Analyse prospective des recompositions politiques
La démission récente de Vital Kamerhe de la présidence de l'Assemblée nationale de la République démocratique du Congo (RDC), face à une pétition de destitution, est un événement majeur qui rebat les cartes de la politique congolaise. Sa chute va profondément bouleverser l’échiquier politique national. Corrélativement, l’événement met en lumière plusieurs lignes de fracture et dynamiques d'alliance au sein de l'Union Sacrée de la Nation, la coalition au pouvoir et soutien de l’hédoniste Tshilombo. Ce qui annonce la reconfiguration des alliances entre acteurs politiques au-delà de l'Union Sacrée de la Nation. Déjà, lors de l’examen de cette pétition ciblant particulièrement Vital Kamerhe, le député Justin Bitakwira a créé la polémique face à ses collègues, en déclarant que « Quand ce peuple nous regarde, il pense qu’il a en face de lui des inconscients ». Ce qui laisse augurer des ruptures…
Lignes de fracture émergentes
En effet, alors que les députés étaient convoqués en plénière pour voter le texte de cette pétition, Vital Kamerhe, anticipant les débats houleux sur des griefs attentatoires formulés à l'emporte-pièce, a pris les devants et a annoncé sa démission. Cette démission de Kamerhe est perçue comme le résultat d'une rupture de plus en plus nette entre le président Félix Tshisekedi et son ancien allié. Alors qu'ils avaient formé l'alliance du Cap pour le Changement (Cach) en 2018, la relation s'est dégradée, notamment en raison, selon certains, des ambitions de Kamerhe et de soupçons de corruption. D’aucuns estiment que cette situation est une manœuvre de Tshilombo pour affaiblir les potentiels rivaux en vue de l'élection présidentielle de 2028. Ce qui laisse entrevoir d’autres déchéances…
Une autre fracture importante se situe au niveau de l’ensemble de toute la classe politique congolaise elle-même ; où plusieurs acteurs semblent privilégier les intérêts individuels et partisans aux dépens de la stabilité du pays. Cette crise politique survient dans un contexte de forte insécurité dans l'Est de la RDC ; ce qui soulève de réelles inquiétudes quant à la capacité du gouvernement à faire face aux enjeux nationaux. La pétition de destitution de Kamerhe a été signée par un grand nombre de députés ; laissant ainsi prévoir, au-delà d’un éventuel mécontentement, une implacable détermination stratégique de se positionner pour les échéances en perspective. Les éventuelles lignes de fissure se dessinent à divers niveaux :
- Rupture au sein de la coalition présidentielle. La mise à l’écart de Kamerhe affaiblit la cohésion de la coalition au pouvoir. Ses partisans, souvent issus de l’UNC (Union pour la Nation Congolaise), risquent de se sentir marginalisés, créant des frustrations et tensions avec les alliés de Tshilombo ;
- Affirmation des ambitions personnelles. L’espace laissé vacant par Kamerhe pourrait susciter des ambitions et rivalités mobilisant les prétendants à sa succession, attisant les divisions internes au sein de la majorité présidentielle ;
- Attraction de l’opposition. Certains alliés de Kamerhe, frustrés par sa chute ou se sentant indésirables dans l’Union Sacrée, pourraient se rapprocher de l’opposition, renforçant ainsi les lignes de clivage entre majorité et opposition ;
- Fractures régionales. Depuis des lustres, Kamerhe incarne une représentation forte de l’Est du pays. Sa déchéance, surtout jugée inique pourrait raviver les tensions régionales, notamment autour de la question de la répartition du pouvoir…
Dynamiques d'alliance en perspective
La démission de Kamerhe pourrait modifier les alliances existantes et en créer de nouvelles. Habituée à s’appuyer sur la distribution des espèces sonnantes et trébuchantes, devant lesquelles les politicailleurs congolais sont très friands, l'Union Sacrée de la Nation, désormais véritable irrésistible pôle d’attraction, ne risque d’être déstabilisée que par le trop plein de candidats aux portillons. A l’instar d’Adolphe Muzito, She Okitundu ou autre Mende, d’autres figures influentes de l’opposition frappent déjà à la porte. Un peu partout, des tensions internes et les ambitions personnelles, dorénavant bien palpables, pourraient mener à d’inédites fissures, à d’insolites repositionnements et émergence de nouvelles factions.
