« Il est difficile d’imaginer des gens heureux ignorant la violence et l’agressivité »,
Sigmund Freud
- On n’est jamais mieux servi que par soi-même !
Le 13 Octobre 2006, premier jour du mois du Ramadan, le califat de Da’ech fut proclamé sur l’ancien territoire des deux premiers empires arabes (Omeyade en Syrie et Abbasside en Irak). Au-delà de la portée symbolique de cet événement dans l’ordre, faut-il y voir l’aube d’une nouvelle renaissance panislamique, la nostalgie d’une grandeur révolue ou une pathologie passéiste ?
Quoi qu’il en soit, dans la foulée de l’irruption des djihadistes sunnites sur la scène irakienne, l’instauration de ce prétendu cinquième califat de l’histoire musulmane a démantelé la cohabitation et la coopération djihadiste, accéléré le processus d’indépendance du Kurdistan irakien et, de surcroît, donné aux djihadistes sunnites accès aux gisements pétroliers.
Sur le plan rituel, le calife Ibrahim (au nom de guerre Abou Bakr al-Baghdadi) (1), se proclame avec autorité détenteur des pouvoirs politique et spirituel sur l’ensemble des musulmans de la planète.
Cette proclamation il se place au rang de supérieur hiérarchique du Roi d’Arabie, le gardien des lieux saints de l’Islam (la Mecque et Médine), d’Ayman Al Zawahiri, le successeur d’Oussama Ben Laden à la tête d’Al Qaida ainsi que du président de la Confédération mondiale des oulémas musulmans, Youssef al-Qaradawi. Une belle audience califale en perspective !
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le califat de Da’ech a servi de révélateur en ce qu’il a brisé les codes de la guerre asymétrique précédemment en vigueur et en ce qu’il a réussi en une opération éclair (un blitzkrieg), à réaliser en trois semaines la jonction entre la Mésopotamie et l’Euphrate. Chose que 40 ans de baasisme en Irak et en Syrie, n’ont pu accomplir à cause des guerres picrocholines entre les frères ennemis du Baas, Saddam Hussein et Hafez al-Assad.
Da’ech nous épargne la lecture de dizaines d’ouvrages sur la notion de « retour vers le passé » en vue d’édifier un califat sur le modèle de la prophétie, en ce que son comportement a traduit concrètement sur le terrain le concept de la Jahiliya – c’est-à-dire l’ère préislamique, préconisée par Sayyed et Mohamad Qotb –, faisant prévaloir sa propre interprétation des faits dans un sens favorable à ses thèses, pour en faire la justification de ses crimes, ses turpitudes et leur comportement rétrograde.
Da’ech a également démasqué le subterfuge consistant à instrumentaliser la religion en tant que stratégie de conquête de pouvoir. Jusque-là, cette stratégie était demeurée dans l’ordre implicite et indicible.
Da’ech a fait voler en éclat le sacro-saint principe de gouvernance divine (alhakimyya) en traduisant la notion d’obscurantisme en vigueur dans l’ère préislamique.
Alors même que le califat a rétabli la pratique de l’ostracisme au sein des sunnites, et a transformé la sauvagerie et la violence en mode de vie.
- D’où viennent-ils ?
Da’ech prend son essence de la génération traumatisée par les guerres successives de Saddam Hussein (Iran-Irak, guerres contre les Kurdes et massacres des Kurdes à Halabja, 1991, 2003), par le châtiment collectif infligé à sa population par le blocus international de l’Irak – l’un des pires de l’histoire contemporaine – et, enfin, par la présence américaine, la plus idiote occupation de l’histoire américaine.
Cette conjonction maléfique de trois éléments, schéma identique à celui vécu au quotidien par les habitants de Gaza, a généré au sein de la population irakienne un fort sentiment de pessimisme et de perte de confiance dans tout avenir.
L’État irakien se retrouvait en effet réduit à un État précolonial de régression, faisant voler en éclat tout lien de solidarité sociale et de cohésion nationale et tout lien avec la modernité qui formait une partie du projet sociétal de Saddam.
La modernité se réduisant dans la vision de Saddam aux transactions d’armes, à l’acquisition de matériel de torture, à la dilapidation des richesses nationales, physiques et humaines, et à l’arbitraire du pouvoir.
Bien avant que ne se réalise cette triangulation maudit, le poète irakien Badr Chaker al-Sayyab avait rédigé à ce propos un poème intitulé « La prostitué aveugle » (2). Que d’épreuves pour les Irakiens, la culture s’est dissipée, et la presse exténuée a laissé place à un désert culturel. Les mots sont devenus impuissants à décrire la catastrophe dans laquelle vivait humainement la société irakienne.
