Mačko Dràgàn
Journaliste punk-à-chat à Mouais, Télé Chez Moi, Streetpress...
Abonné·e de Mediapart

207 Billets

4 Éditions

Billet de blog 1 févr. 2023

Mačko Dràgàn
Journaliste punk-à-chat à Mouais, Télé Chez Moi, Streetpress...
Abonné·e de Mediapart

Prends ta retraite, merci. Réponse à Éric Ciotti

Cher Éric, j’ai bien reçu ta lettre, envoyée au frais du contribuable à tous les résidents de la 1ère circonscription de Nice, où je vis et où tu es député. Il ne fallait pas prendre cette peine. Mais j’en profite pour te répondre, et te donner un conseil. Tu as 57 ans. Personnellement adepte du départ à 55 ans, pour avoir le temps de vivre, je t’en conjure, Éric : prends ta retraite.

Mačko Dràgàn
Journaliste punk-à-chat à Mouais, Télé Chez Moi, Streetpress...
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Alors que 2022 s’achève, je souhaite m’adresser directement à vous pour vous exprimer ma reconnaissance et vous assurer ma totale disponibilité ». Ainsi commence ta lettre, découverte dans ma boite de retour de manifestation, et que j’ai rageusement tirée de son enveloppe à en-tête de l’Assemblée Nationale. Alors, tout d’abord, permets-moi de souligner qu’on est désormais en février, et qu’il est donc un peu tard pour la nouvelle année, j’ose espérer que tu ne fais pas des poissons d’avril jusqu’au 1er mai, ça doit être usant pour ton entourage. Et laisse-moi te dire également que j’aurais encore préféré un courrier de la CAF à propos de mon RSA, tu sais, cette petite somme d’argent indispensable à la survie dont tu as « durci » les conditions d’accès dans ton département, où demeurer bénéficiaire relève de la mission commando de fin d’admission à un temple de moines Shaolin.

Car « l’assistanat », tu as horreur de ça, toi qui a commencé ta carrière politique à 23 ans en tant qu’assistant parlementaire de ton ami d’alors, le député RPR Christian Estrosi (tu en avais en ce temps profité, sans doute dans la fougue libertaire de cette folle jeunesse, pour te faire dispenser de ton service militaire obligatoire, dont tu deviendras pourtant plus tard un des fervents adeptes du retour), avant de passer au cabinet de Jean-Claude Gaudin, alors président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, grand démocrate marseillais lui aussi éminent pourfendeur de la « fraude sociale » puisqu’il fait actuellement l’objet d’une enquête pour des soupçons de « détournement de fonds publics et recel » et d’« emplois fictifs ».

Quant à Christian, il est depuis devenu ton ennemi juré, et tu comptes bien lui disputer son fauteuil de maire de Nice en 2026, ce qui ravit au plus haut point les gauchistes niçois comme moi, tu n’imagine pas, car voir nos deux ados en costume locaux, le macrono et le facho, se taper dessus en s’invectivant au fond de la cour d’école pour enfants pourris-gâtés qui leur sert d’arène politique, c’est un plaisir qui ne se boude pas.

Mais revenons à ton si courtois courrier. « Je vous dois ce que je suis et je n’oublie pas que votre soutien ne m’a jamais fait défaut, et notamment en juin dernier, pour continuer à vous représenter à l’assemblée nationale ».

De mon côté Éric tu ne me dois pas grand-chose, car tu te doutes bien que, peu nostalgique  de l’Italie des années 30 et des coupes de cheveux à la Benito, j’ai voté pour mon amie instit’ Anne-Laure au premier tour, et suis allé baguenauder à la rivière dans la Roya le deuxième. Je ne fus d’ailleurs pas le seul, puisque ta réélection, que tu sembles tenir pour triomphale, s’est tout de même faite avec 60 % de votes blancs et nuls. Tu as donc été reconduit dans ton fauteuil usé avec 56 % de 40 % des votants de la circo, je te laisse faire le calcul mais sache que ce n’est pas franchement ce qu’on appelle un plébiscite. Et c’est moins encore qu’en 2017, rappelle-toi, quand tu avais été élu grâce à un accord passé, comme l’a révélé le Canard Enchaîné, avec l’ex-skinhead identitaire tendance zieg-heils-pinard-cochon Philippe Vardon, alors au FN, qui s’était donc reporté sur une autre circonscription pour ne pas te faire perdre de voix, une délicate attention dont on se demande cependant bien quelle en fut la contrepartie.

Mais je m’égare. « Que cette nouvelle année vous apporte santé, bonheur et exauce vos souhaits les plus chers pour vous et ceux que vous aimez », poursuis-tu.

C’est très gentil à toi, mais pas de bol : j’aime des personnes en situation d’exil, que de ton côté tu souhaites « renvoyer en Libye », et j’aime mon pote Cédric, que quant à toi tu n’apprécies par fort et qui te le rend bien, ayant déclaré à ton sujet : « J’ai trouvé le plus gros porc français qui accueille tout le misérabilisme du monde » et ajouté le lendemain : « Quand Ciotti dit en 2018 “mettons les migrants en Libye” il dirait en 1940 mettons-les dans les chambres à gaz ». Ce qui, va savoir pourquoi, t’avait un peu vexé, y aurait-il un cœur sous la cravate, et tu avais donc porté plainte contre l’odieux Herrou. Qui fut, las, relaxé de façon définitive -cheh, comme on dit dans ces cas-là-, le tribunal ayant estimé que cet échange relevait de la « critique politique » entre « une personne particulièrement engagée dans le cadre de l’aide aux migrants » et « une personnalité politique d’importance dans le paysage politique français », précisant que « si cette critique s’est exprimée sur le mode du jeu de mots – port et porc – d’un goût douteux, elle est incontestablement de nature politique ».

