À quoi sert une dette publique si elle ne construit rien et à qui profite-t-elle si elle ne soulage personne ? Accusé de détournement de deniers publics, Mobutu avait effectivement mis en place une véritable ingénierie financière pour s'enrichir à même les fonds de l'État. A sa déchéance, en 1997, on estimait à quelques 13 milliards de dollars la dette extérieure du Zaïre, après 32 ans de règne. J’ignore à quel niveau elle se totalisait lorsque Joseph Kabila prend le pouvoir, en 2001... Néanmoins, c’est sous ce dernier, et avec Adolphe Muzito comme 1er Ministre, que j'ai ouï dire que le Congo avait atteint le point d'achèvement ou reçu l'intégralité de l'allégement de sa dette…
Je ne sais pas combien d’argent Félix Tshisekedi a trouvé dans les caisses de l’Etat à sa prise de fonctions… Néanmoins, son nouveau ministre de Budget, Adolphe Muzito, estime déjà à 16 milliards de dollars USA le nouveau niveau de la dette intérieure et extérieure cumulée de la RDC à ce jour, soit en quelques sept ans de gouvernance… Lorsqu’on sait que les infrastructures de base sont à l’abandon dans ce pays, que la population ploie sous la précarité la plus totale et que les réalisations publiques sous ce régime sont invisibles, force est de se demander pourquoi et comment a été contractée la dette d’une telle ampleur et en si peu de temps ?
Ainsi, la question du surendettement stérile est au cœur des débats économiques et politiques en République démocratique du Congo (RDC) depuis des lustres, et avec plus d’acuité encore depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi. Car, avec sa gouvernance prévaricatrice, le surendettement explose exponentiellement sans générer de croissance économique, ni résoudre les problèmes énormes d’infrastructures de base, ni améliorer les conditions de vie de la population. Cette tribune se propose d’explorer aussi bien les illustrations concrètes que les péjorations et les risques liés à cette problématique dans le contexte actuel congolais. Pourquoi les institutions financières internationales ne s'indignent pas à prêter à un régime qui ne s’offusque pas à détourner par millions à des fins égoïstes et épicuriennes, y compris des indemnisations destinées à des sinistrés de guerres ou des aides humanitaires spécialement consacrées à lutter contre des épidémies et leurs victimes ?
Évitement du pire immédiat est le principal prétexte brandi…
En effet, lorsque la dette publique n’améliore rien dans le pays, on parle de dette stérile ou des emprunts pour financer des dépenses courantes de fonctionnement ou des déboursements improductifs. Le prétexte le plus avancé par Tshilombo réside dans la couverture du déficit budgétaire. Emprunter pour faire face aux dépenses de fonctionnement de l'État (salaires des fonctionnaires, charges sociales, etc.) lorsqu’elles sont supérieures aux recettes (impôts, taxes). Dette stérile certes, mais elle permet le maintien des services publics (armée, écoles, l'hôpitaux, police, etc.) si les recettes sont insuffisantes pour éviter l’effondrement immédiat de l’Etat.
Le régime évoque aussi la contrainte à recourir à l’emprunt stérile pour faire rouler la dette ; lorsque la nouvelle dette lui sert à rembourser l'ancienne arrivée à échéance. C'est un cercle vicieux - le roulement de la dette – néanmoins justifié pour maintenir l'État solvable et opérationnel ; même si la dette ne cesse d'augmenter.
S’appuyant notamment sur le COVID-19 et la résurgence de la guerre à l’Est du Congo, le régime de Tshilombo allègue également le besoin de l’emprunt amortisseur de crise. Certes, il génère ou aggrave la dette stérile ; il a néanmoins une fonction de stabilisateur macroéconomique à court terme, surtout si la crise charrie une économique récession, avec des dépenses de plus en plus énormes.
Ainsi, le régime de Tshilombo n’a jamais été à court d’argument pour justifier un surendettement constamment accentué, qui n'améliore rien dans le pays ; mais se disculpe par l’impératif d’éviter le pire immédiatement en maintenant le fonctionnement de l'État ; même si elle le fait au prix d'hypothèque sur l'avenir, diminuant les marges de manœuvre et augmentant la vulnérabilité du pays à long terme.