- La folie maniaco-dépressive de Da’ech
Da’esh a fondé sa cohésion interne en développant le fanatisme parmi ses membres ainsi qu’en ancrant un comportement de type terroriste dans son sein et par ses actions extérieures. Fanatisme et terrorisme auront été le ciment de l’unité du mouvement.
C’est le ticket d‘entrée à la vérité absolue, à tuer le doute et à subvertir la morale pour faire table rase du passé, pour opérer une césure avec le passé personnel des membres de ce groupement, autrement dit couper le cordon avec la matrice originelle, Al Qaida d’Oussama Ben Laden.
Comme cette opération de lavage de cerveau n’a pas eu lieu, il importait de préserver les apparences de la pureté en commanditant des actions d’éclat destinées à impressionner les adhérents nouveaux ou anciens, les rivaux et adversaires, le monde interne et le monde externe au mouvement.
Cela justifierait en partie la désignation d’égorgeurs parmi les primo-arrivant souvent d’origines occidentales (anglais, américains, australiens..) pour accomplir des opérations spectaculaires à fortes retombées médiatiques : destruction des lieux de culte (aussi bien les mosquées que les églises), des statues et des échoppes de tabac, recours à la lapidation en public, à la crucifixion et à la décapitation, couplée d’une prise de photo avec les têtes décapitées.
La folie maniaco-dépressive de Da’ech s’est révélé dans l’arbitraire du pouvoir, dans l’opportunisme, le vol, le meurtre, l’enlèvement, la vengeance, l’attaque contre les sanctuaires, la tendance à stigmatiser publiquement, sans vergogne, quiconque se dresse sur son chemin.
- Alors tout cela justifierait-il des frappes contre Da’ech ? l’arbre qui cache la fôrêt de l’Axe
« Les menaces de Da’ech ne sont pas propres à la région du Moyen orient, elle nous menacent » François Hollande le 19 Septembre 2014
Le Conseil de Sécurité a adopté une résolution internationale de lutte contre l’EIIL. Cette résolution a donné lieu aux premières frappes aériennes US sur le nord de l’Irak à la frontière du Kurdistan et à une résolution du Conseil de sécurité contre « Daech » (et « Jabhat al-Nosra »).
Certains pourraient expliquer ces prises de position par le fait que les puissances Occidentales auraient finalement décidé d’admettre la vérité et de s’attaquer sérieusement au terrorisme pratiqué par ces deux organisations.
Alors faut-il laisser Da’ech faire ?
Le recours à la force peut être nécessaire pour faire face à cette puissance fasciste qui utilise le terrorisme comme tactique de combat, comme outil psychologique et comme méthode pour gouverner.
Faire face à cette entité terroriste par la violence n’est pas seulement légitime suite aux crimes qu’elle a perpétrés, mais aussi parce qu’il est impossible de se débarrasser de cette force d’occupation sans utiliser la force.
Mais qui peut frapper ? Qui doit intervenir ? faut-il se contenter seulement d’une intervention militaire occidentale contre Da’ech, limitée aux frappes punitives ?
Cela ne servirait qu’à gérer la crise à la place de lui trouver une solution réelle. Une telle méthode de gestion de crise enlève à tout combat toute dimension de justice et de libération des peuples de la région et à leur tête le peuple palestinien, conditions nécessaires au rétablissement de la stabilité de la région.
Frapper Daesh n'est nullement une solution tant que les problèmes de fond causés par les guerres occidentales et israéliennes ne soient réglés et à leur tête la Palestine.
Elle ne soune doit pas se contenter de son volet militaire. D’autres dimensions sont nécessaires pour être réellement efficace, à savoir :
- A commencer par lui couper les vivres, cesser de commercer avec et lui couper toute possibilité de connexions internet.
- Faire face à l’origine du terrorisme dans la région, à savoir le régime syrien vis à vis de sa population et Israël vis à vis des palestiniens, en aidant les démocrates syriens et en forçant Israël à respecter le droit international par le retour aux frontières de 1967 et la levée des blocus meurtriers.
- Faire face à Da’ech n’est pas seulement faire face à une organisation criminelle, qui n’est pas seulement le produit de certaines politiques criminelles locales et internationales. Da'ech a aussi des ponts avec le wahabisme soutenu par les occidentaux. Da’ech est une évolution d’al-Qaïda en Syrie et en Irak, Al-Qaïda elle même étant une organisation d’origine saoudienne et égyptienne. Il n’est pas sérieux de nier l’influence religieuse saoudienne dans la naissance de Daech, même s’il s’agit là d’un phénomène contemporain. Ce monstre est né de la décomposition politique, de la pensée décadente et de la morale en faillite.
(1) http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/06/30/qui-est-al-baghdadi-nouveau-calife-djihadiste_4447612_3218.html
(2) http://www.paperblog.fr/2445923/le-dernier-communiste-irakien-entre-au-paradis/