désormais dans l’œil du cyclone…
L'embellie en perspective pour le Congo contraste forcément avec une détérioration corrélative de la situation pour le Rwanda ; qui entre dorénavant dans la fournaise. La fragilité en perspective de Kigali semble inéluctable à plus d’un point de vue. Pourquoi et comment, en effet, avec la percée diplomatique de Kinshasa, c'est Kigali qui entre désormais dans la tourmente ? Quelles sont les difficultés auxquelles s'expose le Rwanda ? Quels facteurs peuvent aggraver sa situation sur le plan politique, au niveau économique et social éventuellement ainsi que du point de vue diplomatique ?
Le Revers de Fortune du Rwanda Face à la Percée Diplomatique de Kinshasa
La récente avancée diplomatique de Kinshasa, notamment symbolisée par le réchauffement de ses relations avec des acteurs internationaux clés et des initiatives de paix régionales, semble avoir des répercussions significatives sur le Rwanda. Alors que la République Démocratique du Congo (RDC) gagne en crédibilité et en soutien sur la scène internationale, Kigali se retrouve de plus en plus sous les projecteurs, confronté à des défis croissants sur les plans politique, économique et diplomatique.
Pourquoi Kigali entre-t-elle dans la tourmente ?
La percée diplomatique de Kinshasa est effective et elle peut être interprétée de plusieurs manières ; cependant, elle se manifeste principalement par une meilleure écoute et un soutien accru de la communauté internationale aux préoccupations exprimées par la RDC. Parmi celles-ci, le Congo semble désormais bénéficier d’une meilleure écoute notamment en ce qui concerne la sécurité dans l'Est du pays et les allégations de soutien rwandais aux groupes armés. Historiquement, le Rwanda a longtemps profité d'une certaine impunité ou, du moins, d'une compréhension indulgente de ses forfaits, souvent justifiés, se défend-il, par des impératifs de sécurité nationale post-génocide. Cependant, cette narrative est dorénavant exponentiellement remise en question à mesure que la RDC parvient à mieux articuler sa position et à rallier des soutiens.
Plusieurs facteurs contribuent à cette évolution de la situation :
- accusations répétées de soutien aux groupes armés. Sous le régime de l’imposteur Kanambe, ce genre de dénonciations étaient quasiment inexistantes par la voie officielle. Avec Tshilombo et subitement, des voix s’élèvent en revanche pour accuser Kigali de soutenir le M23 et d'autres groupes armés dans l'Est ; ce qui déstabilise la région et entrave les efforts de paix. La multiplication de rapports d'experts des Nations Unies et les condamnations de plus en plus explicites de la communauté internationale pèsent lourdement sur Kigali ;
- changement de perception internationale. C’est évident, plusieurs alliés traditionnels du Rwanda, la Belgique et le Royaume-Uni, par exemples, sont ouvertement enclins à revoir leur position face au cumul de preuves et à la pression diplomatique alliée des Organisations Non Gouvernementales (ONG) et de Kinshasa. La RDC a redoublé d'efforts pour présenter son cas, en mettant en avant les souffrances de sa population et l'impact de l'insécurité sur son développement ;
- dynamiques régionales évolutives. Des initiatives de paix régionales, comme celles menées par l'Angola ou le Kenya, bien qu'éprouvantes, ont placé le Rwanda dans une position où il doit justifier ses actions et coopérer, sous peine d'isolement.
