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Billet de blog 16 janvier 2014

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François Hollande : l'économie de l'offre, de la demande et la social-démocratie

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« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’homme peut affamer l’autre impunément... L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable... Prononcez, légiférer, les sans-culottes avec leurs piques, feront exécuter vos décrets... »

 Tonnait en l’an II l’ancien prêtre Jacques Roux à la convention.

 François Hollande : l'économie de l'offre, de la demande et la social-démocratie

  • La loi de l’offre et de la demande

 « C’est l’offre qui crée la demande » annonce François Hollande dans sa troisième conférence de presse.

Pour un socialiste, le rapport de l’offre à la demande et la primauté de l’une par rapport à l’autre sont des éléments importants dans le geste idéologique.  

De la loi de Say ou loi des débouchés basée sur l’économie de l’offre,  à la loi de Malthus, prolongée par Marx et Keynes, l’économie de la demande, que disent les principaux fondateurs de ces deux concepts ?

Pour Jean-Baptiste Say (1767-1832), dans la loi des débouchés: « Toute offre crée sa propre demande. En pratique une entreprise qui met un bien sur le marché donne l’équivalent de sa valeur à ses salariés sous forme de salaires et à ses propriétaires sous forme de dividendes. ». La gestion de quantité de monnaie en circulation dans l’économie d’un pays n’a aucun impact sur le niveau de production : On vend un produit, non pas pour récupérer de la monnaie, mais pour pouvoir en acheter un autre. « Les produits s’échangent contre des produits », la monnaie « n’est qu’un voile », qu’un instrument pour faciliter les échanges, pour éviter le troc.

Ce qui lui fait dire que cette loi implique un équilibre global entre l’offre et la demande. Il ne peut donc y avoir de surproduction. Il y a seulement des déséquilibres passagers, des ajustements qui seront corrigés par le jeu naturel des prix.

 Pour J.M. Keynes (dont la théorie inspire les socialiste français) : La doctrine qu’il développera prône la relance de l’économie par l’injection de monnaie sera en totale opposition avec cette loi des débouchés élaborée par Jean-Baptiste Say.

Pour soutenir l’objectif de croissance et de plein emploi, les politiques keynésiennes vont utiliser des politiques macro-économiques actives. Ces politiques macro-économiques prévoient notamment un soutien budgétaire actif aux dépenses publiques. Autrement dit: l’État accepte, lorsque c’est nécessaire, de se mettre en déficit en dépensant de l’argent afin de soutenir la croissance économique et en investissant, entre autres, dans les infrastructures collectives. Il soutient, d’autre part, les investissements en maintenant les taux d’intérêts des emprunts bas, ce qui incite les ménages à consommer et les entreprises à développer l’activité économique. Bref: l’État sou- tient la demande, autrement dit la consommation et l'investissement productif (développement et création d’entreprises) et résidentiel (investissement des ménages dans le logement, par exemple).

Point de rupture entre les deux conceptions : Keynes décrivait la loi de Say « l’offre crée sa propre demande ». Tout repose sur la demande plutôt que sur la production. Il en découlait par conséquent que pour stimuler l’économie il fallait que l’État dépense pour faire augmenter la demande. Et c’est là-dessus que Keynes a basé sa Théorie Générale de 1936…

Pour Keynes comme s’il suffisait de produire quelque chose pour que la demande pour ce bien se manifeste.

  • Eléments de contexte économique

 1.     Néolibéralisme et compétitivité

Les années 80 ont connu une attaque néo-libérale globale. Tous les éléments du compromis social de l’après-guerre sont visés. Le système économique et monétaire négocié au sortir de la guerre est détruit unilatéralement par les États-Unis. Tous les compromis internationaux et nationaux éclatent les uns après les autres.

2.     Changement de système économique

Ce ne sont plus les États qui dictent leurs conditions aux investisseurs: ce sont les investisseurs qui choisissent le lieu de leurs investissements. Les investisseurs ne sont plus amenés à investir de manière «productive»: jouer en bourse et spéculer est souvent plus rentable que développer une activité dans l’économie réelle. La nature même du système économique change: en changeant les règles du jeu au niveau international puis national, les gouvernements ont créé un autre capitalisme : celui qui attaque les modèles sociaux de 1945.

