Quatre tribunes dans «Le Monde»...
Le journal «Le Monde» publie dans son édition de mercredi 9 décembre, dans les pages «Débats», sous le titre : Gauche, les raisons d’un échec, quatre tribunes que je voudrais commenter.
La première est de Laurent Bouvet, sociologue connu pour sa trouvaille de «l’insécurité culturelle», que certains psychanalystes rebaptisent «défense du mode de jouir»...
Sous le titre Crier «no pasaran!» ne suffit plus, L. Bouvet s’attaque aux raisons de «la débâcle du PS». Je passe sur les deux premières, la proclamation d’une unité sans réalité politique - encore que cela augure mal des résultats du deuxième tour - et le déchirement durable du tissu politique local du PS - lequel est seulement la conséquence des échecs électoraux précédents, et renvoie donc à l’analyse de fond.
La troisième raison nous ramène à l’insécurité culturelle, ce thème néo-finkielkrautien qui tient lieu d’analyse à L. Bouvet : c'est «l’échec historique de la stratégie de lutte contre le FN».
Tout d’abord, on pourrait rétorquer à l’auteur de la tribune que le PS de Mitterrand, il y a trente ans, a surtout fait semblant de lutter contre le FN, utilisé comme repoussoir utile de la droite. Mais enfin, se dit-on, peut-être va-t-on nous parler des déchirures du tissu social...Que nenni! Je cite la fin de la tribune : «C’est donc à un changement stratégique radical, rapide et profond que la gauche française, PS en tête, doit s’atteler, si elle veut survivre et renaître. Crier «no pasaran!» ne suffira pas. Ce changement stratégique devra s’accompagner d’une réflexion approfondie sur les causes culturelles et identitaires de la montée en puissance du FN, au-delà des habituelles considérations sur la politique économique des gouvernements de gauche.» (C’est moi qui souligne)
Avez-vous compris ? Ces gens sont prêts à tout céder.
La deuxième tribune est d’une ancienne ministre, Aurélie Filippetti. Celle-ci, au début de son texte, se montre plus réaliste : «...les chefs des partis détournent pudiquement les yeux de la moitié du pays. Celui où le chômage de masse, où le sentiment d’abandon du monde ouvrier et du monde rural et des jeunes vient re,nforcer la cohorte des électeurs du FN. Et de revenir sur les treize années écoulées depuis le 21 avril 2002, ainsi que sur les tactiques des cadres du FN. Sans grand intérêt. Mais voyons la fin : «Cette élection (en 2012) a été gagnée sur un programme de gauche réaliste mais ambitieux. Pourquoi le nier et le renier, alors que c’est celui qui a été validé par les urnes ? Il faut nous attaquer aux racines. Aux motivations du vote. Et donc à nos propres responsabilités, en particulier depuis 2012.» (c’est moi qui souligne)
Et d’appeler au retrait des listes socialistes, qu’il ne faut pas «maintenir artificiellement» -sic. Assez curieux, comme déduction de ce qui précède, mais bon...
Reprenons la partie soulignée. Que d’allusions! on peut trouver que G. Filoche se fait des illusions sur la capacité des frondeurs (où sont-ils ?) à réformer le PS, mais en tout cas, sa critique de la politique gouvernementale a le mérite d’être clair. Alors qu’ Aurélioe Filippetti tourne autour du pot. Ce qui est en cause, c’est la politique austéritaire suivie depuis 2012. Ah, sinon, il aurait fallu affronter les institutions de l’UE ? Et qui donc s’est fait élire en proclamant : le traité européen sera négocié ?
La troisième tribune, intitulée « Des élites coupées de la réalité française», est d’Alexandra Laignel-Lavastine, philosophe et essayiste. Pour celle-ci, les choses sont simples: les banlieues sont entièrement aux mains des islamistes, les gens qui refusent de s’en tenir à cette analyse et s’obstinent à poser des questions sociales sont juste les idiots utiles de l’islamisme. Le national-populisme du FN n’est que le pendant de cette montée de l’islamisme que la «bien-pensance régnante» - on croirait lire un article de Causeur - refuse de voir, engluée qu’elle est dans la «sociologie excusiste» et le «déni idéologique».
Je m’arrête là, afin de rester poli. Avec cette tribune, nous ne sommes plus chez Finkielkraut, mais déjà un cran plus loin, chez Houellebecq et son jumeau journaliste.
Je résumerai simplement mon impression ainsi : ces gens veulent tenir le discours du FN à la place du FN, ils pensent que le racisme anti musulman (arabo-musulman, si possible) est une chose trop importante pour être laissé au FN.
La dernière tribune, ouf, est de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. On respire en lisant ce texte, plus riche et plus intelligent que les précédents. Quelques citations :
«La gauche «moderne» ignore tout des classes laborieuses; elles lui rendent dans les urnes la monnaie de sa pièce. Voilà qui permet de comprendre la poussée du FN, bien plus que la peur des étrangers...»
«Tout irait bien si cette gauche embourgeoisée pouvait s’affranchir du pouvoir de nuisancedes classes populaires, prendre ses congés, manger bio et choisir la bonne école pour ses enfants tranquillement.» Et l’auteur explique que ces velléités se heurtent aux statistiques de la société française...
«La seule organisation qui produise un discours de classe fort est le FN, en s’appuyant sur la démagogie et la xénophobie.» (ce qui corrige un peu l’irénisme de la première citation)
Maurin critique les thèses relevant de «l’insécurité culturelle» -voir la première tribune :
« Le discours du FN en version allégée est devenu politiquement correct à gauche en grossissant à l’extrême les difficultés - réelles - posées par par l’intégration des étrangers dans un contexte de chômage.»
Au passage, l’auteur étrille un peu plus à gauche :
«Divisée, engoncée dans un discours révolutionnaire, l’extrême-gauche ne peut que rester ultraminoritaire. Les Verts s’intéressent plus à leur panier bio qu’aux ouvriers.»
Il conclut en appelant à un nouveau discours de classe explicatif des inégalités et à un «projet politique de transformation sociale, crédible et vérifiable.»
Une vraie bouffée d’air...Même si cela est encore le discours critique d’un intellectuel...
Je termine en prévoyant - certains sont tellement prévisibles! - les critiques du genre : vous n’avez pas parlé de l’euro! de l’UE!
Il ne faut certainement pas se priver d’étudier ces questions, mais se focaliser d’emblée sur elles est un leurre.