Souverainisme, patriotisme, ultra-conservatisme
François Fillon, de Sablé-sur-Sarthe à la présidentielle, n'est-il pas lui aussi l'incarnation du "système" qu'il ne cesse de dénoncer ?
La puissante mobilisation de ce dimanche et surtout le score impressionnant recueilli par François Fillon démontrent que ni son passage à Matignon, ni les 35 ans de mandats ne l'ont décrédibilisé auprès d'un électorat avec lequel il a su entrer en communion et qui lors d'autres élections a aussi voté Marine Le Pen.
François Fillon et Marine Le Pen partagent trop de points communs pour éviter un télescopage en règle dès le premier tour de l'élection présidentielle. De tous les candidats en lice à la primaire, hormis le chrétien-démocrate Jean-Frédéric Poisson, le député de Paris aura été celui qui assume le plus de convergence avec le programme du FN.
Se définissant depuis plusieurs années comme "souverainiste" et "patriote", artisan d'une refonte de l'Union européenne, François Fillon a démontré pendant cette campagne qu'il était parfaitement capable de siphonner l'électorat le plus conservateur que lorgne le Front national. Catholique affiché, il revendique un programme sociétal au moins aussi traditionaliste que celui de Marine Le Pen. Soutenu par Sens commun, l'émanation politique de la Manif pour tous, le gagnant de la primaire a ciblé toutes ses aides sociales sur la famille, promettant de revenir sur l'adoption plénière pour les couples homosexuels. Comme la "droite hors les murs" incarnée par Robert Ménard et Jean-Frédéric Poisson, François Fillon ne voit pas dans l'IVG un "droit fondamental" même s'il jure qu'il ne reviendra pas dessus.
"Une grande partie des conservateurs et des catholiques traditionnels auront moins l'impression de se boucher le nez pour voter. Ça coupe des possibilités, donc moins d'espace pour le FN", prédisent les conseillers du Rassemblement Bleu Marine.
Une ligne dure sur le terrain de l'immigration
Même en matière d'immigration, pierre angulaire de la doxa du Front national depuis sa fondation, François Fillon flirte avec la ligne rouge et transgresse allègrement la digue dressée en son temps par Jacques Chirac.
Il a été le premier à droite à proposer en 2014 l'instauration d'une préférence nationale allégée. Un copié-collé de la "priorité nationale" prônée par Marine Le Pen consistant à priver les étrangers en situation régulière d'allocations sociales pendant deux ans. Les candidats à l'immigration doivent savoir "à l'avance que l'on ne peut pas débarquer en France et aller tout de suite au guichet", prévenait-il alors, promettant aussi de durcir les conditions d'accès à la nationalité française.
Partisan d'une réforme en profondeur de l'espace Schengen, François Fillon réclame par ailleurs des quotas en matière d'immigration et affiche une ligne de fermeté sur les migrants, même s'il ne tombe pas dans l'opposition frontale façon Laurent Wauquiez.
Et sur le terrain de l'agitation identitaire, il joue avec les références historiques chères à l'électorat le plus à droite: apologie du roman national à l'école, promotion de l'uniforme scolaire, refus affiché de la repentance…. Des positions qui lui ont valu le soutien de plusieurs cadres de l'aile dure de l'ex-UMP, de Thierry Mariani au député Nicolas Dhuicq.
Ces élus ont tous un point commun majeur avec Marine Le Pen: la défense inébranlable d'une réorientation géostratégique au profit d'une réconciliation avec la Grande Russie de Vladimir Poutine. François Fillon, comme Marine Le Pen, en a fait l'axe central de son programme international pour tenter de détruire l'Etat islamique et de résoudre la crise syrienne, quitte à réhabiliter Bachar al-Assad au passage.
Le terrain économique comme champ de bataille
S'il y'a un sujet exposé au débat, c'est bien le programme économique. Marine Le Pen et ses conseillers essayent d'effrayer une partie de l'électorat de gauche dans le cas d'un face à face au second tour de l'élection présidentielle. Pour s'assurer que le front républicain ne lui jouera pas des tours, Marine Le Pen et ses soutiens feront tout pour porter l'affrontement sur le terrain économique contre la ligne ultra-libérale portée par François Fillon.
David Rachline, directeur de campagne présidentielle de Marine Le Pen, a d'emblée ciblé le "projet économique délirant" de François Fillon, ses 500.000 fonctionnaires de moins ou la hausse de la TVA qu'il souhaite, "comme Alain Juppé". "Le plus ultra de tous. Le débat sera clair et net!" a fait mine de se féliciter Florian Philippot, défenseur d'une ligne étatiste et protectrice en matière économique.
Mais l'attaque est à double tranchant. Car le débat libéral est un sujet de tensions au sein du Front national où Marion Maréchal Le Pen s'oppose à Florian Philippot. Une opportunité rêvée pour François Fillon de diviser pour mieux régner, lui qui attaque systématiquement le Front national en raillant son projet économique, "un copier-coller de celui de l'extrême gauche".