Le Commerce Extérieur, activité de la Diplomatie Economique
Pour espérer être le dernier par le crocodile
Réflexion sur le rattachement du Secrétariat d’Etat du Commerce extérieur au Ministère des Affaires Etrangères
« Un conciliateur c'est quelqu'un qui nourrit un crocodile en espérant qu'il sera le dernier à être managé »
Winston Churchill
Les deux sujets de fond, ceux qui vont porter sur les négociations les plus périlleuses, sont confiés aux deux ministres prépondérants dans le dispositif Valls : Laurent Fabius pour le Commerce extérieur et les déficits au Ministre des Finances, Michel Sapin et non au Ministre de l’Economie Arnaud Montebourg.
Cela s’inscrit dans la tradition diplomatique française et dans la doctrine de l’intérêt général national extrapolé aux relations internationales.
De la Diplomatie Economique
La diplomatie économique multilatérale a pris une dimension véritablement nouvelle avec le développement de la mondialisation. Son champ s’est considérablement élargi.
- Définition :
Selon la définition de Bergeijk et moons , « la diplomatie économique consiste en un ensemble d’activités visant les méthodes et procédés de la prise internationale de décision et relatives aux activités économiques transfrontières dans le monde réel. [...]
- Champ d‘action :
Elle a comme champs d’action le commerce, l’investissement, les marchés internationaux, les migrations, l’aide, la sécurité économique et les institutions qui façonnent l’environnement international,
- Ses instruments :
Elle a comme instruments les relations, la négociation, l’influence
Tous ces champs relèvent aujourd’hui au moins pour partie de la sphère multilatérale, appelée communément la mondialisation, qui s’est en outre élargie à d’autres sujets. La diplomatie est désormais « caractérisée par un multilatéralisme institutionnalisé croissant visant un ordre international plus fort, soit en améliorant la coopération entre états soit en transcendant ce besoin » (ce que nous comprenons comme créant un degré ou des procédures supplémentaires pour y répondre).
La simple observation montre que la montée en puissance des marchés qui a découlé de la mondialisation libérale ainsi que l’absence de gouvernance politique mondiale ont conduit à traiter la plupart des grandes questions planétaires selon un prisme économique et nécessairement multilatéral.
Les lieux et formes de ce multilatéralisme ont beaucoup évolué et la diplomatie économique multilatérale traite aujourd’hui d’une grande diversité de sujets.
Parallèlement, ce champ jadis réservé aux états s’est ouvert aux acteurs non étatiques.
Dans la donne actuelle, ce sont ces acteurs qui ensemble définissent ce que selon la tradition française l’on pourrait appeler l’intérêt général mondial (ou le bien public global selon Joseph Stiglitz) (1)
L’économie mondiale comme bien public global
Dans son ouvrage Global Goods, Global and Global Finances (1), Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Economie 2001, écrit à ce propos :
« La réflexion sur la gouvernance mondiale doit partir de la notion de bien public mondial. Les biens publics ont, en théorie économique, deux caractéristiques fondamentales : la non-rivalité dans leur consommation et la non-excluabilité de leurs consommateurs.
Ils peuvent être purs ou impurs et l’échelle de leur mise œuvre peut varier. Les exemples de biens publics mondiaux et d’externalités mondiales sont nombreux : la sécurité internationale (la stabilité politique globale), la stabilité économique, l’environnement, l’assistance humanitaire ou encore l’avancement des connaissances. Une des raisons d’être des institutions du système des Nations Unies fut précisément la nécessité de pouvoir disposer d’un moyen, à l’échelle mondiale, de réguler la sécurité internationale et ses externalités.
Où en est le multilatéralisme ?
Pour ne citer que cet exemple, lors de la conférence de Bali le 07 Décembre 2013, L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), une des plus importante institution multilatérale mondiale, n’était pas parvenue à un accord sur l’agriculture, l’aide au développement et la facilitation des échanges.
Devant les divergence entre l’Inde et les Etats-Unis et les exigences de Cuba pour obtenir une condamnation de l’embargo américain qui le frappe, l’OMC devait démontrer sa capacité à élaborer les règles commerciales communes à ses 159 membres, après douze années d’échec à conclure le « cycle de Doha » destiné à faire profiterles pays en développement de la libéralisation du commerce.