Le grand écart entre les déclarations et actions sur le terrain
En effet, le danger du surendettement public surgit quand la dette contractée n'augmente pas le potentiel de croissance future du pays. La bonne dette c’est l’emprunt productif, celui voué à financer des investissements (infrastructures, éducation, recherche) susceptibles de générer des retours économiques permettant au pays de la rembourser aisément. C’est dans cette optique que Félix Tshisekedi montait au créneau à son arrivée au pouvoir. Son Programme des 100 Jours fut un plan d'urgence et ses objectifs s'inscrivaient dans une vision plus large d'investissements et de réformes. Au-delà de ce programme initial, il a annoncé d’autres projets d'investissements productifs et des orientations majeures principalement dans le Programme de son Gouvernement, baptisé Programme Présidentiel au début structuré autour de plusieurs projets en mettant l'accent sur les secteurs clés du développement du Congo incluant les piliers suivants :
- Infrastructures et désenclavement, ambitionnant la modernisation des infrastructures et de grands ouvrages comme les sautes-moutons à Kinshasa ;
- Secteur énergétique et hydraulique, visant l'accès à l'électricité et l'eau potable pour tous à travers l'extension et réhabilitation d'usines d'approvisionnement ;
- Agriculture et agro-Industrie, ciblant la diversification de l'économie pour réduire la dépendance aux mines, avec un accent sur l'agriculture et l'agro-industrie pour l'autosuffisance alimentaire et la création d'emplois ;
- Secteurs sociaux (investissements en capital humain), privilégiant l’éducation. D’où la mise en œuvre et soutien à la politique de la gratuité de l'enseignement primaire et la perspective de Couverture Santé Universelle (CSU) ;
- Entrepreneuriat et emploi, pointant l'amélioration du climat des affaires, pour attirer les investissements étrangers et nationaux, ainsi que le soutien au développement des Micro, Petites et Moyennes Entreprises (MPME), illustré par des initiatives comme le Projet d'Appui au Développement des MPME (PADMPME)…
- Protection de l'environnement (Économie Verte), visant la conservation de la nature à l'instar du projet de la Réserve du Couloir Vert du Kivu à Kinshasa, escomptant mobiliser des capitaux et investissements aussi bien publics que privés dans l'énergie, l'agriculture et le transport durable…
Bien que mis en œuvre en partenariat avec des institutions multilatérales (comme la Banque mondiale, la Banque Africaine de Développement) et des partenaires bilatéraux (notamment la Chine pour les infrastructures, ou d'autres pays), ces projets ont, quasiment tous, tournés court. Alors qu’il avait fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille et le pilier de son ambition d'instaurer un « État de droit », malgré cette volonté affichée et la mise en place d'organes de contrôle comme l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC), les observateurs nationaux et internationaux, ainsi que les rapports d'ONG, soulignent que la prévarication et le détournement de fonds publics sont des problèmes systémiques et majeurs du régime de Tshilombo.
Un cas d'école de la kleptocratie
A l’instar de ce qu’a été le régime de Mobutu Sese Seko au Zaïre (1965-1997), celui de Tshilombo, depuis 2019, a atteint le paroxysme imaginable de la kleptocratie. Sa gouvernance s’illustre à foison par des dirigeants utilisent allègrement la puissance publique pour s'enrichir personnellement par le détournement des fonds publics, la corruption et la prédation économique à des échelles effroyables. La prévarication, la concussion et l'abus de pouvoir ne sont plus seulement fréquents et répandus, mais sont désormais institués et érigés en base même du système de gouvernement. Des illustrations de ce constat répugnant sur la gouvernance actuelle de la RDC en matière de corruption et d'abus de pouvoir sont légion :
- Le Scandale du Programme des « 100 Jours »
- L'Affaire! Dès le début de son mandat en 2019, le programme d'urgence de 100 jours pour l'amélioration des infrastructures a été l'objet de soupçons de malversations importantes. Le montant total du programme s'élevait à plus de 300 millions de dollars.
- Conséquences Judiciaires ! L'affaire la plus emblématique a été celle de Vital Kamerhe, alors directeur de cabinet du Président, qui a été arrêté, jugé et initialement condamné (avant une libération et une réhabilitation politique) pour le détournement de plusieurs millions de dollars destinés à la construction de logements sociaux. Ce procès a été salué comme un signe fort de la lutte contre l'impunité, tout en étant critiqué pour ses limites et son caractère potentiellement ciblé.
- Affaires Récurentes de Détournement et de Surfacturation
- Fonds d'Urgence ! Des scandales ont éclaté concernant la gestion opaque des fonds alloués à la riposte contre la COVID-19 ou l'utilisation douteuse de sommes destinées à l'état de siège dans les provinces de l'Est (Nord-Kivu et Ituri), avec des rapports faisant état de disparitions de millions de dollars.
