Ebola : la France est-elle concernée ?
Dans un peu plus que 2 mois (les 28 et 29 novembre 2014), aura lieu Le XVe Sommet de la Francophonie à Dakar dans un centre de conférence moderne flambant neuf !
Il aura lieu alors que l’épidémie d’Ebola, la fièvre hémorragique qui frappe actuellement une partie de l’Afrique de l’Ouest, s’étend rapidement et que, d’après les prévisions les plus optimistes de l’ONU, l’épidémie pourrait encore s’étendre et durer six à neuf mois.
Face à cette catastrophe sanitaire et pas que, et au vu de l’histoire commune de la France avec cette région de l’Afrique, il semble légitime de se poser la question toute simple : notre pays se sent-il concerné par l’épidémie d’Ebola ?
Ce sujet est occulté ou peu abordé dans les communications officielles, dans les médias en continu très friandes du scoop, dans les réseaux sociaux et dans les préoccupations quotidiennes d’une bonne partie de la population.
N’est-il pas normal, dirons nous, au moment où ces opinions sont occupées à commenter les histoires de coeur des uns, les commentaires sur l’illettrisme des autres ou sur le retour d’un sauveur qui croît lui même qu’il l’est ?
Mais la France, puissance mondiale, centre de la galaxie francophone, qui a fait de l’Afrique un des cœurs de sa diplomatie d’influence, est-elle à la hauteur des exigences de la guerre contre cette catastrophe ?
N’a-t-elle pas une part de responsabilité dans l’état de pauvreté et dans la dette africaine, en grande partie terreau dans lequel a germé ce virus mortel ?
- Petit rappel sur ce virus mortel
Ebola se transmet seulement par contact direct avec des fluides corporels de personnes infectées, ou des objets comme des aiguilles de seringues contaminées. Il provoque de la fièvre, des vomissements, des diarrhées et parfois des hémorragies internes, et la moitié des malades meurent.
Aucun vaccin n'existe, mais l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé vendredi d'utiliser immédiatement des traitements expérimentaux. Et espère qu'un vaccin sera disponible en novembre, en priorité pour les personnels de santé. Selon l'OMS, près de 4 000 personnes ont été infectées depuis le début de l'année, et plus de 2 000 ont succombé.
En Sierra Leone, où le bilan frôle les 500 morts, les autorités ont annoncé une mesure extrême, et très critiquée à la fois par les ONG et la population : le confinement à domicile de toute la population du pays du 19 au 21 septembre.
D’une manière générale, l’épidémie progresse plus vite que les capacités d’accueil des patients dans des centres Ebola spécialisés.
Les effectifs des équipes médicales sont très insuffisants. Le seul centre hospitalier universitaire du pays, le Centre médical John Kennedy à Monrovia, est frappé par des incendies d’origine électrique et des inondations.
- La pauvreté est au cœur de l’épidémie
Est-ce un hasard si cette épidémie sévit dans des pays qui sont parmi les plus pauvres de la planète ?
Le dernier Rapport sur le développement humain 2014 du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) classe la Guinée à la 179e place sur 187 pays, le Liberia figure quant à lui à la 175e place et la Sierra Léone au 183e rang de ce triste classement.
Dans ces pays pauvres, Ebola « profite pour se développer d’un système de santé mal organisé par manque de moyens ». (1)
Aujourd’hui, selon le coordinateur des Nations unies pour la lutte contre la fièvre Ebola « Les besoins en matériel médical sont énormes : ils représenteraient 600 millions de dollars (soit 460 millions d’euros) » (2). Il faut des centres médicaux et des lits pour isoler les malades.
- Que fait la communauté internationale ?
Le Président Obama et la FDA (Food and Drug Administration) viennent d’autoriser les médecins libériens infectés à recevoir le Zmapp (3). Accord ayant reçu l’aval du Dr Margaret Chan, directrice générale de l’OMS.
Mais, il est important de signaler le désintérêt de la communauté internationale ainsi que des laboratoires pharmaceutiques quant aux maladies de ces régions ce qui a favorisé la propagation du virus. Depuis le premier cas, en 1976, 40 ans n’ont quasiment pas servi à la recherche, pour cause de non rentabilité et de non solvabilité. Aujourd’hui ces mêmes laboratoires se font concurrence pour trouver rapidement un vaccin. Dès lors que les millions de dollars d’aide sont annoncés, la recherche s’accélère.
Les laboratoires américains semblent plus avancés. « L’explication ? Outre-Atlantique, les virus dangereux sont considérés comme des armes de guerre, et une -menace très concrète pour les soldats américains postés dans les régions " à risque ". » (4)
Ebola n’intéresse absolument pas l’industrie pharmaceutique parce qu’il concerne des pays pauvres et pas solvables. Il n’y a aucun marché et donc pas d’évolution. Il faudrait une volonté très forte des gouvernements et de l’OMS pour forcer l’industrie pharmaceutique à développer à perte ce genre de vaccin (5).
- La finance ne voit que ses profits...
Pour faire face aux grands besoins de matériels, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ont débloqué chacune 200 millions de dollars et l’Union européenne promet 140 millions d’euros...
Si le président de la Banque mondiale, s’inquiète que la réponse apportée par le monde soit « catastrophiquement inadéquate », on peut se demander ce que la Banque craint le plus, une catastrophe humanitaire ou une crise financière.