Le rattachement du Commerce Extérieur au Ministère des affaires étrangères
Un des premiers dilemme à résoudre pour le Gouvernement Valls, est de répondre à la question : Comment faire quand au rattachement du Secrétariat d’Etat au Commerce Extérieur ? Faudrait il le rattacher au Ministère de l’Economie comme le réclamait le Ministre en Charge, Arnaud Montebourg, ou au Ministère des Affaires Etrangères comme le souhaitait le Ministre Laurent Fabius ?
Le Président de la République et le Premier Ministre ont tranché : Le Commerce Extérieur, ainsi que le Tourisme seront rattaché aux Ministère des Affaires Etrangères.
C’est l’un des premiers symboles de cohérence de ce gouvernement sous l’impulsion d’une doctrine prônée par Laurent Fabius et soutenue par le Président de la République, celle de l’intérêt général, en France, en Europe et dans le monde.
En quoi consiste la doctrine d’intérêt général ?
- L’intérêt général en France :
L’intérêt général se situe, depuis plus de deux cents ans, au cœur de la pensée politique et juridique française, en tant que finalité ultime de l’action publique. Il occupe une place centrale dans la construction du droit public par le Conseil d’État.
S’il se limitait à la simple conjugaison des intérêts particuliers, l’intérêt général ne serait, le plus souvent, que l’expression des intérêts les plus puissants, le souci de la liberté l’emportant sur celui de l’égalité. C’est d’ailleurs ce qui fait une différence fondamentale entre la vision prônée par l’exécutif français et les partisans d’un protectionnisme des frontières qui défendent l’idée d’un intérêt public, opposé à l'intérêt général (Marine Le PEN avec la sortie de l’Euro et Jean Luc Mélenchon et son propos basé sur l’exemple du Mercosur)
Sous peine de déboucher sur une impasse, la démocratie de l’individu est ainsi conduite à redécouvrir la nécessité d’un intérêt général intégrant les intérêts particuliers.
Ce processus implique une médiation de l’Etat, seul capable, non seulement de réaliser, lorsque c’est nécessaire, la synthèse entre les intérêts qui s’expriment au sein de la société civile, mais de contribuer à dépasser les égoïsmes catégoriels et à prendre en compte les intérêts des générations futures.
Seul un intérêt général ainsi conçu est en effet susceptible d’apporter à la gestion de la chose publique la cohérence propre à maintenir, et si possible renforcer, le lien social.
- L’intérêt général dans les relations internationales
La vie politique se déroule dans un contexte politique interne et externe caractérisé par l'entrecroisement d'une multitude d'intérêts d'ordre infra - supra - et transnational, c'est à tort qu'est postulée l'existence d'un intérêt national unique et unitaire, comme l'ont prouvé, entre autres exemples, la ratification des accords de Maastricht en France, et du traité de l'ALENA aux Etats-Unis, ainsi que les pressions exercées tout au long des négociations du cycle Uruguay du GATT (devenues les négociations de libre Echange).
A cause de l'interpénétration réciproque de l'interne et de l'externe, la notion traditionnelle d'intérêt national est remise en cause dans un système-monde où l'avenir du citoyen est tout autant fonction de la politique de l'Etat-nation dont il fait partie que des enjeux post-nationaux et même post-internationaux qui l'intéressent - au sens fort - très directement.
Davantage même, la définition de l'intérêt public comme somme des intérêts privés des membres composant le public est aujourd'hui, mutatis mutandis, applicable à la politique extérieure, tant la politique internationale d'un pays a des répercussions immédiates sur la vie quotidienne des individus.
La France et l’usage des instruments de la diplomatie économique
- La négociation
L’objectif des négociations est de ne pas aligner le modèle européen sur le modèle américain.
Le levier de la négociation dans le cadre de l’accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis dont l’un des objectif est de constituer un plan de relance dont l’Europe a désespérément besoin est un des principaux sujets pour les des deux côtés de l’Atlantique, en raison du fort chômage structure et de dettes qui explosent, étant donné que les bénéfices de la libération des échanges n’est importants qu’en période de plein-emploi des ressources, d’une croissance significative et d’une dette maîtrisée.
