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Lwakale Mubengay BAFWA

Historien et politologue, patriote progressiste et mondialiste originaire du Congo-Kinshasa ; Agrégé de l'enseignement secondaire supérieur, vit à Genève (Suisse)

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Billet de blog 25 septembre 2025

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Vital Kamerhe : démission tactique et prélude à la chute du régime Tshilombo ?

Pourquoi un politique aussi aguerri et réputé pour sa combativité que Kamerhe choisit-il de démissionner d’un poste de pouvoir si immense face à une simple motion de déchéance ? Loin d'être une défaite, ce retrait serait une décision calculée. Surnommé caméléon de la politique congolaise, Kamerhe pourrait se positionner pour une future opposition, anticipant un revirement de l'échiquier politique

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Pourquoi un politique aussi aguerri et connu pour sa combativité que Vital Kamerhe a-t-il choisi de démissionner du perchoir, un poste de pouvoir immense, face à une simple motion de déchéance ? Loin d'être une affligeante capitulation, cette démission pourrait-elle camoufler une décision sciemment calculée ? Par déduction, surnommé le « caméléon » de la politique congolaise, Kamerhe serait-il en train de se positionner pour une future opposition, anticipant un revirement cataclysmique de l'échiquier politique ?

En effet, réputé archi-combatif parmi les politiciens batailleurs les plus accrocheurs de la scène congolaise, Vital Kamerhe semble avoir trop facilement lâché prise, s’être trop bassement résigné sans combat, en démissionnant lui-même du perchoir de l’Assemblée nationale congolaise face à la perspective de sa destitution par vote d’une pétition dont l’issue semblait de plus en plus incertaine au fil des révélations et des controverses. Comme il est également redouté comme un « caméléon » très futé et une performante légende dans la roublardise politique, la manière dont il s’est précipitamment dégonflé et effacé pousse à conjecturer qu’il se projette déjà dans des calculs et spéculations sur le coup d’après… Flair politique particulièrement aigu ou constamment au bénéfice du privilège d’initié, il a prouvé par le passé, échéances électorales de 2006, 2011, 2018 et 2023 en appui, qu’il sait toujours percevoir le camp où va se pencher la « victoire »… Sa rupture en perspective avec le chef d’Etat en fonction augure-t-elle, dès maintenant, la chute de Tshilombo ?

Illustration 2

Le retrait comme manœuvre politique : une capitulation en trompe-l’œil

S’il y avait sur la scène politique congolaise des acteurs plus combatifs que Kamerhe, le débat serait déjà clos ; car, même face à l’endurant exemplaire, qu’a été Etienne Tshisekedi, leur confrontation directe a toujours tourné à l’avantage du « caméléon ». La péripétie la plus humiliante étant l’épisode de 2011 où le « caméléon » a laissé sur le pavé le « Sphinx de Limete » pétrifié, apathique, rebuté et inconsolable, pour convoler en justes noces avec alias Joseph Kabila, sous les regards incrédules du peuple congolais médusé, dégoûté, écœuré et révolté. Néanmoins, en 2018, c’est au côté d’Antoine Tshilombo, le fils d’Etienne Tshisekedi, l’allié naguère trahi, que Kamerhe opère la plus spectaculaire de ses percées politique sur la scène congolaise. Ainsi, réputé pour sa résilience et sa rouerie politique, Kamerhe serait bien loin de fuir le combat sans calcul politique. Donc, plutôt que de subir une déchéance humiliante par une destitution avilissante au détour des débats venimeux, houleux et incontrôlables, où tout peut arriver, l’animal politique avéré a choisi de prendre les devants en organisant lui-même sa sortie par le haut. Ce qui lui permet de garder une certaine dignité et de ne pas être perçu comme un perdant.

Affronter une destitution orchestrée par ceux qui cherchent à l’anéantir l'aurait entraîné dans des disputes piégeuses et forcé à se positionner publiquement contre le clan présidentiel, y compris contre de probables complices. En démissionnant, il esquive des face-à-face périlleux, des conflits directs et évite de brûler trop tôt ses casuels ponts. La démission libère Kamerhe de la responsabilité d’assumer et de défendre le bilan de la majorité présidentielle. Ce qui lui donne plus de marge de manœuvre pour critiquer le pouvoir en place dans la perspective des grandes échéances politiques imminentes ; auxquelles il pourrait même se présenter comme une alternative redoutable contre Tshilombo. Eviter des controverses manifestement oiseuses, des face-à-face hasardeux et se repositionner stratégiquement pour l'avenir, voilà l’enjeu et le défi !

D’ailleurs, l’histoire donne raison à l’iconoclaste manœuvrier. En 2009, sous alias Joseph Kabila, il est déchu du perchoir pour avoir eu le cran de dénoncer publiquement, en divergence frontale avec la Présidence de la République, l’entrée des troupes rwandaises en RDC, marquant son désaccord avec son allié d’alors. In fine, il prit ses distances avec le régime mis en place avec son substantiel apport. L’a-t-il regretté par la suite ? Tout porte à en déduire qu’il en tire de larges bénéfices politiques jusqu’à ce jour. Ce précédent montre qu’il sait transformer une chute en tremplin. L’affûté caméléon ne fuit donc pas la lumière, il l’anticipe intuitivement pour mieux se fondre dans le décor encore confus du pouvoir à venir.

