Le 8 mars ou pendant les élections, on nous parle d’égalité, de sororité et de toutes ces femmes qu’il faudrait « sauver ».
Mais bien souvent, derrière ces mots, c’est la logique de l’exclusion qui travaille.
C’est le fémonationalisme. Ou comment le féminisme devient le masque respectable de projets politiques réactionnaires, racistes et néo-ibéraux.
Trois figures principales se dégagent. Aucune ne libère les femmes.

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1. Le féminisme bleu Marine : quand l'extrême droite joue les sauveurs blancs
Il y a les discours, et il y a les usages. Le féminisme façon Marine Le Pen ou Bardella n’a jamais eu pour ambition de défendre qui que ce soit – si ce n’est l’ordre blanc, chrétien et national.
En réalité leurs discours "féministe" reflètent leur nostalgie de l'idéologie coloniale dans un triptique infernal :
- Les hommes étrangers (mais surtout musulmans) sont dangereux, sexistes, barbares : ils sont des agresseurs par essence.
- Les femmes étrangères (mais surtout musulmanes) sont soumises, silencieuses, à libérer malgré elles : elles sont des victimes par nature. Et si elles ne le sont pas, alors ce sont des terroristes elles-aussi.
- Enfin, le français blanc devient le sauveur, le héros éclairé, le modèle à suivre.
Pour l'extrême droite, le féminisme est une sorte de flou artistique, un joli vernis moral à appliquer sans modération sur n'importe quel propos. A l'instar de Jordan Bardella pendant les élections européennes afin de masquer au mieu un programme ultra-sécuritaire.
Par ailleurs, les luttes sont vidées de leur contenu. Selon Marine LE PEN il suffirait d'être une femme pour être féministe. Ce jeu d'image a notamment joué dans son projet de dédiabolisation du RN.
Regardez comme c'est trop une gurlz comme les autres, avec ses chats et ses soirées canapées !

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Mais ce discours pseudo-féministe n’est qu’un cache-misère. Derrière la prétention à défendre les droits des femmes, l’extrême droite continue à promouvoir une vision rétrograde, hétéronormée et patriarcale de la place des femmes dans la société. C’est là notamment que le phénomène des "tradwives" (pour "traditional wives" = "épouses traditionnelles") entre en scène. Dans leurs vidéos pastel, ces tradwives s’affichent en robes longues, tablier noué à la taille, sourire doux, regard baissé tout en cuisinant du pain maison, élèvent leurs nombreux enfants loin du chaos moderne, mais surtout elle aiment et obéissent à leurs maris. La domination patriarcale instagramable.
Ce revival de la femme au foyer, promu par l’extrême droite sous couvert de liberté, s’inscrit dans une stratégie bien rodée : relooker la domination en choix personnel.
On ne parle plus de soumission, mais de "féminité authentique" et de "liberté".
On ne dit plus qu’une femme doit rester à la maison, on dit qu’elle s’y sent en sécurité.
Et si tu refuses ce rôle ? Tu es une féministe aigrie, frustrée, masculine, voire ennemie de la nation.
Cette rhétorique ne surgit pas par hasard. Elle accompagne et renforce un discours identitaire bien huilé, où les femmes blanches, silencieuses et fécondes deviennent les piliers fantasmés d’une nation à rebâtir. Pendant ce temps, les luttes intersectionnelles et l'émancipation des femmes sont évacuées du champ de la parole légitime.
L'extrême droite joue un jeu d'équilibriste entre récupération du vernis féministe et rejet de l'émancipation des femmes.

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2. Le féminisme du CAC 40 : liberté sous conditions
C'est la version plus subtile et plus fashion : c'est Barbie féminisme libéral !

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Autre version, autre stratégie. Ici, ce n’est pas le drapeau tricolore qu’on agite, mais le drapeau du progrès, de l’autonomie, de la sacro-sainte méritocratie. Ce féminisme là adore les chiffres, les carrières, les success stories ! Il parle empowerment mais ne touche jamais aux structures. Il veut l’égalité, mais à condition que ce soit rentable.
Libre ? Il faudra être salariée, indépendante et consommatrice. Peu importe s'il faut exploiter la précarité d’autres femmes (souvent racisées et cantonnées aux emplois du care, du ménage, du soin).
La solidarité ?
Optionnelle.
Les inégalités structurelles ?
Invisibilisées.