C’est dans ce cadre que les acteurs les plus pertinents de la négociation, et ils l’ont prouvé, sont ceux de la Finance et des affaires étrangères.
Michel Sapin et Laurent Fabius ont démontré cette pertinence. Les sorties d’Arnaud Montebourg sur la commission européenne et sur les commissaires européens peuvent gêner la négociation.
L’art de la négociation à la française a permit de la France d’obtenir, l’exclusion de l’audiovisuel du mandat de négociation confié à la Commission, qui a emporté l’essentiel : la mise en chantier d’un grand marché transatlantique unissant l’Union européenne et les Etats-Unis, les deux principales puissances économiques de la planète, où les biens, les capitaux et les services circuleront librement.
- L’influence
Comme l’écrit Stiglitz, c’est une réalité de notre temps : la mondialisation implique l’émergence et le développement des biens publics mondiaux. Le problème dans le système économique international actuel de gouvernance sans gouvernement est qu’il n’existe pas de moyens efficaces pour collecter les ressources nécessaires au financement de ces biens publics mondiaux.
Le besoin des institutions internationales telles que le FMI, la Banque mondiale et l’OMC n’a jamais été aussi grand, mais la confiance qui leur est accordée n’a jamais été aussi faible.
Comment mettre la mondialisation politique au niveau de la mondialisation économique ?
C’est bien là que la France a un rôle à jouer et user de son influence.
La France est la 5ème puissance économique mondiale, elle est membre permanent du Conseil de sécurité. Mais son rapport à l’OTAN devrait être précisé et clarifié. Pour garder sa liberté de contribuer à la paix en Europe et dans le monde, la France construira son influence qui devrait se traduire par :
- son indépendance complète des forces nucléaires françaises vis à vis de l’OTAN,
- sa liberté d’appréciation, qui implique une absence d’automaticité dans les engagements militaires et le maintien des moyens de l’autonomie stratégique, notamment par l’accroissement des capacités de renseignement ;
- sa liberté permanente de décision, qui suppose qu’aucune force française ne soit placée en permanence, en temps de paix, sous le commandement de l’OTAN.
Le renforcement de la diplomatie française en y intégrant la diplomatie économique et l’attractivité touristique devrait y contribuer sensiblement.
Conclusion
La vraie pertinence du rattachement du Commerce Extérieur aux affaires étrangères, serait de démontrer par le rôle que jouera la France dans la défense de l’intérêt général universel.
Cela passera par le renforcement du rôle des Nations Unies et la limitation du rôle de l’OMC dans ses atteintes aux droits fondamentaux.
Malheureusement, il n’existe pas de processus démocratique à l’échelle mondiale qui permettrait de débattre de la détermination de l’intérêt général universel. Néanmoins, les droits universels constituent une référence morale sur laquelle on peut s’appuyer pour négocier différemment au niveau national et au niveau européen. Bien évidemment, il est nécessaire que le rôle de l’ONU évolue positivement et que ses pouvoirs se renforcent. La réaffirmation des droits fondamentaux par une Assemblée Générale des Nations unies renforcée serait un acte politique majeur face à la régression des droits fondamentaux que représente l’organisation mondiale du commerce. La valeur de dignité des personnes, pour être universelle, devrait s’appliquer à toutes les activités humaines et en particulier aux activités économiques. Celles-ci devraient être interrogées pour savoir si elles contribuent ou non à renforcer la dignité de la personne. Si la réponse est négative, les discussions politiques sur la perte de dignité devraient s’ouvrir.
(1) Propos repris dans « Vers de nouveaux systèmes de mesure : Performances économiques et progrès social »Joseph Stiglitz
Lire le très bon article intitulé "François Hollande, la politique étrangère et les droits de l'Homme" Le Monde.fr |23.06.2014 à 09h34| Par Jean-Marie Fardeau (Directeur France Human Rights Watch) - http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/06/23/francois-hollande-la-politique-etrangere-et-les-droits-de-l-homme_4443314_3232.html