3.     Attaque contre le monde du travail

Le coût des salaires pour les entreprises augmentent pendant la crise pétrolière et ce, au détriment des profits. Pour rétablir les profits, les salaires sont bloqués sans mettre fin une fois les taux de profits d’avant crise rétablis. Ce sont les allocataires sociaux et les salariés qui supporteront la charge du risque propre au système capitaliste. L’investisseur exige un retour garanti sur son investissement. Les bénéfices ne peuvent le décevoir. Dans le cas contraire, les nouvelles règles financières et du droit du travail lui permettront d’aller voir ailleurs... C’est le temps de l’intérim, des contrats à durée déterminée, des heures supplémentaires, des délocalisations, des salaires low-cost...

4.     Attaque contre l’État et la Sécurité Sociale

Il faut dépenser moins, investir moins, privatiser, et baisser les impôts. Les politiques libérales asphyxient l’État, pour mieux remplir leur objectif: rétablir le rapport de force en faveur des investisseurs. Les néo-libéraux ont aussi pour ambition de détruire le pilier du modèle social: la Sécurité sociale. Malgré le fait qu’il y’ait de plus en plus riches, Les néo-libéraux essayent de convaincre les citoyens que le modèle solidaire de 1945 n’est plus viable. Les citoyens devront pouvoir s’assurer seuls contre tous les risques de la vie.

La période qui s’est ouverte au début des années 1980 a sa logique propre: se profile désormais une société faite d’inégalités et de chômage, certes, mais une société qui garantit un taux de profits de plus en plus élevé !

5.     Travail, emploi, chômage : Workfare ou « Activation » des chômeurs

Avec la stratégie européenne de Lisbonne, le taux d'emploi devient un indicateur central, en lieu et place du taux de chômage. Ce choix n'est pas neutre. Car le taux d'emploi permet de s'intéresser aux personnes qui ne font pas partie de la « population active ». Autrement dit, de les y réintégrer... donc de les « activer ».

Un brin de mathématique est nécessaire pour comprendre la différence entre les deux indicateurs. Le taux de chômage additionne les personnes inscrites au chômage, et les divise par la « population active », c'est-à-dire les personnes qui sont activement disposées à retrouver un emploi. La « population active » est un sous-ensemble de la « population en âge de travailler » (15-64 ans). Il y a en effet des personnes qui sont en âge de travailler mais qui ne recherchent pas un emploi : les étudiants, des mères (des pères ?) au foyer, des pré-pensionnés, des personnes handicapées.

Le taux d'emploi, pour sa part, est le rapport entre les personnes qui ont un emploi et la population en âge de travailler. Pour augmenter le taux d'emploi, on doit donc ramener des personnes dans la population active (les « activer »)... et ensuite leur trouver un emploi (en principe). Dans un premier temps, on va tâcher de « motiver » les personnes « inactives » à rechercher un travail. Cela peut se faire de façon positive (à la scandinave): formations approfondies et gratuites, accompagnement soutenu dans la recherche d'un emploi. Ou de façon plus coercitive, en agitant la menace de sanctions (coupure des allocations) si l'on ne respecte pas un « contrat » ; c'est le cas en Belgique avec la « chasse aux chômeurs ».

Tony Blair a fait passer ses idées aux sociaux-démocrates (avec quelques résistances, notamment en France), mais aussi à certains libéraux. La 3e voie a inspiré la stratégie de Lisbonne, décidée en mars 2000, avec l'appui de José Maria Aznar, leader de la droite en Espagne).

Le traité d'Amsterdam fait de l'emploi une compétence partagée entre l'Union et ses Etats membres. Dans la foulée, l'UE lance la « Stratégie européenne pour l'emploi » (SEE). Les politiques d'activation s'y trouvent en bonne place. Trois ans plus tard, en mars 2000, les 15 Etats- membres de l'époque (dont 12 avec une participation sociale-démocrate) lancent pour une décennie la « stratégie de Lisbonne ». Celle-ci veut faire de l'Europe « l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». En pratique, un indicateur macro-économique devient prioritaire : le taux d'emploi, que les Etats membres doivent porter à 70% à la fin de la décennie.

