Entre calculs stratégiques, limites logistiques et pressions internationales, l’AFC/M23 serait-elle en manque d’inspiration ! La guerre en République démocratique du Congo (RDC) offre aujourd’hui un spectacle assez bizarre avec des fronts figés ; alors que, initialement, l'Alliance fleuve Congo (AFC)/ Mouvement du 23 mars (M23) semblait avoir le vent en poupe en s’accaparant de manière éclaire de la majeure partie du Kivu. Quelles sont les raisons qui bloquent la progression des rebelles de l’AFC/M23, pendant que, parallèlement, les médias annoncent des efforts quintuplés et accélérés par Kinshasa pour se réarmer et accroître ses effectifs militaires en vue de déloger les rebelles des zones qu’ils occupent ? Naïveté ou simple erreur stratégique de l’AFC/M23, insuffisance de moyens pour progresser ou obéissance à des injonctions extérieures ?

La guerre en RDC, marquée par une instabilité chronique dans les provinces de l’Est, offre aujourd’hui un tableau paradoxal. Après une avancée fulgurante initiale, les rebelles de l’AFC/M23 semblent désormais figés sur leurs positions dans le Kivu et laissant plusieurs observateurs perplexes. Qu’est-ce qui freine leur progression, alors qu’ils savent que, entretemps, Kinshasa redouble d’efforts pour se fortifier dans ses zones menacées et se réarmer en vue de reprendre les territoires occupés ? Est-ce une simple erreur de stratégie, un manque de moyens ou le résultante de pressions extérieures ? Ceux, qui nous liront jusqu’au bout, jugeront nos hypothèses sur les forces réelles en présence ainsi que les stratégies des uns et des autres.
Pourquoi les fronts se figent après des victoires initiales si rapides ?
L’AFC/M23, connue pour ses tactiques de guérilla et ses assauts éclairs, a marqué les esprits avec ses gains rapides dans le Kivu ; notamment avec la prise des villes grandioses telles que Goma et Bukavu. Cette avancée soudaine a alimenté la panique ou suscité l’exaltation chez les observateurs et dans la population congolaise, selon que l’on craint un renversement du régime de Kinshasa ou que l’on le souhaite ou que l’on appréhende une déstabilisation majeure redoutée de la région. Cependant, contre toute attente, ces gains stratégiques n’ont pas été suivis par une avancée continue de l’AFC/M23. Alors que les enjeux sont évidents, les fronts restent sans cesse figés ; comme suspendus dans une guerre sans véritable issue.
Les analyses sur les raisons de cette stagnation se multiplient. Certains experts évoquent des erreurs stratégiques des rebelles, tandis que d’autres pointent du doigt des facteurs plus complexes, allant des limites logistiques à des injonctions exercées par de puissants commanditaires extérieurs. Cette paralysie actuelle pourrait être temporaire ou, au contraire, annoncer une nouvelle phase dans ce conflit de longue haleine. Toutefois, une chose semble certaine : les clés pour comprendre la dynamique, qui se joue ici, se trouvent non seulement sur le terrain, mais aussi dans les arènes diplomatiques et géopolitiques qui entourent la région…
Ces efforts accrus de Kinshasa pour se réarmer : un facteur déterminant ?
Épouvanté par le spectre de renversement agité par l’AFC/M23, le régime de Kinshasa a entrepris de quintupler ses efforts pour mieux équiper et renforcer son armée. Les animateurs des institutions se sont mobilisés pour lancer d’intenses campagnes de recrutement pour augmenter les effectifs militaires. Le réarmement matériel a pris l’ascenseur en bénéficiant notamment de soutiens régionaux et internationaux. Des stratégies de défense des régions menacées et de reconquête des zones occupées ont été mises en place.
Par ces efforts redoublés de perfectionnement des équipements, de fortification des moyens de défense et de majoration des effectifs, le régime de Tshilombo ne pas seulement à améliorer ses positions face à une guerre qui s’annonce longue et à issue imprévisible. Il escompte exercer également des pressions psychologiques, politiques et militaires sur les rebelles. Face à une armée mieux équipée, plus nombreuse et bien motivée, ces rebelles pourraient commencer à hésiter d’avancer ou à craindre des pertes. Cette dynamique pourrait expliquer, en partie, leur immobilisme actuel.