- Affaires Parlementaires ! Des rapports d'ONG ont pointé du doigt la gestion jugée douteuse et opaque du budget du Parlement (Assemblée nationale et Sénat), mentionnant des sommes colossales débloquées sans justification ou des cas de surfacturation flagrante. Un exemple cité est l'achat de bus pour le personnel à un prix jugé exorbitant, dépassant largement les plafonds autorisés.
- Membres du Gouvernement ! Des ministres, y compris celui des Finances (Nicolas Kazadi) et le ministre de la Justice (Constant Mutamba), ont fait l'objet d'interdictions de quitter le territoire et d'enquêtes pour des soupçons de détournements de fonds publics, comme ceux alloués à la construction de prisons ou à des fonds de réparation pour victimes de guerre.
- Corruption dans le Secteur Minier
- Conflits d'Intérêts ! La RDC, riche en minerais stratégiques (cuivre, cobalt), est au cœur d'accusations de corruption impliquant l'entourage du pouvoir. Un conseiller stratégique du Président, Vidiye Tshimanga, a démissionné en 2022 après avoir été filmé proposant ses services à de pseudo-investisseurs pour faciliter l'acquisition de licences minières.
- Plainte Contre la Famille Présidentielle ! Des plaintes ont été déposées en Belgique pour des accusations de corruption et d'exploitation illégale des mines impliquant plusieurs membres de la famille Tshisekedi exposant et amplifiant les préoccupations sur la gouvernance aigrefine du régime.
Une justice à deux vitesses !
En plus du décalage entre le discours politique de lutte contre la corruption et la réalité des résultats, l’autre principal reproche fait à la gouvernance de Tshilombo réside dans le manque dramatique de volonté et stratégie claires pour transformer les emprunts et aides auxquels il a facilement accès, en leviers de décollage et développement économiques du Congo. Plusieurs analystes estiment que la dette contractée ne profite pas du tout à l’économie réelle ; faute de politiques ciblées et de gestion rigoureuse des fonds. De plus, la dépendance accrue vis-à-vis des bailleurs étrangers réduit la souveraineté financière du pays, expose la RDC à des pressions externes et hypothèque même son indépendance.
Certes, l'activation de l'IGF et les procès médiatiques exemplaires, à l’instar de celui de Kamerhe et Mutamba, auraient-ils pu donner un signe fort de rupture avec l'impunité et marqué les esprits ; inopportunément, malgré l’abattage médiatique et des dispositifs judiciaires impressionnants, ces procédures n’ont pas débouché sur des issues proportionnelles aux gravités supposées des faits ou aux promesses de l'État de droit. Parallèlement, d’autres prévaricateurs de grand chemin, à l’image de Nicolas Kazadi[i], coupable de concussions à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars américains, restent intouchables en dépit des réquisitoires des procureurs en vue de l’autorisation des poursuites contre lui…
La justice congolaise est ainsi accusée d'être sélective ou de fonctionner à deux vitesses. Les affaires impliquant des personnes proches du chef d’Etat ou de son parti politique, Union pour la Démocratie et le Progrès Social (l'UDPS) ont tendance à être ralenties, voire étouffées ; tandis que celles visant des adversaires politiques, anciens alliés ou membres de l'ancienne coalition, sont poursuivies avec plus de célérité, de rigueur et de sévérité. En fait, au lieu d'éradiquer la prévarication et la corruption, certains observateurs et analystes politiques estiment que cette pseudo lutte est devenue un instrument politique au service du pouvoir pour consolider les alliances (clientélisme) et neutraliser les opposants.