Poussé par les événements à adopter une position d'opposition, à l’image autrefois de Jean-Marc Kabund, vis-à-vis du pouvoir en place, Kamerhe aura cependant du mal à se faire une place dans la structure actuelle de l’opposition. Néanmoins, ancien partenaire, ensuite opposant à Hyppolyte Kanambe, alias Joseph Kabila, avant de s'allier à Tshisekedi, son histoire politique et sa solide réputation de « caméléon » très affûté laisse la porte ouverte à moult changements de cap et de camp. Il est possible qu'il cherche à mobiliser son électorat et ses partisans, notamment dans l'Est de la RDC, pour se repositionner sur la scène politique. Des tendances se dessinent en restauration autour et contre Tshilombo :
- Recomposition autour de Tshilombo. L’usurpateur de 2018 pourrait chercher à consolider sa majorité achetée en attirant de nouveaux alliés par des billets de banque et des promotions ou en renforçant les liens avec d’anciens partenaires de Kamerhe, au prix de concessions politiques et pécuniaires ;
- Émergence de nouvelles figures. L’absence de Kamerhe ouvre la voie à de nouveaux leaders, susceptibles de fédérer des groupes déçus ou orphelins de leadership, accélérant la redistribution des cartes au sein du paysage politique ;
- Renforcement de l’opposition. Opposants, surtout les rugueux adversaires pourraient capitaliser sur les déceptions dans la majorité pour attirer vers eux des aigris en quête de nouveaux repères, favorisant ainsi des alliances de circonstance ;
- Alliances régionales et ethniques. Dans un contexte où la représentation régionale demeure sensible, des alliances pourraient se former sur une base régionale ou ethnique, notamment pour défendre les intérêts de l’Est du pays…
Scenarii prévisibles
Présentée comme volontaire, mais vécue comme une défenestration politique et une âpre humiliation, la démission de Vital Kamerhe marque plus qu’un simple changement de fauteuil à l’Assemblée nationale. Elle révèle les fissures d’un pacte politique jadis scellé dans la confiance, et ouvre la voie à des recompositions stratégiques ; dont les contours s’orientent dans divers sens :
- Stabilisation par intégration. Si Tshilombo parvient à intégrer les orphelins politiques de Kamerhe dans son camp, il réussira à maintenir une stabilité relative et contenir les tensions ;
- Fragmentation accrue. À l’inverse, si les tensions s’exacerbent, on pourrait assister à une fragmentation politique accrue, rendant le pays encore plus difficile à gouverner qu’avant ;
- Montée des contestations régionales. L’Est du pays, se sentant exclu, pourrait être le théâtre de nouvelles revendications, voire de mouvements sociaux ou politiques plus marqués…
Véritable catalyseur de recompositions politiques
La démission de Vital Kamerhe de la présidence de l’Assemblée nationale, bien que présentée comme volontaire, est perçue par plusieurs observateurs et analystes de la scène politique congolaise comme un fait accompli, voire une défenestration politique orchestrée par son propre camp. Cela ouvre un champ fertile en déceptions, frustrations, tensions, fissures, reconstitutions en tous les sens et calculs stratégiques divers. Ainsi, cette nouvelle déchéance et déconfiture personnelle de Kamerhe agit comme un catalyseur de recompositions politiques tous azimuts en RDC. Entre fractures internes, reconfigurations d’alliance et enjeux régionaux, l’avenir politique du pays dépendra de la capacité des acteurs à négocier de nouveaux équilibres. Dans tous les cas, la scène politique congolaise s’annonce particulièrement mouvante et sujette à d’importants bouleversements structurels.
Eclairage,
Chronique de Lwakale Mubengay Bafwa