Désormais au centre de la mêlée, le Rwanda doit affronter et surmonter plusieurs types de difficultés auxquelles il s'expose :
- isolement diplomatique croissant. Si les accusations persistent et sont corroborées, le Rwanda risque de voir ses relations se détériorer avec des pays clés et des organisations internationales sensibles au respect des droits humains. Ce qui pourrait se traduire par des sanctions ciblées, pression accrue pour des réformes et, surtout, une diminution de l'aide au développement, dont son économie est tributaire ;
- pressions économiques. Une détérioration de la situation diplomatique peut avoir des conséquences économiques directes dévastatrices. Car, avec son économie extravertie, la diminution des investissements étrangers, la baisse de l’attraction de son tourisme ainsi que des difficultés d'accès à certains marchés et financements internationaux pourraient affecter durablement sa stabilité économique et sociale ;
- tension interne et légitimité du régime. La légitimité du régime rwandais, déjà critiquée pour son espace politique restreint et les préoccupations en matière de droits de l'homme, pourrait être davantage ébranlée par des pressions internationales croissantes en perspective. Cela pourrait potentiellement entraîner un mécontentement interne et déstabiliser les institutions, bien que le contrôle du gouvernement soit fort…
La suite de la situation du Rwanda pourrait s’avérer encore plus périlleuse ; lorsqu’on s’appesantit sur divers facteurs aggravants, à même d’exacerber les difficultés, qui s'affichent à l’horizon :
- persistance de l'insécurité dans l'Est de la RDC. Si la violence et l'instabilité persistent dans l'Est de la RDC, et que le Rwanda est perçu comme un acteur clé de cette crise, la pression internationale sur Kigali ne fera que grossir. Chaque incident majeur dans la région confortera le narratif de la RDC ;
- rapports accablants d'organisations internationales. De nouveaux rapports d'experts de l'ONU ou d'organisations de défense des droits de l'homme, qui mettent en évidence le soutien rwandais aux groupes armés ou des violations des droits humains, pourraient considérablement ternir son image, nuire à sa réputation et entraîner des actions plus fortes de la part de la communauté internationale ;
- changement d'alliances ou de priorités des partenaires clés. Si des pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, qui ont historiquement soutenu le Rwanda, décident de réaligner leurs politiques en raison de l'évolution de la situation, cela représenterait un coup très dur pour Kigali. Il y a déjà des élans dans ce sens. Ces partenaires pourraient privilégier la stabilité régionale et le respect du droit international ;
- dégradation des relations avec les voisins régionaux. Si les tensions avec la RDC s'étendent à d'autres pays voisins ou que les initiatives de paix régionales échouent en raison de l'intransigeance rwandaise perçue, cela isolerait davantage Kigali et compliquerait toute tentative de résolution des conflits. La crise à la Communauté Économique des États de l'Afrique Centrale (CEEAC) suivie du retrait fracassant du Rwanda de cette grande institution en a été un séreux indice…
En somme, la percée diplomatique de Kinshasa a le potentiel de bouleverser l'équilibre des forces dans la région. Il place désormais le Rwanda sous une pression inédite. La manière dont Kigali réagira à ces défis déterminera sa position future sur la scène régionale et internationale. S'adaptera-t-il à ce nouveau paradigme en privilégiant la coopération, ou persistera-t-il dans une stratégie qui pourrait conduire à son isolement croissant ? Pour avoir trouvé une formule payante, Kinshasa devrait plutôt poursuivre sur sa lancée.
Paul Kagamé dans la tourmente
S’il faut des preuves pour convaincre certains que la rupture est désormais effective entre Tshilombo et son ex-mentor Paul Kagamé, la dureté de la situation dont ce dernier, jadis assez fier de son ascension et davantage hautain pour l’afficher systématiquement par ses aises, souffre à présent sur la scène internationale. Lourdement incriminé dans divers rapports des experts, solennellement interpellé dans des sessions internationales et publiquement apostrophé par des journalistes sur ce dont Kinshasa l’accuse officiellement, Kagamé ne semble plus jouer du théâtre avec Tshilombo dans un scénario de conflit. Certes, à la lumière de ce qui précède, la percée diplomatique de Kinshasa déstabilise le Rwanda ; mais, mieux encore, elle a réussi à placer Paul Kagamé dans la situation la plus inconfortable qu’il n’a jamais connue. La fréquence accélérée de ses scènes de colère et la multiplication de ses décisions intempestives témoignent de ses états d’âme. L’exploit congolais surprend autant ses partisans que ses détracteurs.
Longtemps perçu comme un leader visionnaire et incontesté dans la région des Grands Lacs, Paul Kagamé, voit aujourd'hui son aura, son prestige et son influence s’éroder. De plus en plus ciblé par des critiques à divers niveaux, Kagamé fait face à des accusations croissantes concernant son rôle dans les conflits régionaux et donc, spécialement dans l’Est du Congo. Ces attaques ont fragilisé sa position, et sa suffisance, autrefois impertinemment affichée sur les scènes internationales, s’estompe peu à peu. Corrélativement, les observateurs ouvrent les yeux sur d’autres impairs de son action ; de très sévères critiques pleuvent sur désormais sa gouvernance. Tueur au Congo et ailleurs, on lui reproche également d’assassiner à la pelle ses opposants politiques et de violer massivement les droits humains dans son pays. Suite à la multitude de ses turpitudes et de ses maladresses administratives, il est de plus en plus ouvertement qualifié de tyran. Le crépuscule de son règne semble irréversible.
