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Billet de blog 15 mars 2016

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Égalité et Démocratie : reprenons la main

« l’attitude qu’adoptent les hommes vivant en société face à l’idéal d’égalité qui est, avec la liberté et la paix, une des fins ultimes qu’ils se proposent d’atteindre et pour lesquelles ils sont prêts à se battre ». L’égalité serait donc, en première approche, ce qui caractérise "la gauche". Norberto Bobbio (1)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans cette tribune, l’objectif n’est pas de viser, mais poser l’égalité, qu’elle soit politique, esthétique ou intellectuelle. La préoccupation est de ne pas réduire les modes de vie et de pensée des individus à leurs déterminations sociales, culturelles ou historiques.

La finalité est rendre la part aux « sans-part », des pauvres, des exclus ou des dominés, et de ne pas les enfermer dans un destin social qui leur dicterait leurs pensées, leurs goûts, leurs regards ou leurs aspirations, et par là déconstruire les certitudes les plus établies.

L'égalité de quoi ?

« Les individus sont capables de se démarquer des identités qu’on leur assigne. En démocratie, tous doivent prendre part au pouvoir. » Jacques Rancière

Dans une société démocratique, l'égalité découle de l'arbitrage que rend la société entre ce qui doit être égal et ce qui peut ne pas l'être.

Rechercher l'égalité passe donc par l'identification des domaines où l'inégalité est inacceptable, et ceux où elle est tolérable, voire acceptable. L'égalité, certes ; mais l'égalité de quoi ?

Il faut donc que la société se donne les moyens de désigner puis d'imposer les domaines qu'elle considère comme primordiaux pour l'égalité.

Il est pour cela indispensable d'adopter un mode de réforme suscitant la participation la plus large possible de tous les acteurs.

Le choix social des égalités est  au fondement de la justice sociale. Si chacun adhère aux combats pour les égalités choisies, il saura alors distinguer ce qui juste socialement de ce qui ne l'est pas.

Une fois posé ce nouveau principe d'égalité, seul un contrat social qui associe, implique, et donc oblige tout le monde et chacun, permettra de définir les domaines dans lesquels la société entend promouvoir l'égalité, et en creux, les inégalités auxquelles elle se résout.

Il faut la reconnaissance par chaque personne de ces principes pour forger l'acceptation par tout le monde de l'égalité souhaitée par la société

L’égalité n’est pas ici fondée sur l’égalité des besoins, mais sur l’égalité face à la satisfaction des besoins. On sait que ce critère s’applique à un stade de développement caractérisé par l’abondance. Ce qui rend  de s’attarder sur le "joker de l’abondance", mais que le problème d’une juste répartition.

Donner accès aux droits : l'égalité des capacités de faire et d'agir.

Ce changement de paradigme se traduit par une capacité continue et égale d'accès à des biens publics, qu'il s'agisse de logement, d'éducation, de transport, de santé, etc.

Mais il suppose aussi, et c’est là que le bas blesse,  la mise en place de dispositifs d'égal accès et d'appropriation de l'information et à la chaine de commandement.

La disponibilité de ces biens sociaux et matériels ne suffit pas. Il faut aussi considérer la capacité des personnes d'en faire bon usage, de s'approprier ces outils et services, ces moyens mis à leur disposition: que chaque personne dispose d'une « capacité sociale » égale.

Les politiques destinées à promouvoir l'égalité doivent de ce point de vue reposer sur le développement d'un « éventail de capacités », et insister sur le fait que chaque personne doit considérer son bien-être comme le lieu de son insigne liberté.

Cette liberté n'est pas l'égoïsme individualiste, ni une forme petite-bourgeoise, voire poujadiste. Elle est une capacité sociale de la personne.

L'égalité des capacités va donc plus loin que l'égalité des chances. Cette dernière place sur une même ligne de départ les individus, négligeant les conditions précédant l'alignement sur la naissance.

L'égalité des chances (P. Bourdieu) (2) entérine ainsi implicitement l'idée du mérite et de la responsabilisation de la réussite.

Par conséquent, dans ce cadre, chaque individu est tout autant responsable de son échec. Avec toutes les conséquences d'abandon, d'impasse et d'exclusion que cette idée induit.