Un surendettement aux relents hédonistes sous le règne de Tshilombo
Évidemment, l’observation ou jugement, ci-dessus, peut paraître comme une critique fort acerbe ; on est néanmoins forcé d’admettre que des fonds massivement empruntés par le Congo sous la gouvernance de Tshilombo sont ou ont été dilapidés de manière légère, imprudente, avec prodigalité excessive et orientée vers des dépenses non prioritaires, voire luxueuses ou carrément vers de jouissances licencieuses, plutôt qu’en faveur des investissements essentiels et productifs au bénéfice de la population et de l’essor du pays. Cette évaluation fait aussi écho à plusieurs préoccupations constamment déjà soulevées par la société civile congolaise, des journalistes, des chercheurs universitaires, des experts analystes et même, parfois, par une bonne partie de l'opposition politique, tous explicitement tourmentés par la mégestion effarante des créances publiques et l'augmentation stérile de la dette sous son régime :
- Mauvaise gestion et corruption, des rapports, comme ceux de l'Observatoire de la dette publique (ODEP), ont pointé une mauvaise gestion des finances publiques qui aurait caractérisé à la fois le régime de Kabila et celui de Tshisekedi. Cette mauvaise gestion est souvent associée à des cas de corruption et de détournement de fonds, comme en témoignent certaines plaintes déposées. Des révélations de surfacturation de projets (comme l'éclairage public et les forages d'eau à Kinshasa) au début de son second mandat ou le choquant détournement de fonds publics d’indemnisation des victimes de guerre ont également alimenté de vives critiques sur une utilisation peu judicieuse des ressources de l'État ;
- Dépenses non prioritaires, il y a couramment des dépenses publiques massives considérées comme budgétivores et non indispensables par rapport à l'urgence des besoins sociaux (sécurité, santé, éducation, infrastructures de base). Par exemple, la taille importante du gouvernement de Judith Suminwa (54 membres) a été jugée excessive et peu écoutée par rapport aux critiques précédentes sur l'État budgétivore ;
- Faible amélioration du quotidien, malgré la croissance du budget de l'État, notamment grâce aux retombées du secteur minier, le vécu quotidien de la majorité des Congolais ne s'est pas amélioré, il s’empire même. L'augmentation de l'inflation (passée de 5% en 2019 à 20% en 2023) et la dépréciation continue du franc congolais face au dollar exacerbent la misère, rendant la gestion publique d'autant plus inhumaine et scandaleuse. Clairement, l'endettement ne sert pas les intérêts du pays et du peuple, mais plutôt ceux d’une triste égoïste élite ;
- Dépenses luxueuses et jouissances licencieuses, la critique d'hédonisme se réfère particulièrement aux anti-valeurs et luxure qui caractérisent de manière flagrante la kleptocratie de Tshilombo depuis son investiture en 2019. La polémique ne cesse de s’amplifier autour des délégations pléthoriques, qui l’accompagnent constamment dans ses périples à l'étranger, des ardoises effarantes ainsi que l’image de coûteuse luxure ostentatoire récurremment laissée sur leur passage. Quel contraste choquant et révoltant entre ces dépenses somptuaires et plaisancières face à la pauvreté extrême de la majorité de la population, ainsi qu’aux besoins criants en infrastructures dans le pays ! Ainsi, au Forum économique mondial (WEF) de Davos (Suisse), les dépenses excessives de la délégation de Tshilombo ans l’un des coins les plus chers au monde entraînèrent de plusieurs parlementaires suisses. Le député Andreas Glarner exigea même la suspension immédiate de toute aide financière suisse à la RDC ; tant que le gouvernement de Félix Tshisekedi n’était pas remplacé.
Selon des révélations de la presse et des acteurs de la société congolaise, pour sa première participation au sommet de l'Union Africaine (UA) à Addis-Abeba, Tshilombo emmena une délégation d’environ 500 personnes, mobilisant plusieurs avions nolisés et entraînait des coûts astronomiques pour le budget de l'État, incluant des frais de mission et des indemnités journalières (per diem) pour chaque membre, calculées au taux fort de la capitale éthiopienne. De même, à la Session de la 80ème Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), aussi bien le gigantisme que l’étalage autant du luxe que de la luxure de la fourmillante délégation congolaise ont fait couler beaucoup d’encre et de salive tant au Congo qu’à l’international. Les critiques estiment que ces balades coûtent des millions de dollars au Trésor public ; des fonds à allouer aux urgences militaires dans l'Est du pays, à la réhabilitation des infrastructures ou aux secteurs sociaux (santé, éducation).
En résumé, corrélées au surendettement effroyable, ces délégations pléthoriques et ruineuses sont perçues comme une démonstration mal placée d'opulence qui, non seulement gaspille des ressources cruciales, mais entache autant la crédibilité du Congo sur la scène internationale, comme l'a révélé l'incident diplomatique à Davos. En substance, la référence à l'"hédonisme" est une façon imagée et forte de dénoncer l'écart entre le surendettement croissant, qui hypothèque l'avenir du pays, et la qualité ou la pertinence des dépenses somptuaires et plaisancières perçues comme motivées par le confort ou le bénéfice immédiat de quelques égoïstes plutôt que par une vision de développement durable pour tous.
Eclairage,
Chronique de Lwakale Mubengay Bafwa
[i]. Ancien ministre des Finances, dans les viseurs de la justice pour des détournements des deniers publics exorbitants.