En effet, les institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) prévoient une baisse de croissance d’au moins un point dans les pays concernés... et l’agence de notation américaine Moody’s se soucie de « l’impact financier direct sur les budgets des gouvernements via une augmentation des dépenses de santé » ainsi que des « conséquences pour l’industrie pétrolière et gazière de l’Afrique de l’Ouest [qui] seront considérables. L’apparition de l’épidémie va dégrader la main d’œuvre locale et probablement inciter les compagnies pétrolières à évacuer leur personnel expatrié, ce qui aurait pour conséquence de fortement limiter la production d’hydrocarbures ».
Cynisme ou irresponsabilité totale ?
Parallèlement, onze grands patrons d’entreprises internationales installées en Afrique de l’Ouest « concernés par l’impact du virus Ebola sur les économies des pays affectés », ont signé un appel, souhaitant un effort global plus important et mieux coordonné et une levée des interdictions de voyager. Ils s’appellent John Kavanagh, Lakshmi Mittal, David Reading, Bob Jones, David Rothschild, Dan Betts, Stephen J.J. Letwin, Graeme Hossie, Tony Carr, Gary Goldberg, Mark Bristow, et pèsent quelques milliards.
Ces grands patrons de compagnies minières ont décidé de pousser un cri d’alarme à l’intention de la communauté internationale (6).
Des noms, dont certains sont bien connus en France !!
- La dette de ces pays tue !
Ces pays ont subi pendant des décennies le poids énorme de la dette et les conditionnalités imposées par les créanciers. Après avoir créé les conditions du pillage, des privatisations, de la casse des services publics, la Banque mondiale pousse un cri d’alarme.
Ces politiques imposées aux pays du Sud depuis plus de 30 ans ont une part de responsabilité non négligeable dans la catastrophe humanitaire actuelle.
D’autre part, la gestion de la crise actuelle crée la catastrophe de demain, car " l’aide " apportée par la Banque mondiale va gonfler la dette de ces pays qui devront continuer d’appliquer ces mêmes recettes...
- Que peut faire la France ?
La France, membre influent de la communauté internationale, doit se mobiliser pour que les moyens nécessaires soient apportés afin de stopper l’épidémie soient immédiatement mis en place et de manière efficace.
De plus, elle doit se mobiliser pour que l’aide apportée ne soit pas conditionnée, car elle créera alors un nouveau champ de pauvreté qui sera le terreau des épidémies de demain.
La secrétaire d'État française au Développement et à la Francophonie, Annick Girardin, s’est rendu rendra les 11 et 12 septembre à Dakar et les 13 et 14 septembre à Conakry "pour marquer l'engagement de la France dans la lutte" contre Ebola. Pourvu que son message soit suivi d’actes.
Les actions sont pour les moins simples à envisager :
- Agir pour débloquer l’aide de 140 millions d’euros promise par l’Union européenne (7)
- Proposer le savoir faire en matière d’organisation des systèmes de santé de ces pays qui sont dans un état désastreux par manque de moyens,
- Apporter l’aide nécessaire en matériel médical dont ces pays en ont énormément besoin,
- Proposer des aides en centres médicaux et des lits pour isoler les malades,
- Apporter les aides nécessaires à la recherche en épidémiologie et contre les virus dangereux, car il y va de l’intérêt stratégique de la France (prendre exemple de l’exemple américain du zmapp).
Pour finir, il est primordial d’exiger l’annulation immédiate et sans condition des dettes des pays pauvres afin qu’ils puissent investir de manière souveraine dans des politiques publiques, seules capables d’enrayer sur le long terme et de manière massive la pauvreté et les épidémies qui en sont une expression terrifiante.
Si les mesures adéquates avaient été prises dès les premiers cas de cette flambée (décembre 2013), la situation ne serait pas actuellement aussi dramatique. L’épidémie n’est officiellement découverte que le 21 mars 2014, alors que le pic de la première vague était déjà constaté, avec une centaine de cas et déjà dans plusieurs foyers en Guinée et au Liberia.
(1) http://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/08/03/22654-lepidemie-virus-ebola-favorisee-par-systeme-sanitaire-defaillant
(2) http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/ebola-pourquoi-on-n-en-a-pas-fini-avec-la-pire-epidemie-de-l-histoire_1572992.html
(3) L’USAMRIID (U.S. Army Medical Research Institute of Infectious Diseases), chargé de trouver les solutions pour protéger le peuple états-unien des attaques biochimiques, a depuis plus de 10 ans comme principal projet de recherche, celui de trouver un vaccin ou antidote au virus Ebola. Cela a donné lieu à l’invention du Zmapp (association de trois anticorps monoclonaux)
(4) http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20140910/html/1167258.html
(5) http://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/ebola/afrique-de-l-ouest-pourquoi-l-epidemie-ebola-en-afrique-est-hors-de-controle_637707.html
(6) http://fr.africatime.com/guinee/articles/11-compagnies-minieres-demandent-lintensification-de-la-lutte-contre-ebola-en-afrique-de
(7) La Commission européenne souhaite aider les pays touchés en Afrique de l'Ouest, à savoir la Guinée, la Sierra Leone, le Liberia et le Nigeria.