A partir de 2005, la SEE va progressivement se fondre dans la stratégie de Lisbonne, sous la forme de « lignes directrices intégrées ». « Activation », « flexibilité » et « « employabilité » figurent en bonne place dans chaque nouvelle version des lignes directrices. C'est là le cadre institutionnel dans lequel vont se développer les politiques d'activation des chômeurs. Aujourd'hui encore, ces lignes directrices accompagnent la mise en place de la nouvelle stratégie UE 2020 de l'Union européenne, qui prend le relais de la stratégie de Lisbonne. Une justification politique précède cette mise en pratique et elle provient d'un changement des rapports de force économiques.

  • ·       François Hollande : social-démocrate et social-libéral

Accusées de créer le chômage, François Hollande demande que les entreprises créent des emplois en les aidant pour le faire.

 “C’est quelqu’un qui a une étiquette socialiste, qui a un programme social-démocrate et qui a une politique social-libérale”, déclare Alain Duhamel.

 Si on regarde les principaux axes de la politique menée par François Hollande el le gouvernement:

1.     François Hollande et le Pacte de compétitivité pour les PME et Pacte de responsabilité

« Aujourd'hui, nous n'avons plus le temps de différer les choix. C'est la stratégie de compétitivité que le gouvernement prépare, sur la base du rapport sur la compétitivité de Louis Gallois. Il n’y aura pas un énième plan, et je déconseille aussi l’idée du choc, qui traduit d’ailleurs davantage un effet d’annonce qu’un effet thérapeutique », a déclaré François Hollande. « Ce qui est attendu, c'est de la visibilité, de la stabilité, de l'efficacité. »

« En ces matières, il n'y a pas de formule magique, il n’y a pas de mesure miracle, il n'y a pas de réponse unique… C'est un ensemble de moyens, de dispositions, de politiques, qui doivent être mobilisés. Je propose donc un pacte entre tous les acteurs... Rien ne pourra se faire sans les entreprises, et encore moins contre »

Des entreprises compétitives, cela veut dire, des entreprises qui répondent à une demande forte et qui garantissent des marges suffisantes pour couvrir les risques peuvent investir.  

-       Que propose le pacte de compétitivité ?

              -       Le CICE (crédit impôt compétitivité emploi), un allègement d'impôt de 12 à 15 milliards d'euros accordé sans contrepartie aux entreprises et financé par la hausse de la TVA.

              -       La loi sur la sécurisation de l'emploi qui permet aux entreprises de baisser les salaires et de modifier le contrat de travail sans avoir à recourir à des licenciements.

              -       L'économie des dépenses publiques et une réforme des retraites qui enterre de fait le départ à taux plein à 60 ans.

-       En quoi c’est une politique social-démocrate?

C’est un « socialisme de l'offre », formule trouvée par François Hollande pour expliquer sa stratégie économique.

La caractéristique principale de la social-démocratie c’est de chercher des équilibres et des compromis entre capital, travail, marché, Etat, compétition et solidarité. Et François Hollande se situe dans cette perspective. Avec le « pacte de responsabilité », François Hollande souhaite mettre en place moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur les activités des entreprises, et, en contrepartie, plus d'embauches et plus de dialogue social. Il ne fait en cela qu’approfondir ce qu’il avait déjà dit, peut-être de manière moins claire, les mois précédents et ce qu’il avait annoncé, pendant sa campagne, lorsqu’il parlait de « pacte productif pour rehausser le niveau de l'emploi et de la croissance ».

Il est plus dans une logique sociale-démocrate que sociale-libérale. Car une politique sociale-libérale met en place des mesures en faveur des entreprises, sans privilégier le dialogue social. François Hollande est davantage dans une perspective de contreparties. Par ailleurs, aujourd’hui, il n’y a plus un parti socialiste européen, du nord au sud, qui ne pratique pas une politique de l’offre. Là encore, le débat est un peu artificiel car, bien évidemment, le gouvernement va mettre en place une politique qui favorise la création d’emplois, et par conséquent aider les entreprises.

La politique social-libéral incarnée Tony Blair partait de la réalité, de l’acceptation du marché et de la mondialisation pour en tirer le meilleur profit, alors que la politique social-démocrate de Lionel Jospin recherchait plutôt l’équilibre et le compromis. En cela, François Hollande est son héritier. Le chef de l’Etat est dans une logique de négociation, on aide les entreprises que si elles prennent des engagements pour l’emploi.