Certes, les rebelles ne progressent ; mais Kinshasa ne tente pas non plus de récupérer les zones que l’AFC/M23 lui a arrachées. Toutefois, le réarmement du régime de Kinshasa a aussi un spectre plus large que ce que représentent les Forces Armées de la RDC (FARDC). Ainsi, le renforcement des capacités des FARDC implique également ce que peuvent apporter ou retirer ses alliés régionaux :
- réarmement et entraînement. Kinshasa a effectivement multiplié ses efforts pour renforcer son armée, FARDC, et accroître leurs effectifs. Certes, cela inclut l'acquisition de matériel militaire ; mais potentiellement aussi un meilleur entraînement des troupes pour espérer réduire l'écart de puissance initial et rendre ses lignes de front plus difficiles à percer par les rebelles. Ce réarmement massif prend du temps et serait à l’origine de la temporisation obligée pour Kinshasa ;
- soutiens régionaux et internationaux. Bien que des forces de la Communauté de Développement de l'Afrique Australe (SADC) et d'autres partenaires se soient retirées ou aient vu leur rôle évoluer, la RDC continue de bénéficier d'un certain soutien. Parallèlement, des groupes armés locaux, parfois désignés comme "patriotes" ou "milices", se sont alliés aux FARDC pour lutter contre le M23/AFC. La mise en place de la coordination de ces forces est un long processus ; d’un côté, il peut exiger du temps conséquent et, de l’autre côté, dissuasif, il peut freiner les impulsions des rebelles ; lorsque ceux-ci découvrent une résistance plus forte et des fronts plus difficiles à contourner ;
- changements de tactiques. Au vu des harcèlements qui se multiplient sur le terrain, les FARDC et leurs alliés semblent avoir adapté leurs stratégies pour contrer les tactiques d'avancée rapide du M23, en se concentrant sur la défense de positions clés et en menant des contre-attaques ciblées…
Manque de moyens ou nouvelle stratégie par l’AFC/M23 ?
Malgré leur réputation de combattants aguerris, les rebelles de l’AFC/M23 ne sont pas exempts de contraintes logistiques et n’évoluent pas de manière linéaire. L’occupation de grandes portions de territoire nécessite des ressources considérables : ravitaillement, effectifs en rotation constante et équipements. Très critiques à l’égard du régime de Kinshasa, les rebelles se préoccupent de mettre un point d’honneur sur la qualité de leur gouvernance pour montrer la différence ceux qu’ils blâment. Ces exigences pourraient peser lourdement sur les capacités des rebelles à s’acquitter convenablement des obligations qui leur incombent et réduisent leur aptitude à poursuivre leur progression.
En outre, il est possible que l’AFC/M23 ajuste sa tactique. Plutôt que de chercher à gagner précipitamment du terrain, les rebelles pourraient se soucier de consolider leurs positions actuelles afin d’évoluer avec le plus d’assurance possible, de négocier en position de force sur le plan politique et diplomatique. Cette stratégie pourrait refléter un calcul pragmatique dans une guerre où chaque mouvement a des conséquences majeures. Une hypothèse justifiée et démontrée par des expériences récentes et du passé.
Le Front Patriotique Rwandais (FPR), dont l’AFC/M23 est issue, s’est illustré par son subtile recours à la stratégie du « talk and fight »[i], par laquelle il a renversé, en 1994, le régime de Juvénal Habyarimana[ii]. De même, l'affirmation selon laquelle le M23 est resté immobile trois ans durant à Bunagana, sans poursuivre sa progression militaire, ne correspond pas aux informations disponibles sur le sujet. En réalité, le M23 a continûment été très actif, en exposant ses doléances, en réclamant le dialogue, proposant des négociations, en progressant de manière structurée, en gagnant des territoires et en visant des villes stratégiques ; tout en s’assurant des bases arrière solides. En d'autres termes, en appliquant la stratégie du « talk and fight ».
