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Billet de blog 27 février 2014

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Brouille diplomatique Paris-Rabat : Rhume ou enfumage

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« C’est au Maroc que l’on peut couper les jarrets de la France »

Von Kalle, Officier Allemand de la Seconde Guerre

« Le Maroc et sa monarchie restent une exception dans le jeu diplomatique français. La richesse de l’axe Paris-Rabat est protéiforme : économique, diplomatique, bien sûr, mais aussi humaine, culturelle et presque familiale. » écrivait Jeune Afrique dans son numéro de Décembre 2010.

Alors pourquoi toute cette surenchère de la part des autorités marocaines, qui continuent à exacerber les tensions. malgré la déclaration de Laurent Fabius, qui dit : "Nous avons donné des explications utiles, regretté des incidents qui ont pu se produire, déploré qu'on puisse donner à cette situation un tour qu'elle ne devait pas avoir et j'espère bien que tout cela appartiendra, si ce n'est déjà fait, au passé « ?

Les autorités marocaines ont décidé de rompre toute coopération judiciaire avec la France. Et pour cause, le Maroc utilise une question peu coûteuse économiquement et souhaite faire d’une pierre deux coups : calmer une opinion pas toujours au fait des détails diplomatiques et tenter d’avoir un traitement privilégié concernant les responsables d'atteintes aux droits humains et qui devraient rendre compte de leurs actes. Rompre uniquement dans le domaine judiciaire, démontre cette volonté de la monarchie de ne pas se soumettre comme n'importe quel Etat à la justice universelle, cette que le droit international garantie. D’autant plus qu’il ne s’agit pas de personnes protégées par une quelconque immunité diplomatique.

Le Maroc ne peut pas se permettre de cesser la coopération dans d'autres domaines.

En effet, dans le domaine de la coopération en matière d’éducation, le Maroc, et les décideurs franco-marocains s’appuient sur un réseau éducatif très dense, noué entre les deux pays. Anciens de la « mission » (lycées français René-Descartes de Rabat, Hubert-Lyautey de Casablanca, Victor-Hugo de Marrakech…) ou des grandes écoles parisiennes (Polytechnique, Ponts et Chaussées, Institut d’études politiques…): les acteurs de cette matrice privilégiée déclinent au quotidien les rendez-vous d’affaires, les colloques et les actions caritatives. (1)

Le Makhzen rend d’ailleurs souvent un hommage appuyé à ces grands « amis du Maroc ». Le roi a ainsi décoré du Wissam Alaouite Jean-Paul Herteman, une distinction déjà accordée à son prédécesseur Jean-Paul Béchat ou encore à l’économiste Christian de Boissieu. Sans oublier Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement (AFD), qui fait du Maroc, avec 483,2 millions d’euros d’engagements en 2011,  fait du Maroc le premier partenaire de l’AFD (2)

Avec, en parrains habiles, et en alibis, les universitaires, les intellectuels, les artistes et les barons médiatiques de « l’amitié franco-marocaine » : Pierre Bergé (après sa déclaration d’amour pour Marrakech, il vient de racheter la villa Léon l’Africain à Tanger), ­Bernard-Henri Lévy (philosophe dont la chemise blanche hante les vols Paris-Marrakech), Charles Saint-Prot (géopolitologue et militant de la « marocanité » du Sahara occidental), Tahar Ben Jelloun (écrivain), Mehdi Qotbi (peintre et créateur du Cercle d’amitié franco-marocain), Djamel Debbouze (humoriste et producteur qui a l’oreille de Mohammed VI et de son frère Moulay Rachid), le député marseillais UMP Jean Roatta­ (président du groupe d’amitié parlementaire France-Maroc)…

Dans le domaine de l’agriculture  Stéphane LE FOLL, Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, et Guillaume GAROT, Ministre délégué à l’Agroalimentaire, ont déjeuné avec Aziz AKHANNOUCH, Ministre marocain de l’Agriculture et de la Pêche maritime, lundi 10 février 2013 à Paris. Dans le prolongement de l’accord franco-marocain signé en avril 2013 à Rabat, les ministres ont salué la signature de deux conventions, l’une concernant la coopération entre services sanitaires, et l’autre sur la coopération en matière d’enseignement agricole (opération « 250 », qui permet chaque année l’accueil de 250 stagiaires agricoles marocains en France). Ces conventions sont destinées à renforcer la coopération entre les administrations françaises et marocaines en charge de développement de filières, de sécurité sanitaire des aliments, de formation et de recherche, de développement rural, de sécurité alimentaire.

Sans parler du rôle actif du Maroc dans cette coopération à travers les questions de  gouvernance de la sécurité alimentaire, dans le cadre du CIHEAM.

Dans le domaine de la recherche universitaire  Le partenariat s'intéresse aux trois composantes de l'activité universitaire :

  • la formation,
  • la recherche proprement dite,
  • la valorisation et le transfert technologique.

Echanges économiques 

Le volume des échanges économiques France-Maroc est une donnée de survie du régime en place.

La France est demeurée le premier partenaire commercial du Maroc en 2012. Les échanges commerciaux franco-marocains se sont élevés à 8,0 milliards d’euros.

