Le « printemps arabe », a mis en évidence un certain nombre d'éléments objectifs et subjectifs indispensables pour approcher la situation générale au Proche et Moyen-Orient, en particulier dans les pays qui ont fait évoluer leurs constitutions et ont connu des développements économiques et politiques à la suite de cette séquence historique. Des évolutions parfois positifs et d’autres tachées de régressions. Cette contribution, tente d’en évoquer certains des éléments de compréhension suivants:
1. Tout d'abord, la fragilité générale des pouvoirs dans la gestion des affaires publiques, pour assurer la cohésion sociale des forces qui soutiennent les politiques menées, y compris ceux qui semblaient armés pour garantir les conditions de sécurité et de la stabilité pour leur peuple.
2. les grandes puissances internationales se trouvent, de ce fait même, fragilisées, perdant leurs relais régionaux, incapables sinon difficilement d'entrer en dialogue avec les forces sociales, et notamment les mouvements sociaux qui ont fondé ces mouvements « révolutionnaires ». Elles ont alors opté pour l’appel à l’assouplissement des politiques menées. Cette fragilité durable des grandes puissances est indiscutablement l'une des conséquences majeures de tous ces événements : d’une part suite à la rupture entre des franges importantes des sociétés arabes et les pouvoirs politiques. Une rupture inimaginable avant la chute du régime de Saddam Hussein. Et d’autre part, les espoirs sûrement naïfs mis dans incapacité de gérer les conflits locaux plus que jamais.
3. D'autre part, la volonté, parfois non avouée, de certaines composantes sociales et politiques de l’opposition, exclues ou éloignées de la gouvernance, de chercher des soutiens à l’étranger, y compris celui qui était considéré, dans un passé proche, comme ennemi juré des peuples et des différentes formes d’action politique et sociale, accusant ainsi les régimes en place de ne vouloir d’elles que la loyauté aveugle et la soumission.
4. L’absence des questions stratégiques qui dominaient le débat, autour des thématiques du conflit israélo-arabe entre autre, à la faveur de thèmes et de slogans sur la dignité, les Droits Humains, ou la répartition équitable des richesses . Slogans qui ne souffrent pas de l’ombre d’un doute sur leur justesse du point de vue des principes s’ils ne s’étaient exprimés uniquement dans le champ des conflits sociaux-économiques internes à chacune de ces sociétés. Sauf que la portée de ces slogans ne pouvait être dissociée de leurs liens forts avec les agendas de changements régionaux et internationaux.
5. L'émergence et la diffusion large de discours communautariste et confessionnel dans les programmes de propagande pour certains groupes impliqués dans les conflits , en particulier au proche orient arabe, comme cela est le cas avec les deux Yémen et en Syrie afin de se déplacer loin du discours socio-politique traditionnel, de classe, qui n’est plus en mesure de mobiliser les masses comme il était capable de le faire pendant des décennies. Cette rhétorique sectaire a été accompagnée d'un développement des courants séparatistes qui ne croient plus dans le discours nationaliste ce qui a rajouté à la complexité de la situation nationale traditionnelle dans les pays qui ont vécu ce mouvement. La conjonction de ces constatations apporte des éléments de preuve que des changements radicaux ont bien eu lieu dans nos sociétés, en particulier dans leurs relations avec les pouvoirs en place, d'une part, et leurs rapports aux puissances étrangères, d'autre part. A noter que le nationalisme arabe, qui a joué un rôle central dans la détermination de la perception des forces politiques et sociales entre-elles, et du pouvoir politique dans ces différents pays, a disparu au point que l’appel à une intervention militaire étrangère pour changer les systèmes politiques, jadis interdite par principe, ne constitue plus un véritable blocage idéologique pour ces acteurs politiques.
Certes, la plupart de ces forces ont œuvré pendant des décennies à infléchir nationalement le cours des événements, pour l’émergence de systèmes politiques démocratiques, facilitant la participation citoyenne et garantissant les libertés fondamentales pour tous, dans les domaines de la liberté d'expression, les droits de l'homme, le développement du rôle de la société civile et des partis politiques, comme dans l’instauration de processus électoraux favorisant la démocratie représentative, à travers des lois et des institutions reconnues au niveau local et national. Mais ces expériences n’ont pas atteint leurs objectifs et des résultats satisfaisants. Les réalisations sont quasi inexistantes comme cela est le cas dans un certain nombre de pays aux systèmes politiques traditionnels fermés.
Les expériences « démocratiques » tentées avaient atteint dès lors, un degré de dévoiement de certaines forces en direction de l’étranger sans équivalent. Dévoiement considéré auparavant comme une ligne rouge à ne pas dépasser.Ces postures radicales vis-à-vis des puissances étrangères, ont connu un net recul avec l’avènement de ce qui a été qualifié de « Printemps arabe ». La principale raison de ce revirement, est lié au changement radical, dans les positions de certaines puissances régionales et internationales, arguant que les forces d’opposition locale jouaient leur survie, et qu’il était vital de soutenir tous les mouvements de protestation qui défendent les mêmes intérêts pour le changement, intérêts conformes aux orientations stratégiques dans la région et que les pouvoirs politiques en place ne sont plus en mesure de les garantir.
L’apparition de ce facteur extérieur, a amené les observateurs et les forces politiques concernés dans les pays du Proche et Moyen-Orient, à parler, depuis les premiers jours du « Printemps Arabe », d’un complot américano-européen visant à remodeler la région dans le but de redessiner la carte de la région. Vision confirmée par la thèse du « Chaos Créatif » développée par les néo-conservateurs américains et portée par la Conseillère d’Etat à la Sécurité Nationale américaine Condoleezza Rice , devant la Knesset en 2006.
Le mode opératoire du renversement du régime de Mouammar Kadhafi en Libye, apporte pour beaucoup une explication de l’agenda du chamboulement voulu par les puissances occidentales de la région du Proche et Moyen-Orient. Un mode dans lequel la Lybie, la crise Syrienne ainsi que la situation au Yémen ne sont que les premières étapes d’un agenda de remodelage qui a débuté par l’invasion de l’Irak en 2003.
Il n’en demeure pas moins que l'élément le plus dangereux dans ce remodelage stratégique concocté par les puissances occidentales, est dans sa capacité à compromettre les forces politiques libérales traditionnelles et un certain nombre de forces de gauche à se transformer en « bras auxiliaire intérieur » dans l’achèvement des transformations jusque-là impossibles sans l’immiscions étrangère. Et donc, voir l'intervention étrangère comme une libération et c’est là que réside précisément la faiblesse fatale de ce printemps.Ce qui n’est pas un « printemps arabe » à coup sûr.