Lorsque je suis arrivée au lycée il y a un an, je n'avais jamais participé à un blocus. Je ne savais pas encore ce que voulait dire ACAB (« all cops are bastards ») pourtant je le criais lors de mes premières mobilisations. Au début, les jeunes qui s'engagent n'ont pas forcément les codes de cette forme de contestation très particulière qu'est le blocus. Bien qu'illégal, il est un moyen de lutter pour des causes que les jeunes ont envie de défendre : contre la loi immigration, pour une paix à Gaza.
Malgré tout, les élèves qui sont mobilisés dans les blocus n'ont pas toujours des motivations très claires, ce qui pose problème, surtout pour la crédibilité du mouvement. Les personnes à l'origine des mobilisations ont donc une responsabilité, celle de favoriser les discussions entre les élèves au sein du lycée, pour se mettre d'accord sur les revendications. Mais ce n'est pas toujours possible. En effet, la tenue d'assemblées générales, en amont des blocus est rarement assurée, et lorsqu'elle l'est, très peu de lycéen·nes y assistent. Pourtant, les élèves ont le droit à une liberté de réunion au sein même de leurs établissements. Or, encadrer le mouvement peut permettre d'éviter ou du moins d'anticiper les débordements qui peuvent survenir lorsque les lycéens ne se sont pas fixés de limites.
Les responsabilités endossées par les forces de l'ordre sont toutes autres. Effectivement, le « maintien de l'ordre » s'apparente aujourd'hui plus à une répression systématique des mobilisations. Cette répression s'est imposée dans les manifestations - pas seulement lycéennes - depuis plusieurs années. A vrai dire, ma première peur lorsque j'ai commencé à participer aux blocus, jusqu'à aujourd'hui encore, était la question des violences policières.
C'est une stratégie assumée : faire peur afin d'empêcher la mobilisation. Récemment, le mardi 3 décembre 2024, deux lycées ont été bloqués dans le centre de Paris, à côté du mien, contre la pression scolaire exercée par les professeurs, l'administration et les parents. La police, dont une brigade de la GSO, force non compétente pour l'encadrement d'une manifestation lycéenne, était présente. Pour expliciter : les policiers de la GSO sont spécialisés dans les interpellations domiciliaires à risques, dans l'ouverture de portes, la pénétration et la sécurisation de milieux clos. Ils sont également placés au niveau 2 dans le schéma d'intervention national dans le cadre de la menace terroriste. Les lycéens sont-ils des terroristes?
L'an dernier déjà, lors d'un blocus devant mon lycée, des policiers de la GSO, qui avaient retiré leur RIO (matricule dont le port est obligatoire pour les forces de l'ordre depuis 2014, dans le but de limiter les abus de pouvoir), avaient procédé à une intervention violente pour déloger les lycéens. Le commissaire de secteur avait par la suite affirmé à notre proviseur que l'intervention de la GSO relevait de « l'erreur ».
Erreur? Pas sûr. A la suite des blocus du 3 décembre, j'ai vu des vidéos partagées sur les réseaux sociaux de l'intervention de la police. Les scènes sont lunaires : un policier pointant à bout portant un jeune au LBD, des coups de matraques, et, entre autres, un policier qui lève son majeur en direction d'un élève. Cependant, toutes ces dérives violentes ont été réalisées alors que plusieurs jeunes étaient munis de caméras et filmaient ces interventions, sans que les policiers ne semblent s'en inquiéter. Pas de peur de conséquences du côté des forces de l'ordre? Cette stratégie de démembrement des mobilisations par la peur de la répression provient donc sans doutes des exécutants : pas des policiers tous seuls, de l'exécutif.
Aujourd'hui, nous pouvons tout de même nous demander qu'elle est la véritable portée des blocus, et si finalement d'autres types de mobilisations ne seraient parfois pas plus efficaces.
C'est tout cela qu'Elsa Lafargue et moi avons voulu évoquer dans ce podcast. Il a été réalisé en juin 2024 au cours de notre stage de seconde chez Mediapart. Les principaux acteurs des différentes formes de blocus y ont participé. Ainsi nous tenons à remercier l'ex-lycéenne que nous avons appelé Clara le temps de ce podcast, ainsi que Léonard, étudiant à Sciences Po Paris au campus du Havre, M. Bobkiewicz, actuel proviseur de la cité scolaire Buffon et secrétaire général du SPDEN, M.Zameczkowski porte-parole de la PEEP; et tous ceux qui ont participé de près ou de loin à la réalisation de ce podcast.
Bonne écoute!
(Texte Jeanne Odier)