Préférons la taxinomie à la taxidermie, laquelle serait peu aimable pour les abonnés de Médiapart. Je m’interroge depuis un moment sur les confrontations - parfois paisibles, souvent hérissées - qui nous réunissent en nous opposant. La complexité du monde ne saurait servir d’excuse pour éviter toute tentative de cartographie du petit monde des Médiapartiens. Ce guide souffrira sans doute d'insuffisances de toutes sortes, il vise simplement à ouvrir la voie à des études plus savantes, l’université française et ses fortes compétences sociologiques et politologiques ne pouvant indéfiniment ignorer la planète Médiapart. De plus, tel Wikipedia, il pourra s’enrichir de commentaires . Enfin, il ne prétend à aucune exhaustivité, cherchant juste à donner quelques points de repère qui pourront faire gagner du temps aux nouveaux explorateurs de cette planète.
Pour respecter les commandements de B. Gensane, les types envisagés sont de sexe masculin, ce que la lectrice adaptera sans peine au sien propre.
1/ Le complotiste invétéré
Il est passé - parfois récemment - du Protocole des Sages de Sion à Circus politicus, et s’en trouve fort aise. Le Siècle, Bilderberg, la main de la CIA derrière tout ce qui bouge à l’est du Potomac et les micros de la NSA dans les portables, les têtes et les culottes. Il revient sans difficulté à ses anciennes amours, attribuant volontiers au Mossad la chute des tours aussi bien que les fusillades sur la place Maïdan, nonobstant - la logique n’étant pas son premier souci - la présence écrasante de fascistes antisémites sur ladite place. Le complotiste se satisfait incomplètement des révélations d’un E. Snowden, pense que la tuerie parisienne à Charlie-Hebdo a été organisée par les services secrets et que Daesh est porté à bout de bras par la CIA. La complication de la situation internationale lui apparaît, au contraire, fort simple à démêler, ce qui favorise la digestion et un sommeil sans rêves.
2/ L’ancien trotskyste
Dispose éventuellement d’une grille d’analyse du monde lui permettant de vitupérer aussi bien l’impérialisme américain que le goulag stalinien. Il pourra disserter sur la situation politique internationale aussi bien que nationale avec, le cas échéant, de fortes références livresques, généralement plus sérieuses que celles dont dispose le représentant de la quatrième catégorie. Il se divisera, en revanche, sur les questions fort actuelles de laïcité, d’évaluation du danger fasciste ou des perspectives offertes ou non par tel ou tel front ou groupe militant pour une nouvelle république. Des personnalités connues d’anciens trotskystes seront l’objet de débats parfois âpres, en fonction des chapelles passées.
3/ Celui à qui on ne la fait pas
Il se rapproche souvent de la première catégorie, voire de la cinquième - des spécimens isolés pouvant appartenir également à la deuxième - et contemple avec commisération les efforts d’analystes naïfs pour déchiffrer la complexité des situations. Il peut virer, en fonction de son humeur plus ou moins mélancolique, au cynisme le plus noir, étant capable cependant de rebondir avec bonne humeur pour expliquer la fin du monde à quelque naïf de passage.
4/ Le poutinien plus ou moins ventriloque
Dans une autonomie plus ou moins grande vis-à-vis de Moscou, il soulignera sans relâche que c’est l’oncle Sam et l’Otan qui encerclent la Russie - celle-ci occupant environ le sixième des terres émergées, il est difficile d’en rester très éloigné, mais qu’importe...- S’identifiant volontiers au passé, il rappellera avec acharnement le rôle joué par le maréchal Joseph S. dans la défaite du IIIéme Reich, en oubliant systématiquement l’écrasante responsabilité - désarmement de l’armée Rouge et confiance aveugle dans le pacte conclu avec le Führer - dudit Joseph S. dans les pertes épouvantables subies pour venir à bout de la Wehrmacht. Sera également oubliée l’aide américaine (dite prêt-bail) sans laquelle, selon Khrouchtchev, les choses eussent été bien plus compliquées. En revanche, sera bien souvent mis en avant le soutien - réel, à ce jour - dont bénéficie, en Russie, Vladimir Vladimirovitch, en mettant de côté la machine de propagande de la télévision russe, qui passe son temps à incriminer pêle-mêle les nazis ukrainiens (autre thème fort en vogue chez nos ventriloques) et les fauteurs de guerre occidentaux -si bien qu’en avril 2015, un institut de sondage indiquait que 37 % des Russes voyaient la possibilité d’une guerre avec les USA et l’UE. le poutinien bataille souvent avec les représentants de la deuxième catégorie et, dans ces discussions, il a régulièrement le dessous, si bien qu’il fulmine, parlant à tort et à travers d’ « hitléro-trotskysme» , voire brandissant des accessoires de montagne.