Le riche serait riche grâce à son travail. Le pauvre serait pauvre parce qu'il n'aurait pas « assez travaillé », et il ne tiendrait qu'à lui de se sortir de sa situation.

L'égalité des capacités  (J. Rancière) (3) dépasse aussi l'égalité des possibles (Eric Maurin) (3), qui définit les domaines nécessitant une politique de redistribution en amont de la ligne de départ.

L'égalité des capacités ajoute à cet effort indispensable, l'accompagnement de chacun dans sa trajectoire personnelle, en lui offrant de manière permanente les moyens de son épanouissement, de sa progression, de sa participation au projet collectif, en somme de son émancipation.

Cette égalité des capacités se conjugue donc avec une égalité d'accès aux droits, à la représentation, aux infrastructures, aux moyens publics et privés, aux soins, à l'éducation, etc. Cette dernière est bien entendu l'étape préalable pour que chacun ait la possibilité d'acquérir l'essentiel des savoirs.

L'égalité d'accès pour tous les citoyens est bel et bien un combat qui donne du sens à l'engagement. C'est un combat qui rend lisible et compréhensible les décisions prises et qui sont nécessaires pour créer les conditions d'une plus grande justice sociale.

Ce combat doit être fait dans le cadre d'une démarche participative avec une implication citoyenne car ce sujet doit être l'occasion de réfléchir sur l’avenir collectif. Il demandera beaucoup de fermeté face à la préemption du pouvoir par des castes, aux conservateurs et aux réseaux d'influence de tous poils qui neutralisent tout élan d'audace, aux oligarchies politiques.  

Il doit être l'occasion de revisiter les fondations de nos organisations et de donner à lire les propositions de changement de vision de la place de la diversité, qui  souffre le plus de l’absence de droit à l’égalité politique.

Si nous regardons ces, ce ce marqueur de gauche qu'est l'égalité, nous pourrions donner du sens à l'action publique dans les domaines de l'emploi, de l'éducation, de la politique fiscale, ou de la transition écologique. Cela aurait aussi le mérite de resituer le débat économique à sa juste place et dynamiser encore plus fortement le dialogue social et renforcer la responsabilité des acteurs. Cela aurait aussi le mérité de respecter les chartes de l’égalité  et redynamiser la démocratie.

Quelle démocratie voulons-nous ?

Quand on parle de crise de la démocratie ou de malaise de la démocratie, on désigne simplement le fait que nos États dits démocratiques ne le sont en réalité que très peu. Ils sont gouvernés par des oligarchies limitées de politiciens, d’experts, d’hommes de médias, des oligarchies très largement endogames et de plus en plus internationales. Il ne s’agit pas là d’une crise de la démocratie, mais d’une confiscation de la démocratie. Quand on parle de crise de la démocratie, on essaie de renverser les choses, comme si le trouble venait non pas des pratiques du pouvoir, mais de la collectivité des citoyens.

Quand on « vote mal », par exemple lors des élections du 21 avril 2002 ou aux européennes de 2014, on dit qu’il y a un malaise dans la démocratie parce que ceux qui votent seraient des gens arriérés, incapables de reconnaître les évolutions nécessaires, ou bien des consommateurs égoïstes qui choisissent un candidat selon leur intérêt personnel. Nous sommes en réalité face à une démocratie largement confisquée, état de fait que justifie le discours intellectuel sur la crise de la démocratie au nom soit de l’incapacité du peuple, soit de son égoïsme.

Le seul critère fondateur de la distinction entre la droite et la gauche serait le critère d’égalité (5). "L’égalité est le seul critère qui résiste à l’usure du temps, à la dissolution qui touche les autres critères, au point que la distinction entre droite et gauche finit elle-même par être remise en question". Si la dyade droite/gauche devait aujourd’hui être refondée ce serait "à partir d’une réorganisation des critères dérivés à partir de la valeur fixe de l’égalité, ou du caractère crucial de l’égalité comme valeur".

(1)  Droite et Gauche, Norberto Bobio - Paris, Seuil, 1996, 154 p.

(2)  Les Héritiers, La Reproduction, La Distinction,, Raisons pratiques, Pierre Bourdieu

(3)  Le Maître ignorant, Jacques Rancière

(4)  L’égalité des possibles, Eric Maurin

(5)  Idem, op cit. (1)

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