Pendant que nous débattions à Strasbourg de motions de censure contre la politique de Von der Leyen, la France s’enfonçait dans la crise politique, ou plutôt dans une crise de régime, avec l’épisode grand-guignolesque de la nomination puis de la démission du gouvernement de Sébastien Lecornu. Quelques jours plus tard, le même Premier ministre — désormais le plus éphémère de la Ve République — est reconduit, à la tête d’un gouvernement toujours aussi macroniste, toujours aussi déconnecté des attentes des Françaises et des Français. Cette crise promet de s’approfondir toujours plus, du fait de l’acharnement du Président de la République à refuser de prendre en compte les résultats des élections de juillet 2024 et à vouloir conserver la main sur la politique du pays bien qu’il ait été largement désavoué lors des élections européennes puis législatives de 2024.
Un peu plus d’un an après la dissolution de juin 2024, la situation n’aura pas été glorieuse : réforme des retraites, refus de relancer l’ISF et rejet de la taxe Zucman, loi immigration qui se compromet avec des mesures directement inspirées de l’extrême-droite… Tous ces choix auront été les marqueurs d’une politique qui refuse systématiquement tout compromis avec la gauche. En termes de méthodes, la situation tend à l’acharnement. Faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale, le gouvernement a multiplié les procédures d’exception pour faire adopter ses textes, par exemple en limitant les délais, en ayant recours au “vote bloqué” empêchant les députés d’amender les projets de loi, et bien sûr en utilisant de manière répétée l’article 49.3, qui permet de faire passer une loi sans vote.
Après avoir eu un Président qui naviguait à vue, avec un gouvernail tronqué et coincé, comment ne pas se retrouver dans la situation actuelle où l’horizon des possibles s’est restreint à peau de chagrin ?
Le compromis se construit sur des bases saines. Jamais sur de la défiance et des promesses en carton. Notre pays n’aurait jamais dû perdre son âme à jouer avec les seules cartes du libéralisme et du sécuritaire débridés. Ce qui se joue en France aujourd’hui, pour le président Macron, c’est un choix décisif pour l’avenir de la France. Après avoir regardé avec mépris tout ce qui relevait de l’écologie et du social, il devient clair que ces deux axes ne sont plus optionnels, que l’on ne peut faire contre une partie des Français·es, celles et ceux, qui, pourtant, avaient gagné les élections législatives. Après avoir choisi le passage en force, il est clair aussi que la seule méthode possible est celle du dialogue. Une fois encore, ce n’est pas le chemin qui a été choisi.
Et les déboires français ne sont pas sans effet au niveau européen
D’abord, nos collègues députés, nos institutions européennes, sont effarés par le spectacle que donnent la France et son Président. Nous sommes devenus la risée du reste de l’Europe. Mais, à vrai dire, ce spectacle affligeant les terrifie aussi particulièrement. C’est évident, l’acharnement d’Emmanuel Macron à vouloir maintenir coûte que coûte sa politique injuste et inefficace aura fait constamment gonfler les voiles de l’extrême droite. Et c’est évident, nos voisins redoutent que la France n’entraîne l’Europe dans une nouvelle crise et finisse par basculer à son tour dans le Poutino-Trumpisme, entraînant dans son sillage la dislocation de la construction européenne.
Il y a beaucoup à dire bien entendu aussi sur la gestion de la Commission Européenne et d’Ursula von der Leyen et nous ne manquons pas de nous exprimer régulièrement contre son action, à propos de Gaza et du Moyen-Orient, du Green Deal, de l’accord avec le Mercosur, de la dérégulation… Car si la droite est régulièrement tentée de jouer la même partition que Macron et de pactiser avec l’extrême-droite sur de (trop) nombreux textes, la présidente de la Commission le sait : la seule alternative envisageable reste bien la coalition si brinquebalante qu’elle puisse être des socialistes, de Renew et du PPE… Espérons qu’au moins les erreurs de Macron empêchent l’Europe de tomber dans les mêmes pièges et servent de repoussoir.
La France, comme l’Europe ont un besoin urgent de décideurs qui apprennent à tenir tête efficacement à Trump et à Poutine, qui concourent à préserver et renforcer le modèle social européen, qui bloquent la dérégulation sociale et environnementale, qui poussent à maintenir et à accélérer la mise en oeuvre du Green Deal et la décarbonation de nos économies…
Bref, l’Europe avait un besoin urgent d’un gouvernement français de front républicain, fondé sur un compromis entre la gauche et le centre, qui reflète enfin les résultats des élections de 2024. Une fois de plus, Emmanuel Macron a échoué. Une fois de plus, il donne du grain à moudre à l’extrême droite. L’histoire jugera son entêtement complètement irresponsable.
Mounir Satouri