La France est le premier client du Maroc dont elle a absorbe 22,6% des exportations en 2012. Les exportations marocaines à destination de la France sont concentrées sur les produits textiles, les composants électriques et électroniques et les produits agroalimentaires.

En 2012, la France est devenue le deuxième fournisseur du Maroc (12,5% de part de marché), cédant la première place à l’Espagne (12,9%). En effet, en dépit de la progression régulière de nos exportations, notre part de marché est en régression depuis 2000 en raison de l’ouverture du marché marocain, qui profite largement aux pays émergents (la Chine devenant le troisième fournisseur du Maroc en 2009).

La croissance du tourisme et l’importance des capitaux en provenance de France ont par ailleurs caractérisé nos relations économiques avec le Maroc pendant la décennie 2000. La France est le premier pays d’origine des transferts de capitaux des Marocains résidents à l’étranger (MRE), avec 2,1 milliards d’euros transférés au Maroc en 2011, représentant 40% du total des transferts des MRE.

Les Français constituent par ailleurs le premier contingent de touristes au Maroc (3,3 millions de visiteurs en 2011, soit 35% des arrivées) et les recettes associées à ce flux sont évaluées à 1,7 milliards d’euros. Les transferts de capitaux en provenance de France jouent ainsi un rôle déterminant dans l’équilibre de la balance des paiements marocaine, puisqu’ils permettent de compenser en partie le déficit commercial croissant de ce pays.

La France maintient par ailleurs son rang de premier investisseur étranger au Maroc.

En 2012, le flux d’investissements directs français au Maroc s’est élevé à 919 millions d’euros et la France détient 51% du stock total des IDE au Maroc. A cet égard, le Maroc est avec la Chine et l’Inde l’un des trois principaux pays de destination des investissements français à l’étranger. Enfin, l’implantation de Renault-Nissan à Tanger devrait, compte tenu des investissements directs prévus par l’entreprise (de 600 millions à 1 milliard d’euros) et de ceux probables de ses sous-traitants, générer un flux d’IDE français important au cours des prochaines années.

Le nombre de filiales d’entreprises françaises au Maroc serait de 750 sociétés employant plus de 80 000 personnes. Il convient d’y ajouter les très nombreuses sociétés marocaines dirigées par des entrepreneurs français ou à capitaux français. La plupart des grands groupes français sont présents au Maroc (36 entreprises du CAC 40) mais les PME y sont également de plus en plus actives.

Le Maroc est-il crédible par cette surenchère ?

Alors rompre avec la France sous prétexte qu'un ambassadeur aurait manqué de respect au Maroc et aux marocains, ne relève dans le contexte des relations bilatérales que de l’affichage. Car si c’est une réelle volonté de rompre les relations, notamment judiciaires,  c'est le faire dans tous les domaines.

Or, je ne crois pas que cela soit la motivation du gouvernement et du Roi. Utiliser cet argument pour rompre la coopération judiciaire, d'aucun citoyen dirait "baraka men taayak".

Cette suspension tombe de fait car, la coopération euro-marocaine restant en vigueur couvre entre autre la coopération avec chaque Etat constituant l’Union. Cet espace de coopération plus large, dispose de toutes les prérogatives dont bénéficiait celle entre le Maroc et la France.

Dans le cadre de la coopération judiciaire euro-marocaine, plusieurs magistrats de liaison ont été nommés par le Maroc dans des pays européens et réciproquement. La France a été le premier pays d’Europe à avoir nommé un magistrat de liaison au Maroc, depuis la création du poste de magistrat de liaison en France a permis aux deux pays de développer leur coopération judiciaire. Au sein de son ambassade ce magistrat assiste la mission diplomatique l’accomplissement de ces taches en matière juridique. Il entretient également des relations étroites avec ses homologues des autres pays.

Le magistrat de liaison veille à la communication et la diffusion de l’information et favorise l’accélération du rythme de réalisation, en particulier, lorsqu’il s’agit de délais de forclusion. Son rayon d’action n’a pas de limite tant qu’il agit dans le cadre de la coopération qui unit les deux pays et tant que son intervention se fait dans les règles et les coutumes régissant les relations internationales, basées sur l’égalité, le traitement réciproque, le respect et la considération mutuelle, tout en tenant compte de la souveraineté et de l’engagement à respecter l’indépendance de la justice.

On ne peut pas suspendre la coopération judiciaire sans rappeler les magistrats de liaison. Comme, il n’est pas possible de renvoyer ce magistrat de la mission diplomatique française à Rabat. Or c’est ce qui vient de se passer.  Il en ressort que beaucoup de bruit pour rien.

Le Maroc n'a pas les moyens de rompre quoi que ce soit avec la France, car l'axe Paris-Rabat reste très solide, ou plutôt économiquement fort, ainsi comme, dès 1914, à la veille de la Grande Guerre, l’officier allemand Von Kalle, en poste à Madrid, avait conclu: « C’est au Maroc que l’on peut couper les jarrets de la France. » Cette analyse reste d’actualité.

(1) Jeune-Afrique : L’axe Paris-Rabat – Décembre 2010

(2)  http://www.afd.fr/home/pays/mediterranee-et-moyen-orient/geo/maroc/afd-maroc

Lecture associée : Paris-Marrakech – Luxe, pouvoir et réseaux – Ali Ammar, Jean Pierre Tuquoi

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