Se méfier des évidences…
Il ne faut surtout pas prendre pour argent comptant tout ce qui semble aller de soi. Acteurs, des politiciens peuvent se mettre en scène dans des scenarii inimaginables pour des communs des mortels lorsque leurs sublimes enjeux le leur commandent. Ainsi avons-nous appris que François Mitterrand organisa lui-même son propre enlèvement[ii]. Des exemples de politiciens qui se nuisent eux-mêmes pour des gains politiques, en utilisant des tactiques controversées qui attirent l'attention, suscitent le débat, ou créent un sentiment d'injustice dans l'opinion sont légion. De là à voir des véreux de la trempe de Kagamé, Kanambe et Tshilombo se livrer à feindre des choses et d’autres pour désorienter les opinions publiques sur ce qu’ils font en réalité, il n’y a qu’un pas que d’aucuns franchiraient allègrement. Ils en sont facilement capables…
Cependant, leur conflit a pris tellement des proportions tragiques et mobilisé trop d’acteurs de si haute envergure que la simple dissimulation pour des gains politiques ne serait opportunément plus de mise. Nous en déduisons, et cela reste une hypothèse, que Tshilombo et son régime réussisse effectivement, dans la situation actuelle, une avancée diplomatique notable. Ainsi, longtemps perçu comme faible, infiltré et incompétent, le gouvernement congolais, par ses brillants résultats diplomatiques, projette désormais une image plus rassurante et plus honorable sur la scène internationale. En persévérant dans cette veine, il peut encore performer à la hauteur des attentes nationales, démystifier et incarner, par des alliances stratégiques opportunes, le rôle, tant rêvé, de libérateur.
Cependant, ce succès diplomatique contraste fortement avec la situation intérieure au Congo. Des pactes stratégiques propices au gré de la conjoncture peuvent permettre aujourd’hui à Tshisekedi de repositionner la RDC au cœur des discussions régionales et internationales, à l’inverse, le régime est fort critiqué pour ses insuffisances en matière de gouvernance. La corruption infernale, le tribalisme exacerbé, la mal-gestion des ressources, les diktats étrangers et les noces bilatéraux contestés cristallisent les tensions. Le pays oscille entre stagnation et opportunités de renouveau…
Aussi, le Congo se trouve-t-il à un nouveau tournant décisif de son histoire. D’un côté, les percées diplomatiques de Tshilombo sur la scène internationale, notamment face à un Paul Kagamé, qu’il a largement affaibli, offrent de réelles raisons d’espérer. De l’autre, les lacunes criantes de sa gouvernance intérieure rappellent que l’avenir du pays dépendra avant tout de sa capacité à se réinventer. Une RDC forte et unie ne pourra émerger qu’à travers une gestion transparente, une mobilisation nationale sans discrimination et des efforts collectifs pour relever les défis structurels qui freinent son développement. Le moment est venu pour le Congo de s’engager résolument sur la voie de la transformation, en combinant vision, patriotisme et action concrète. Le tribalisme notamment, lorsqu’il est si violemment exacerbé, devient un sérieux handicap et une force destructrice dans un État multiculturel comme la RDC.
En effet, avec plus de 450 groupes ethniques recensés, la RDC est l’une des nations les plus culturellement diversifiées au monde. Cependant, cette richesse culturelle à promouvoir peut rapidement se transformer en une source de tensions et de divisions si un sentiment tribaliste dominateur prend racine, surtout à la tête de l’État. L’actuel tribalisme exacerbé, qui favorise un groupe ethnique au détriment des autres, sape les fondements de la cohésion nationale et entrave tout effort de développement durable.
Eclairage,
Chronique de Lwakale Mubengay Bafwa
[i]. Déstabiliser pour piller, une nouvelle enquête de Global Witness indique que le négociant international en matières premières Traxys, dont le siège est basé au Luxembourg, achète du coltan extrait en zone de conflit puis le transfert clandestinement de la République démocratique du Congo (RDC) au Rwanda…
[ii]. François Mitterrand et le mystérieux "attentat" de l'Observatoire, dans la nuit du 15 au 16 octobre 1959, cité et mis à jour par la rédaction de l'INA - le 15.10.2019.