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Aurore Bergé incarne parfaitement ce féminisme hors-sol, qui célèbre les femmes dirigeantes tout en renforçant les logiques transphobes, classistes et racistes. Un féminisme de vitrine, pour un monde qui ne change pas.
3. Le féminisme identitaire
Et puis, il y a cette troisième voie. Celle qui vient des marges, des cercles militants, et qui croit pouvoir être féministe sans jamais parler de race ou de classe. Celle qui voit dans l’homme racisé le seul visage du patriarcat, dans l’étranger la seule source de violence.
Ici, le féminisme se fait sélectif. Il combat le voile plus que le sexisme, le patriarcat des autres plus que celui de son propre camp. Il dénonce, mais sans jamais se regarder dans le miroir. Il oublie que le féminisme ne peut pas se faire sans une lecture croisée des oppressions.
Némésis, collectif d’extrême droite grimé en féministes, scande « Violeur étranger dehors » sur fond de drapeaux français.

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C'est autant pour faire avancer leur discours racistes que pour chercher le conflit. Comme beaucoup de groupes d'extrême droite (et tout comme son jumeau gay : Eros / Pride 2025) la stratégie est de s'incruster dans les manifestations du mouvement féministe et social afin de s'en faire jeter. Toujours accompagnées de molosses d'extrême droite, elles recherchent les quelques secondes d'une vidéos où les vilains islomogauchistes seront violent·e·s.
Moment qui n'arrivent que peu malgré leur indécence très bruyante.
Le fémonationalisme n’est pas un accident. C’est une stratégie. Une récupération. Une déformation.
J'ai déjà développé en quoi le féminisme sert principalement de vernis moral pour des politiques réactionnaires dans une société où la parole des femmes est de plus en plus prise en compte (et non pas "se libère" comme on peut l'entendre : les femmes ont toujours parlé mais il n'y avait personne pour s'en faire l'écho), il est aussi un des moyens à l'odieuse théorie d'extrême droite de "l'union des droites".

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Que ce soit pour voter main dans la main des lois liberticides ou se renvoyer la balle afin d'alimenter les paniques morales, les racistes plus ou moins conscientisé·e·s de leur niveau de mépris et de haine, voient leur intérêt commun contre le voile, pour le contrôle des corps et pour le respect d'une norme supposée de famille et d'identité de genre et sexuelle.

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Attaques en règles sur le Code du travail ?
Oui mais le voile !
Banalisation de la violence des institutions ?
Oui mais le voile !
Détournement de fonds publics ?
Oui mais le burkini !
Tant que le féminisme servira à justifier l’exclusion, la domination ou la performance, il faudra le désarmer.
Nommer ce qui se cache sous les beaux discours. Dénoncer les violences maquillées en libérations.

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Parce qu’on ne libère pas les femmes à coups de lois islamophobes.
Parce qu’on ne sauve personne en les stigmatisant.
Et parce qu’un féminisme qui oublie les oppressions de race et de classe, n’est qu’un faux allié de plus.

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Référence livres et essais :
- La Déferlante n° 15, Résister en féministes
- Les vigilantes : Surveillées et surveillantes, ces femmes au coeur de l'extrême droite - Léane Alestra
- Au nom des femmes : "fémonationalisme", les instrumentalisations racistes du féminisme - Sara R. Farris
Articles et publications à consulter en ligne :
- Le faux féminisme des réactionnaires de Némésis - L'Humanité
- L’extrême droite et les femmes - NPA L'anticapitaliste
- Quand l’extrême-droite avance, les droits des femmes reculent - Équipop (ONG pour les droits et la santé des femmes et des filles)
- Féminisme en macronie - sur mon blog
Podcast et vidéos :
- Au cœur du nouveau militantisme féminin d’extrême-droite. / Minuit dans le siècle : épisode n°13 présenté par Ugo Palheta