Avec la prise de la ville d’El Fasher au Darfour, dans l’ouest du Soudan, le 26 octobre dernier par les milices des Forces de Soutien Rapide (FSR) du Général Hemedti et les massacres qui ont suivi - ils ont fait au moins 3000 morts dont 460 dans l'hôpital de la ville - le monde a découvert l’ampleur et la gravité d’un conflit qui dure depuis plus de deux ans, alimenté par des puissances étrangères pour le contrôle du pays et de ses richesses.
Le Soudan, une histoire tragique depuis des décennies
Le Soudan, et ses plus de 50 millions d’habitants, a connu depuis plusieurs décennies déjà une histoire profondément tragique. Le pays a dû subir pendant trente ans, de 1989 à 2019, la dictature militaire d’Omar El Bechir. Durant cette dictature, plusieurs guerres meurtrières se sont succédé au Darfour dont l'avant-dernière, qui avait duré de 2003 à 2020, a déjà fait plusieurs centaines de milliers de morts et est souvent considérée comme le premier génocide du 21ème siècle. Les forces d’Omar El Bechir, appuyées par les milices janjawids ciblaient les populations non arabes, notamment les ethnies Fours, Masalit et Zaghawa. Responsables de nombreux crimes de guerre, comme les massacres à motivation ethniques et l’utilisation du viol comme arme de guerre, ces sinistres milices janjawids seront ensuite intégrées dans les forces armées soudanaises, sous le nom de Forces de Soutien Rapide (FSR).
En 2019, une révolution pacifique portée par la jeunesse soudanaise avait cependant réussi à renverser enfin la dictature d’Omar El Béchir, suscitant un immense espoir dans le pays et au-delà de ses frontières. Malheureusement dès 2021, les militaires ont repris le pouvoir, les Forces Armées Soudanaises agissant à ce moment-là de concert avec les milices des Forces de Soutien Rapide. Mais en 2023, cette alliance
est rompue et les FSR réussissent à s’emparer d’une grande partie du pays, multipliant partout les exactions.
Un conflit alimenté par des puissances étrangères
Les ingérences étrangères sont massives au Soudan : le Tchad et les Émirats arabes unis arment les FSR tandis que l’Egypte et la Turquie soutiennent l’armée soudanaise. Il faut dire que le pays est riche en matières premières et notamment en or, dont les mines sont actuellement contrôlées principalement par les FSR. Depuis, ces milices ont dû reculer cependant et abandonner la plupart du terrain conquis pour se replier sur leur bastion du Darfour où elles viennent de conquérir El Fasher, la dernière ville tenue par les forces gouvernementales dans cette région. Une prise qui a donc débouché sur un bain de sang qui a, pour la première fois, brisé le mur du silence des grands médias occidentaux autour de ce conflit meurtrier. Un conflit qui a pourtant déjà fait des centaines de milliers de morts et 12 millions de déplacés qui survivent le plus souvent dans des conditions dramatiques depuis deux ans.
On entend souvent dire que l’Union Européenne n’aurait rien fait pour le Soudan. Ce n’est pas tout à fait exact, même s’il faut faire davantage. En 2019, l’Union s'est tout d’abord engagée de façon significative pour soutenir la fragile démocratie soudanaise, une révolution que le Parlement avait aussi saluée. Après le coup d’État militaire de 2021, l’Union a réagi par des condamnations fermes et des pressions diplomatiques, avant d’adopter, en 2023, des sanctions ciblées au déclenchement de la guerre civile, progressivement renforcées depuis. Plus récemment, le Parlement européen a appelé à aller plus loin, en durcissant les sanctions et en s’impliquant davantage dans la recherche d’une issue politique durable au conflit.
Des armes européennes retrouvées au Soudan
Les Émirats arabes unis constituent aujourd’hui le principal soutien militaire des Forces de soutien rapide (FSR), auxquelles ils fournissent des armes de pointe. Si la France ne livre pas directement d’armes au Soudan ni aux FSR, des équipements militaires français intégrés à des véhicules blindés émiratis sont bel et bien utilisés sur le terrain soudanais, comme l’a révélé Amnesty International en 2024. Et pourtant, un embargo européen interdit formellement toute exportation d’armes ou de matériel militaire vers le Soudan, tandis qu’un embargo des Nations Unies, plus limité, ne s’applique qu’à la région du Darfour.
D’autres armes européennes, notamment des obus bulgares, ont également été identifiées parmi l’arsenal des FSR. Le circuit d’approvisionnement est bien connu : les Émirats arabes unis, partenaires privilégiés de l’Union européenne, achètent des armements européens avant de les réacheminer vers les FSR, en violation manifeste de l’embargo.
Face à cette situation, l’Union européenne dispose d’un véritable levier diplomatique et politique : elle peut faire pression sur son partenaire émirati pour mettre un terme à ces transferts d’armes. Elle pourrait même envisager d’étendre l’embargo européen visant le Soudan aux soutiens directs des belligérants, au premier rang desquels les Émirats. Mais pour l’heure, les dirigeants européens préfèrent ménager leurs relations avec les monarchies du Golfe – allant jusqu’à préparer la signature d’un nouvel accord de libre-échange avec le Conseil de coopération du Golfe, plutôt que d’assumer leurs responsabilités face à ce conflit dévastateur.
La communauté internationale doit faire cesser ce massacre
Il y a pourtant désormais urgence absolue à faire enfin cesser ce massacre. Il faut que toute la communauté internationale - les Nations Unies, l’Union Africaine… - se décide enfin à imposer un cessez-le-feu immédiat et un embargo total sur les armes à destination du Soudan - et non plus seulement à destination du Darfour -, à établir des corridors humanitaires pour acheminer de l’aide et évacuer les blessés et à faire traduire les criminels de guerre devant la Cour Pénale Internationale.
Les 24 et 25 novembre se tiendra le Sommet Union européenne‑Union africaine. L’UE doit utiliser ses leviers diplomatiques pour une action conjointe visant à faire plier les deux camps et leurs soutiens pour obtenir un cessez-le-feu et faire en sorte qu’aucune arme et équipement militaires n’alimentent le conflit. Nous ne pouvons pas rester complices des massacres.
Mounir Satouri