Le passé politique de Kamerhe en démonstration de son sens tactique

Lors des échéances électorales antérieures, toutes ses alliances tactiques décriées par certains et tous les choix stratégiques de Kamerhe se sont avérés, tous et systématiquement, payants :

  • en 2006, il est président de l'Assemblée nationale, lorsqu’il s’aliène l’opinion populaire en décidant de soutenir le camp d’alias Joseph Kabila au détriment de « Mwana mboka » Jean-Pierre Bemba ; alors que celui-ci était au faîte de la popularité, particulièrement à l’ouest du pays. Pari gagné !
  • en 2011, la campagne électorale est entièrement dominée par le duo alias Joseph Kabila, le chef d’Etat sortant d'un côté, et Étienne Tshisekedi, de l'autre côté ; occultant ainsi les autres candidats, du reste, tous qualifiés de témoignage. Malgré de vives protestations tous azimuts, Kamerhe, accusé de gêner le très populaire Etienne Tshisekedi au profit d’alias Kabila, maintient néanmoins aussi sa candidature à la présidence. À l'issue du scrutin, alias Joseph Kabila est proclamé vainqueur.

Acculé dans l’opposition, Kamerhe amorce un périple politique ambigu, marqué notamment par diverses virtualités de transformation et de renaissance qu’il ne se précipite pas à saisir. Ainsi, prônant désormais, comme aujourd’hui, le dialogue inter-congolais comme voie d’issue aux crises politiques conjoncturelles, il a rencontré l’Informateur de l’époque, Charles Mwando, lors des consultations pour la formation du nouveau gouvernement, en mars 2012…

  • en 2018, c'est son alliance décisive avec Tshilombo, qui débouche sur l’accession au pouvoir de ce dernier. Certes, se conjuguant à d’autres pirouettes, cette alliance a prouvé combien Kamerhe est capable de faire, à contre-courant, des choix audacieux et finir par s'allier avec le futur « gagnant »…
  • de 2020 à 2023, il est d’abord directeur de cabinet de la Présidence de Tshilombo lorsqu’il est accusé de détournement des deniers publics. Son procès débouche sur sa condamnation à vingt ans de prison pour détournement de fonds en juin 2020. Remis en liberté et définitivement acquitté une année plus tard, juin 2022, ce politicien madré finit par faire son grand retour dans la vie politique congolaise en mars 2023 ; lorsque Tshilombo le nomme vice-Premier ministre, chargé de l’Économie nationale, à quelques mois des élections générales. Par ce retour sur le devant de la scène, Kamerhe démontre sa capacité à rebondir malgré ses déboires judiciaires et en dépit des épreuves politiques…

Manifestement, la souplesse, l'adaptabilité, la ténacité, l'endurance, la persévérance sont des vertus que Kamerhe se dispute avec peu de gens au monde. Son énorme potentiel à rebondir après des revers fait l’unanimité. Robuste roseau-de-la-passion, n’avait-il pas été exclu de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) ? Sisyphe de la scène politique congolaise, loin de se résigner, il est allé au charbon et remis l’ouvrage sur le métier en créant lui-même l’Union pour la nation congolaise (UNC) ; qui finit par s’imposer parmi les principaux alliés de l’UDPS dans sa conquête du pouvoir.

Le voilà donc artisan privilégié de l’ascension de Tshilombo, avant de lui servir de tandem efficace pendant ses deux riches mandatures à la tête du Congo. N’a-t-il pas resurgi, et comment, après sa condamnation à l’issue du retentissant procès de 100 jours[i] ? Dès lors, la notion de caméléon politique, qui lui colle si bien à la peau, ne se confond nécessairement pas seulement avec le simple opportunisme contextuel ; mais invoque aussi une compréhension profonde des dynamiques de pouvoir pour les exploiter à pic. Aussi, l'accent est à mettre sur sa résilience, sa capacité à s'adapter et à survivre. Son départ du perchoir, loin d’augurer un coup d'arrêt dans la carrière de Kamerhe, annonce plutôt une nouvelle phase…

Réputation de stratège hors pair et une aptitude particulière pour l’anticipation

Considéré comme un « faiseur de rois », Kamerhe a souvent su se placer au cœur des dynamiques de pouvoir au Congo. Ses conjectures et positionnements respectifs en 2006, 2011, 2018 et 2023 démontrent qu’il a toujours su flairer la direction du vent de la victoire. Son actuel retrait volontaire du perchoir pourrait annoncer une nouvelle alliance de grande envergure ou une candidature propre auréolée par une habile mise à profit de sa victimisation par un régime au cœur de moult turpitudes et considéré comme en déclin. Se donnant les moyens de rebondir, il s’apprête ainsi à redessiner les scenarii d’une nouvelle prouesse.