2.     François Hollande  le Workfare ou l 'Activation des chômeurs

Le programme de retour à l’emploi (« Workfare ») mis en place par Tony Blair puis par Bill Clinton au milieu des années 1990, propose la négociation du temps de travail branche par branche, la simplification « drastique » du code du travail ou la réforme du financement des syndicats.

François Hollande, avertit que le chômage étant élevé, "ce n'est pas le moment de réduire les droits des chômeurs". Selon lui, les efforts doivent se porter sur la formation et l'accompagnement pour favoriser le retour des chômeurs vers l'emploi. "Il y aura une réforme du RSA et de la prime pour l'emploi dans le cadre de la remise à plat de la fiscalité", souligne-t-il en outre.

Il se place à l’opposé du Workfare vanté par l’UMP et qui souhaite l’intégrer dans ses propositions pour 2017.

 3.     François Hollande et l’Europe

 Dans sa conférence de presse, François Hollande a rappelé que  dans un contexte de désamour et de défiance très forts par rapport aux institutions nationales et aux institutions européennes, que l'avenir de la France passe par l'Europe et que l'avenir de l'Europe passe par la France.Ce n’est pas dénué de courage d’affirmer une telle conviction à un moment où les Français doutent comme jamais de l’Europe. Cette prise de position était importante pour les Français qui ont besoin de sentir que François Hollande croit en l’avenir de projet européen pour y adhérer. C’est une condition nécessaire dans la période actuelle.

 4.     François Hollande sur les traces d’Henri Queuille

Lors de sa visite de Neuvic en Corrèze (Février 2012), François Hollande a vanté le "modèle" que représentait Henri Queuille, plusieurs fois président du Conseil sous la IVe République, saluant un "homme de décision" et la "modestie" de son style de vie. Henri Queuille a "une réputation qu'il ne mérite pas. Il savait trancher", a déclaré le candidat socialiste à la présidentielle, à qui ses adversaires politiques prêtent la réputation d'être indécis.

Tout comme Henri Queuille, François Hollande affronte une très grande crise économique et financière qui frappait le pays malgré les lueurs de croissance et de relance. L’essentiel est  de remettre en ordre les finances publiques.

Tout comme H. Queuille, François Hollande propose son pacte de responsabilité et les « mesures qui s’imposent » (sinon un « plan Queuille ») avec des mesures qui risquent d’être impopulaires et difficiles à faire accepter par les Français en général et la classe politique en particulier

Tout comme H. Queuille, François Hollande a pour objectif de laisser derrière lui une situation durablement transformée. Comme l’écrira avec admiration à son sujet, Edgar Faure, sous-secrétaire d’État aux Finances en 1949 « le prétendu immobilisme de M. Queuille et la prétendue orthodoxie de M. Petsche ont gagné la Marne du franc ». Et Edgar Faure de rajouter : « Écoutons aussi le témoignage de Wilfried Baumgartner, qui avait vécu de près, lui aussi, toute cette période : Il me souvient qu’après avoir été nommé ministre des Finances par le général de Gaulle, j’eus l’occasion, dans une décla- ration, de placer la phrase suivante : “Les historiens de l’avenir rendront sans doute un certain hommage à la politique économique de la IVe République ; ce n’est pas sur ce plan qu’elle a succombé.” » En parlant ainsi, ajouta Baumgartner, « je pensais notamment à M. Henri Queuille ».

  • Conclusion

 Par des politiques fiscales que peut créer le gouvernement pour soutenir l'économie, l'État risque de produire les mêmes effets néfastes en soutenant l'offre qu'il ne le fait en soutenant la demande car il modifie les signaux du marché (prix relatifs, profit, taux d'intérêt), s’il ne maîtrise pas les contreparties et les engagements des entreprises. L'économie de l'offre risque par sa politique fiscale de désorienter les entrepreneurs et de les faire investir dans des pans inappropriés de l'économie (le mal-investissement). Cette politique fiscale mal assurée peut être vecteur d’une crise économique inéluctable.

 Cette politique de l’offre, sans garanties et engagements données par les entreprises, risque de faire basculer des intentions social-démocrates en un social-libéralisme périlleux pour les travailleurs et préjudiciable pour la gauche.

Quelques lectures associés:

La fin des sociétés - Alain Touraine

France 2014 - les données clés

Réinventer la France - Jacques Levy

Henri Queuille : un homme de la IIème République "Sauveur" à titre provisoire de la IVème - Francis Tarr

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