Voici quelques points clés concernant l'activité du M23, en particulier autour de Bunagana et dans l'Est de la RDC :
- prise de Bunagana en 2022. Le M23 a capturé Bunagana, une ville frontalière stratégique avec l'Ouganda, le 13 juin 2022. Cela a marqué une avancée significative pour le groupe ;
- reprise des combats en 2021 et avancées continues. Après avoir été en grande partie vaincu en 2013, le M23 a repris les armes fin 2021, accusant le gouvernement congolais de ne pas avoir respecté un accord de démobilisation et de réinsertion. Depuis cette résurgence, le groupe a fait des avancées notables ;
- progression vers Goma et Bukavu. Le M23 a continué d'étendre son contrôle, prenant d'importants centres dans les territoires de Rutshuru et Masisi, et même la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma, en janvier 2025 ; alors que, dans la foulée, l'offensive du M23 sur Bukavu, s’est soldée par sa capture le 16 février 2025 ;
- objectifs à long terme. Le M23 et ses soutiens régionaux semblent avoir des objectifs à long terme de maintien, d'expansion et de gestion des territoires sous leur contrôle, en y développant des infrastructures, en y instaurant des structures viables de gouvernance parallèles à celles de Kinshasa, en y modernisant et en y intensifiant l'extraction de minerais.
Il est possible que l'idée d'une immobilité prolongée à Bunagana vienne d'une période de cantonnement ou de négociations infructueuses après la défaite de 2013 ; mais, depuis sa résurgence en 2021, le M23 n’a cessé de s’illustrer par une dynamique militaire constante de conquête et d’extension. Les motivations à la base de leurs interventions sont variées et complexes ; elles incluent notamment des revendications de non-respect d'accords de paix antérieurs, la protection des communautés rwandophones ainsi que des enjeux liés à la gouvernance locale et aux ressources.
De manière un plus exhaustive, les limites inhérentes à la progression des rebelles peuvent s’articuler autour d’autres points focaux moins saillants dont les plus caractéristiques peuvent être :
- logistique et maintien des acquis. En effet, même avec un soutien extérieur prépondérant, la progression rapide du M23/AFC sur de vastes zones montagneuses entraîne des défis logistiques considérables. Il faut prendre en compte l’exigence de maintenir les lignes d'approvisionnement, de bonne gouvernance des zones conquises où végètent des résidus déstabilisateurs ainsi que la préoccupation de gérer délicatement les populations déplacées ou affectées par le conflit qui requièrent des ressources innombrables ;
- fatigue des troupes et moral. Une offensive éclair, bien que spectaculaire, peut être difficile à maintenir sur le long terme. Les troupes peuvent souffrir de fatigue, de pertes et d'un moral affecté par des contre-offensives ou des difficultés d'approvisionnement. Ces accrocs sont encore plus paralysants lorsqu’il y a encore des poches de résistance de l’armée battue, qui harcèle continûment dans la zone conquise ;
- pression internationale et négociations. La forte pression internationale exercée sur le M23 et ses soutiens présumés, ainsi que les efforts diplomatiques (comme les pourparlers à Doha), peuvent avoir un impact sur la volonté du groupe de poursuivre des offensives majeures. Un cessez-le-feu, même partiel ou fragile, peut figer les lignes de front…
L’inévitable rôle des pressions extérieures…
Par ailleurs, les injonctions extérieures pourraient s’avérer plus prépondérantes et déterminantes qu’il apparaît. Car, la région des Grands-Lacs est un théâtre d’influences internationales complexes, où plusieurs pays et acteurs étrangers sont des commanditaires exigeants et ont des intérêts stratégiques qui peuvent se révéler très délicats. Certains pourraient avoir joué des rôles majeurs dans le ralentissement de la progression de l’AFC/M23. Selon la nature des alliances, cela a pu s’opérer par diverses formes de menaces : des réductions de soutien logistique ou des pressions diplomatiques.
Les relations entre la RDC et ses voisins, notamment avec le Rwanda et l’Ouganda, sont souvent mises en cause dans ce conflit. Bien que Kigali et Kampala aient officiellement démenti tout soutien à l’AFC/M23, des rapports indépendants continuent de faire état de connexions implicites flagrantes. Sous des projecteurs depuis belle lurette, le Rwanda plus spécialement à beaucoup à perdre sur au niveau international. Il se voit désormais dans l’obligation de freiner ses élans. Il en est de même pour l’Ouganda ; qui a déjà fait objet d’une condamnation par la Cour Internationale de Justice (CIJ) en 2022[iii]. Dépendants de leurs parrains ou commanditaires rwandais et ougandais, les rebelles obtempèrent forcément aux injonctions de ces derniers de peur que leurs soutiens s’estompent sous la pression internationale. Leur attentisme y serait corrélé.