5/ L’antiaméricain, du primaire au quaternaire
C’est souvent - mais pas toujours, hélas pour les migraineux - une variante du type précédent. Il voue une haine sans merci à l’oncle Sam, auquel il attribue sans hésiter la totalité des catastrophes politiques, économiques et climatiques depuis près d’un siècle - il peut hésiter sur sa responsabilité quant au déclenchement de la boucherie de 1914. De ce point de vue, il se rapproche par bien des aspects du premier type étudié, celui du complotiste. C’est ainsi que l’on apprendra que les banquiers (juifs) de Wall Street ont porté Hitler au pouvoir en Allemagne. L’actuelle Union européenne n’est qu’une créature de Washington, dirigée principalement contre la Russie. L’indépendance de plus en plus revendiquée par l’Allemagne ne saurait tromper que les gogos.
6/ L’enragé de la laïcité
Il mériterait de se voir décerner le vieux titre datant de la Révolution : les exagérés. Mais ce n’est pas le partage des biens ou du temps de travail qu’il réclame avec acharnement. Très fortement braqué sur la religion la plus récente en France, et relevant de l’histoire la plus chargée, celle de la colonisation, de la décolonisation et de l’immigration, nos laïcistes exigent qu’aucun voile, aucune barbe et aucune jupe ne dépassent. Il s’agit de renvoyer l’islam dans des mosquées que l’on souhaite aussi vides que les églises de France - Bretagne mise à part, les Bretons sont des cons, comme disait quelqu’un, autrefois, à Charlie-Hebdo.
7/ L’expert
Tapi dans l’ombre des commentaires, il ne vous ratera pas si vous pénétrez sans autorisation - et surtout en disant des bêtises - sur son territoire. Il est souvent péremptoire, peut être fort caustique, vous avez intérêt, en cas de discussion avec lui, à «avoir du biscuit» sous la main. A la moindre défaillance, vous êtes écrabouillé, anéanti, il ne vous reste plus qu’à repartir la queue basse, en souriant si possible. Il faut, par souci de justice, ajouter que certains experts se montrent plus paisibles, pondant avec parcimonie un rare billet destiné à éclairer un peuple trompé, ou visant à instruire, tout simplement, on peut alors les en remercier.
8/ L’amateur de copié-collé et le serial-poseur de liens
Inutile de se fatiguer, lors que d’autres pensent pour vous. On remplacera donc avantageusement une argumentation pesante et toujours susceptible d’être contredite par une accumulation irréfutable de liens hypertexte en disant long sur les connaissances acquises en matière de navigation sur le réseau, et décourageant à l’avance toute critique. A l’occasion, pour varier un peu, on remplacera un lien par un imposant «copié-collé» de quelques pages, établissant sans contestation possible la vérité enfin révélée. Il convient d’alterner les deux méthodes, pour éviter au lecteur toute impression de monotonie. De même, il sera loisible de marquer son approbation d’un commentaire qui vous agrée par une pluie d’étoiles, ou ces spirituels « + 10000 » que l’on voit accordés de-ci de-là , leur brièveté marquant l'enthousiasme du commentateur sans fatiguer inutilement le lecteur. Etrangement, la suppression récente - et bien venue - du célèbre bouton déconseilleur ne s’est pas traduite par l’envolée de notations négatives, mais le temps réparera sûrement ce regrettable laissez-aller.
9/ Le sectateur de tel ou tel
Les groupies et autres fans (que l’on me pardonne cette bordée d’anglicismes) relèvent souvent de la catégorie précédente, mais pas que. Les sectateurs de S..., T... et autres B...ne se font pas faute, en effet, de recopier des paquets de liens vers des articles de leurs héros préférés, voire de balancer carrément dans un fil de discussion un massif copié-collé qui clouera le bec du contradicteur. Mais il leur arrive aussi de procéder plus subtilement, par échanges d’allusions, entre comparses ou jockeys de la même écurie. Untel a écrit que...Voyez aussi le remarquable billet de Machin sur son blog. Attendez deux secondes, je vous envoie le lien. Ceci renforce l’inestimable sentiment de sécurité fourni par l’entre-soi, prisé par les membres des catégories 1,4,5 voire...6.
10/ Le plaisantin équivoque
Grand lecteur du cardinal de Retz, il sait que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens, et se contente de ricaner ou de braire, c’est selon. Le club des Médiapartiens - ou la maison de retraite, comme s’est plu un jour à le rebaptiser une insolente - donnant dans le sérieux, l’espèce est menacée, en voie de disparition, même. Un bandit jouant tout de même les électrons libres, à savoir l’insaisissable Concombre masqué, qui méritait bien cette mention spéciale...