Ses méthodes et stratégies politiques de prédilection sont connues ; le recours au dialogue arrivant, de loin, en tête de la liste. Excellent parlementaire lui-même, il privilégie également les vertus de la négociation. Cependant, comme il a su en faire étalage en 2011, il sait aussi user du rapport de force lorsque la conjoncture appelle à y recourir. Maîtrisant à merveille les réseaux autant politiques que médiatiques, aussi bien congolais qu’internationaux, il a démontré combien il sait en faire des leviers efficaces de conquête de pouvoir.

Depuis qu’il a fait son irruption sur la scène politique congolaise, il s’y maintient constamment et dans de plus hautes sphères du pouvoir ; ce qui démontre que Kamerhe sait anticiper et tirer parti des ruptures politiques majeures. Concrètement, le finaud stratège a-t-il déjà perçu le crépuscule de l’Union sacrée et du régime ; alors, avec son flair hors pair, il se positionne comme recours face à sa coalition politique moribonde. Il escompterait ainsi capitaliser sur son image d’homme de terrain, de bâtisseur (hôpital moderne, urbanisme à Kinshasa), et de pacificateur. Le silence du stratège est souvent plus tonitruant que le vacarme des batailles perdues…

Union sacrée bientôt en lambeaux, rupture comme prélude à la chute du régime ?

Les rivalités internes, des appétence non-assouvies, les frustrations post-remaniement faisant suite à Suminwa II ainsi que l’absence de cohérence idéologique ont accéléré les fissures de l’Union sacrée. La fronde contre Kamerhe, plus précisément, a été ourdie dans les entrailles de l’UDPS, dans le camp présidentiel lui-même, par ceux qui, hier encore, scellaient avec lui le pacte du régime en cours. Cette rupture révèle une vérité plus profonde qu’il n’apparaît : l’Union sacrée n’est plus qu’un conglomérat d’intérêts, sans colonne vertébrale idéologique. Les frustrations post-remaniement, les querelles intestines, les ambitions personnelles, les aspirations non satisfaites s’accumulent et indiquent que le régime vacille.

Dans cette tempête, Tshilombo semble tergiverser. Il convoque, temporise, mais ne tranche pas. Certains s’en inquiètent ; parce que leur Président laisse les fronts s’ouvrir, les coalitions se fissurer, les institutions s’affaiblir. À force de ne pas « taper sur la table », il risque de voir des tiers la renverser inopinément. Cependant, à y voir de plus près, simple habillage ou réelle indécision ? Une guerre intestine en gestation tend, virtuellement et doucement, à prendre des dimensions inattendues… Quand le pilier du pacte vacille, c’est toute l’architecture du pouvoir qui menace de s’effondrer.

Ce retrait de Kamerhe s’apparente donc à un signe précurseur de l’éclatement de la majorité présidentielle. En cela, il rejoint d’autres indices déjà palpables : divergences sur la gestion du pouvoir dans le tandem Tshisekedi-Kamerhe, marginalisation progressive de Kamerhe dans les cercles décisionnels… Les prises de position publiques divergentes de ce dernier et ses critiques à peine voilées ont parfois été interprétées comme des velléités d’exister plus que des desseins résolus de résister… Le risque d’une scission au sein de la majorité au pouvoir est manifeste ; il pourrait ouvrir un espace pour une recomposition de l’opposition. Cependant, ces tensions sont-elles à même de déstabiliser Tshilombo ? De générer sa chute ?

Scénarios prospectifs

Esseulé dans la majorité et certainement pas le bienvenu dans l’opposition, Kamerhe aura du mal à fédérer autour de lui, jusqu’à un seuil décisif, des mécontents à même d’inquiéter Tshilombo ou à incarner une alternative de conquête politique crédible auprès de la population congolaise désormais en vive ébullition. La gageure réside dorénavant dans la capacité de Kamerhe à transformer son repli tactique en offensive politique majeure. Dans la conjoncture actuelle, l’absence d’alternative solide ou de coalition suffisamment structurée pour renverser l’ordre établi lui ouvre de bonnes perspectives. Cependant, pour relever ce défi, le « pacificateur » doit d’abord batailler dur pour se faire une place dans l’opposition et, éventuellement, renouer avec son ex-allié, alias Joseph Kabila…

La trajectoire et les méthodes antérieures de Vital Kamerhe laissent entrevoir que sa démission pourrait relever d’une stratégie mûrement réfléchie, annonciatrice d’un bouleversement politique majeur. Ainsi, la déchéance de Kamerhe du perchoir de l’Assemblée nationale n’est peut-être que le premier domino. Si le pacte fondateur entre lui et Tshilombo vole en éclats, c’est tout l’édifice du pouvoir qui pourrait s'effondrer. Et dans ce fracas, le caméléon pourrait bien redevenir lion. L’avenir politique de la RDC dépendra de la capacité des acteurs à anticiper les recompositions à venir, et de la façon dont Tshisekedi saura gérer cette phase de turbulence.

Eclairage,
Chronique de Lwakale Mubengay Bafwa

[i]. Ce procès porte sur le programme d’urgence dit "des 100 jours" lancé par le président Félix Tshisekedi, au début de son premier mandat présidentiel, en mars 2019. Son principal allié politique et directeur de cabinet de l’époque, Vital Kamerhe, fut la plus haute personnalité inculpée.

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