Parmi les autres points focaux, autour desquels s’articule l’obéissance à des injonctions extérieures et à des objectifs stratégiques, on peut mentionner :
- rôle du Rwanda. Des rapports d'experts de l'ONU et d'autres sources ont constamment accusé le Rwanda de soutenir le M23. Si ce soutien est réel, les objectifs et la stratégie du M23/AFC pourraient être largement dictés par des intérêts extérieurs. Un "blocage" apparent pourrait alors correspondre à une pause tactique, à un ajustement stratégique dicté par Kigali, ou à une volonté d'asseoir le contrôle sur les zones déjà acquises avant de tenter de nouvelles avancées. L'objectif pourrait être moins une prise de pouvoir à Kinshasa qu'une mainmise sur les ressources naturelles du Kivu et l'établissement d'une zone d'influence ;
- négociations et jeu politique. La guerre n'est pas uniquement militaire, elle est aussi politique. Le fait que l'AFC, l'aile politique du M23, s'engage dans des pourparlers peut signifier que la phase militaire a atteint ses objectifs ou qu'une stratégie de pression a été adoptée pour obtenir des concessions politiques à la table des négociations. Les fronts figés pourraient être la résultante logique de ces dynamiques diplomatiques ;
- objectifs non militaires. Au-delà des gains territoriaux, les objectifs de l'AFC/M23 et de leurs soutiens pourraient inclure le contrôle de routes commerciales, de zones minières, ou l'affaiblissement de l'État congolais pour des raisons de sécurité régionale perçue ou d'accès aux ressources. Une fois ces objectifs atteints dans une certaine mesure, la progression militaire pourrait marquer temporairement le pas.
Un avenir bien incertain pour le Congo…
La guerre en RDC reste un conflit aux ramifications multiples, avec des protagonistes aux motivations diverses. L’AFC/M23, autrefois en pleine ascension, fait désormais face à une série de défis complexes qui limitent sa progression. Pendant ce temps, Kinshasa continue de renforcer ses capacités militaires, espérant reprendre les hostilités et l’avantage. Cependant, certains voient l’attentisme actuel une étape vers la balkanisation du pays…
La situation dans l'Est de la RDC est complexe et plusieurs facteurs peuvent expliquer le blocage actuel de la progression de l'AFC/M23, malgré leurs avancées initiales, et ce, en parallèle des efforts de Kinshasa pour se réarmer. Il est difficile de parler de "naïveté ou simple erreur stratégique" de l'AFC/M23, car leurs motivations et leur mode opératoire sont profondément enracinés dans un contexte historique et géopolitique particulier. Aussi, le "blocage" actuel de la progression de l'AFC/M23 est probablement le résultat d'une combinaison de divers facteurs : le renforcement des capacités de l'armée congolaise et de ses alliés, les limites inhérentes à toute offensive militaire prolongée, et surtout, les dynamiques complexes d'un conflit où les motivations et les directives extérieures jouent un rôle prépondérant. Il s'agit moins d'une "naïveté" que d'une phase potentiellement planifiée d'une stratégie plus large, dans un environnement géopolitique volatile.
Eclairage,
Chronique de Lwakale Mubengay Bafwa
[i]. Cette expression anglaise se traduit en français par "négocier et combattre". Il s'agit d'une stratégie où une partie au conflit poursuit simultanément des négociations et des actions militaires. Cela signifie qu'elle cherche à atteindre ses objectifs par la diplomatie ; tout en se préparant à une victoire militaire.
[ii]. Mort assassiné le 6 avril 1994 à Kigali.
[iii]. En 2022, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a condamné l'Ouganda à verser 325 millions de dollars à la République Démocratique du Congo (RDC) en réparation des dommages causés par l'occupation ougandaise pendant la Seconde Guerre du Congo (1998-2003)