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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Billet de blog 23 août 2015

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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Comment je me suis attiré des ennuis ( Anton Tchekhov )

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Лентяй (fainéant), бывший неудачник (ex- loser), негодяй (vaurien), самозванец (imposteur), лицемер (hypocrite), категоричный (péremptoire), retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une petite nouvelle humoristique de 1882...

Traduction dédiée à André Radiguet, qui fut jadis mon professeur de russe.

Comment je me suis attiré des ennuis 

« Ce que j’ai sommeil ! - me disais-je, assis à mon travail, à la banque. - Je rentre chez moi, et je me couche ».

- Ah, quelle félicité ! ai-je murmuré devant mon lit, après avoir mangé sur le pouce. - Il fait bon vivre ! Voilà qui en vaut la peine !

Tout sourire, m’étirant et me prélassant dans mon lit comme un chat en plein soleil, j’ai fermé les yeux et commencé à m’endormir. Derrière mes paupières closes ont commencé à défiler des petites bêtes, des choses à fourrure, sorties de ma tête où tourbillonnait un brouillard, battaient des ailes vers le ciel...Celui-ci renvoyait du coton qui me rentrait dans la tête...Tout cela immense, doux, duveteux et brumeux. De petites silhouettes humaines couraient, tournoyaient puis retournaient se cacher dans le brouillard. Alors que la dernière silhouette avait disparu et que Morphée s’apprêtait à disposer de moi, j’ai brusquement sursauté.

- Ivan Ossipytch, par ici ! - venait-on de vociférer quelque part.

J’ai ouvert les yeux. Dans la chambre voisine, un bruit de bouteille heurtée, puis débouchée. J’ai changé de position dans mon lit, et me suis couvert la tête avec la couverture. 

« Je vous aimais, je vous aime peut-être encore »...n’en finissait pas une voix de baryton dans la chambre à côté.

- Pourquoi donc vous n’avez pas de piano ? - demanda une autre voix.

- Ah les démons ! - ai-je grommelé - ils ne vont pas me laisser dormir !

On déboucha une deuxième bouteille, un bruit de vaisselle retentit. Quelqu’un se déplaça, faisant tinter ses éperons. Une porte claqua.

- Dis donc, Timothée, c’est pour bientôt, ce samovar ? Grouille-toi, vieux frère ! Ramène des petites assiettes ! Eh bien, messieurs ? De façon correcte, en chrétiens. La petite...Mamzelle la tondeuse, passez moi les pieds de mouton, je vous prie.*

Une vraie ripaille avait commencé dans la chambre à côté de la mienne. Je me suis mis la tête sous l’oreiller.

- Timothée ! S’il vient un grand blond avec une peau d’ours, tu nous l’envoies...

J’ai craché de dépit, me suis levé d’un bond et j’ai frappé au mur. De l’autre côté, ils ont fait silence.  J’ai de nouveau fermé les yeux, les petites bêtes ont recommencé à trotter, les fourrures à battre des ailes et le coton à voler...Mais hélas ! une minute après, ils se sont remis à crier.

- Messieurs !  - ai-je crié, ou plutôt supplié. - C’est tout de même immonde, à la fin ! Je vous le demande ! Je suis souffrant et désire dormir.

- C’est à nous, que vous parlez ?

- Oui, c’est à vous.

- Vous avez besoin de quelque chose ?

- Daignez ne pas beugler ! je veux dormir !

- Eh bien, dormez, qui vous en empêche ? Et si vous êtes souffrant, allez voir un médecin !

« Au chevalier l’amour et l’honneur »...- entonna le baryton.

- Quelle stupidité ! - ai-je dit. - complètement idiot ! Dégueulasse, même.

- Prière de garder pour vous vos appréciations ! - répondit une voix de petit vieux, de l’autre côté de la cloison.

- Magnifique ! Un grand chef ! Une grosse légume ! Et vous êtes qui, au juste ?

- Gardez pour vous vos appré-cia-tions !

- De vrais gaillards ! Ils ont sifflé de la vodka, et ils braillent !

- Vos ap-pré-cia-tions, gar-dez-les pour- vous ! - répéta une dizaine de fois la voix enrouée du vieillard.

Je me tournais et me retournais dans mon lit. L’idée qu’à cause de ces fêtards, je n’allais pas pouvoir dormir, me mit peu à peu en fureur...Ils avaient commencé à danser, de l’autre côté...

- Si vous ne vous taisez pas, - ai-je crié, sanglotant de rage, - je vais à la police ! Garçon ! Timothée !

- Gardez pour vous vos appréciations !!! - cria une fois de plus la voix chevrotante du petit vieux.

J’ai jailli hors de mon lit et, comme un fou, me suis rué chez mes voisins. J’avais l’intention, coûte que coûte, de défendre mon bon droit.

Une vraie nouba, de l’autre côté. Une table jonchée de bouteilles. Assis autour, des gens aux yeux globuleux d’écrevisses. Au fond de la chambre, sur un sofa, un vieillard chauve, à moitié couché. Une blonde bien connue, une cocotte, avait posé la tête sur sa poitrine. Lui, tourné vers le mur, répétait d’une voix tremblante :

- Gardez pour vous...

J’ai ouvert la bouche, m’apprêtant à l’ engueuler vertement et...horreur ! J’ai reconnu à cet instant, dans le petit vieux, mon directeur de banque. En un instant le sommeil, la colère et toute arrogance m’avaient quitté. Je suis sorti à toute vitesse de la chambre.

Mon directeur resta un mois entier sans me regarder ni m’adresser la parole...Nous nous évitions. Puis, un jour, il est resté auprès de mon bureau, a penché la tête et m'a dit, en regardant par terre :

- Je pensais...j’espérais que, de vous-même vous comprendriez...Mais je vois que vous n’avez pas l’intention...heu...Restez tranquille. Restez assis...Je pensais que...Il n’est pas possible que nous restions tous les deux...Votre comportement chez Boultykhine...Vous avez tellement fait peur à ma nièce...Vous confierez les dossiers à Ivan Nikititch...

Et, relevant la tête, il s’est écarté de moi.

Et c’est ainsi que ma carrière prit fin.

* En français transcrit ( phonétique ) dans le texte.

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