Ce qui est exact, c’est que les partis d’extrême droite ont changé de stratégie depuis quelques années : ils ne prônent plus une sortie de l’Europe mais visent à infiltrer l’Union pour la contrôler. Cela est vrai pour le RN, qui ne défend plus l’abandon de l’Euro, comme pour Viktor Orban dont l’ambition est de prendre le pouvoir en Europe. "Je n'ai pas vu depuis longtemps une telle opportunité pour les forces nationales, conservatrices, souverainistes et chrétiennes de devenir dominantes dans l'Union européenne," a-t-il ainsi déclaré il y a quelques mois. Si l’extrême droite obtient suffisamment de sièges au Parlement européen et de poids politique au sein de l’Union le mois prochain, elle pourrait imposer ses choix au sein d’une majorité de plus en plus poreuse à ses idées. On connaît ses options programmatiques fondamentales : nationalisme, limitation drastique de l’aide à l’Ukraine, abandon du Pacte vert ou politique de répression violente à l’encontre des migrants et des minorités. Ces choix auraient des conséquences dramatiques : triomphe probable de Poutine, dégradation environnementale majeure et Europe tournant le dos aux droits humains qui la fondent.
Le danger ne s’arrête pas là. Nous le savons, les démocraties sont en recul, partout dans le monde. Selon l’institut VDEM, plus de 70 % de la population mondiale vit désormais au sein d’autocraties, contre 50 % il y a dix ans. L'agenda agressif de puissances telles que la Chine, la Russie ou l’Iran, de plus en plus soudées au plan diplomatique, vise clairement à prendre l’ascendant sur les démocraties occidentales. Si demain, l’extrême droite est en position de force en Europe, cette cinquième colonne européenne offrira à ces puissances un appui précieux dans leur stratégie hégémonique. Certains ne manqueront pas de souligner que plusieurs partis d’extrême droite ont condamné la Russie depuis février 2022. Mais qui est assez naïf pour croire que les anciennes amitiés ont été enterrées ? Les liens entre ces partis et Moscou sont si profonds qu’ils relèvent d’un ADN politique et non d’alliances de circonstances. Ils demeurent, indubitablement.
Rappelons que les eurodéputés d’extrême droite ont systématiquement voté contre les résolutions condamnant les crimes de Poutine jusqu’en 2022. Rappelons que les liens entre l’extrême droite européenne et la Russie sont également financiers et portent sur des sommes extrêmement importantes. Jean-Marie Le Pen a reçu un prêt de 2 millions d’euros d’une société offshore alimentée par un oligarque russe, puis 9,4 millions d’euros d’une banque russe. Les emprunts auprès des banques non européennes étant interdits depuis 2017, Marine Le Pen s’est tournée vers le très russophile Viktor Orban pour sa campagne présidentielle. On pourrait citer l’italien Salvini dont le parti aurait sollicité un financement occulte de près de 60 millions d'euros auprès d'interlocuteurs russes. On pourrait également mentionner l’AFD allemande visée par une enquête préliminaire pour soupçons de financements russes et chinois à l'encontre de sa tête de liste aux élections européennes. Récemment, le scandale de corruption d’eurodéputés par la Russie - dit “Russiagate” - illustre une énième fois les liens entre Poutine et ses alliés européens.
Les connexions étrangères ne s’arrêtent pas là : une véritable nébuleuse illibérale internationale est désormais à la manœuvre et vise une mainmise globale. En mars, Orban a rendu visite au candidat Donald Trump dans sa résidence de Floride et, en avril, il a accueilli des représentants de l’extrême droite américaine à Budapest (Conservative Political Action Conference). On sait par ailleurs que les fondations de la droite chrétienne américaine comme la Billy Graham Evangelistic Association, la Charles Koch Foundation, l’Action Institute ont dépensé des dizaines de millions d’euros pour aider l’extrême droite européenne.
Cette nébuleuse active entretient de profonds liens idéologiques : les extrêmes droites européennes, Donald Trump ou Vladimir Poutine ont en commun une détestation des minorités ethniques, religieuses ou sexuelles. Leurs valeurs conservatrices s’articulent autour de la famille traditionnelle et de la glorification d’une identité culturelle spécifique. Ils portent une volonté de destruction du socle fondamental sur lequel se sont établis nos régimes politiques après la seconde guerre mondiale, celui des démocraties dites “libérale” et son socle de droits universels et de libertés. L’Église orthodoxe russe a d’ailleurs adopté une Déclaration des droits destinée à supplanter la Déclaration universelle de 1948.
Je n’ai aucune illusion sur le fait que rappeler le danger n’est pas suffisant pour l’éliminer. Mais le laisser progresser, comme le font les équipes de Macron actuellement en assumant vouloir “faire monter” la liste de Marion Maréchal est coupable et irresponsable, à rebours des propos par ailleurs tenus.
Je reste convaincu qu’il faut mettre tous nos efforts pour nous battre contre, et que la droite traditionnelle comme le camp de Macron- qui courent après l’extrême par tactique politicienne - pas plus que les socialistes - dont le bilan est accablant - ne sont fondamentalement en capacité de stopper cette dynamique mortifère à l'œuvre. Seul un projet nouveau, européen, humaniste, écologiste et social, pourra nous sortir de l’ornière.