Je peux donc ici-même te traiter de porc, la justice m’y autorise, tout comme il m’est possible de qualifier Nadine Morano de « conne » (jursiprudence Bedos) et Marine le Pen de « fasciste » (jurisprudence Mélenchon), mais je ne le ferai évidemment pas, étant bien trop attaché à ces animaux adorables et intelligents, aux oreilles soyeuses, et auxquels jamais au grand jamais ne viendrait l’idée de parler du « grand remplacement » comme d’une réalité et non pas comme d’une fantaisiste théorie raciste. Ils ont par ailleurs une sexualité extrêmement libre, ce qui ne semble pas être ton cas.

Pour en revenir à mes proches et à moi-même, auxquels tu souhaites tant de santé et de bonheur, j’ajouterai que nous n’avons pas férocement envie de devoir travailler jusqu’à ce que notre corps n’en puisse plus, quoique je doute fort que tu aies la moindre notion de ce que « pénibilité », « travail » voire même tout simplement « effort physique » signifient. Donc quand tu affirmes que « toute personne raisonnable comprend que le système [des retraites] actuel ne peut subsister sans être réformé. Il faut avoir le courage de la réforme », je suis au regret de te dire que ce n’est clairement pas une contribution utile ni à notre santé, ni à notre bonheur.

Je passe le moment où tu te flattes de ton bilan (« lutte contre l’immigration de masse », « combattre les squats », un bilan charmant comme tout effectivement, dont tu t’auto-congratules dans le fascicule couleur en papier mat sans doute coûteux qui accompagne ta missive vomitive) tout en parlant d’une « explosion de la violence de notre ville », on ne doit pas vivre au même endroit. A moins que tu ne parles de la récente agression homophobe qu’a connu Nice, mais si c’est ça je crains que tu n’en portes une part de responsabilité, ayant participé aux défilés guignolesques de la Manif pour Tous. Pour le reste, en ce qui me concerne, mettre des gens à la rue et traquer des réfugiés en post-trauma relève plus de la délinquance institutionnelle que du CV à faire valoir auprès de ses consœurs et confrères du genre humain.

Tu conclus : « L’heure du sursaut est venue et j’y prendrais une part active avec toute la force de mes convictions et avec l’amour de la France chevillé au cœur et au corps. Vous me connaissez, je n’ai jamais changé et j’en suis fier ».

« Je n’ai jamais changé et j’en suis fier » : hélas, c’est bien vrai, et c’est tout ce qu’il y a d’affligeant dans le personnage que tu campes depuis des décennies. Car le pire est décidément que tu oses nous écrire pour t’enorgueillir d’être demeuré, toutes ces années durant, le bouchon qui indique la ligne de flottaison sous l’abjection et la boussole qui indique le chemin le plus court vers l’extrême-droite.

Non, Éric. Non. Tu n’as pas être « fier » d’avoir proposé en 2010 de punir « de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait par le père ou la mère de laisser son enfant mineur, lorsque celui-ci a été poursuivi ou condamné pour une infraction, violer les interdictions et les obligations auxquelles il est soumis », un délire dystopique qui fut heureusement retoqué car anticonstitutionnel, l’évidence voulant que quiconque ne puisse être pénalement tenu responsable des faits d’autrui. Pas plus que de ton « immense admiration » pour l’État militaro-autoritaire Israëlien. Ni de ton opposition à la loi sur le mariage entre personnes du même sexe au prétexte que « pour[toi] le mariage a un sens : l'union d'un homme et d'une femme pour fonder une famille » - au passage les couples sans enfants et tous ceux où l’on baise juste pour le plaisir t’adressent leur plus chaleureux doigt d’honneur. Ni non plus de ton apologie de la « préférence nationale » sur l’emploi et le logement, ou de ton idée de « Guantanamo à la française », ou de ta passion pour Éric Zemmour, ou de ta volonté d’abolir le droit du sol et de supprimer l’aide médicale d’État. Non, vraiment non, Éric, tu n’as vraiment pas à être fier de tout ça.

Alors, quand tu écris : « Que nous partagions les mêmes valeurs ou que nous rencontrions des différences, je suis et je reste à votre disposition dans la fidélité à la parole donnée et à une terre qui m’a vu naître », tu me vois dans l’obligation de te répondre : merci, mais non merci. Il est des « différences » insurmontables, Éric. Et dans le domaine de la « fidélité à la parole donnée et à ta terre », tu me permettras d’exprimer quelques doutes.

Car cette « terre » et ta « parole » de politicien si prompt à se lamenter des prétendus « abus » de l’État-providence ne t’ont jamais autorisé, à ce que je sache, de quelque façon que ce soit, à permettre à ton ex-épouse de cumuler plusieurs emplois à l’Assemblée, à Nice et au département, comme le suspecte une enquête du Parquet national financier. Ni de faire soigner ta maman à nos frais, depuis plus de 18 ans, dans un hôpital réservé à des soins de courte durée et dont la prise en charge est entièrement assumée par la Sécurité sociale, ce qui t’a fait économiser 500 000 euros, bravo, et a coûté la bagatelle de 900 000 à 1,2 million d’euros à la Caisse primaire d’assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Comme l’affirme, dans l’article de Mediapart ayant révélé l’affaire, un homme venu voir sa sœur de 92 ans soignée dans le même hôpital : « Tout le monde le sait ici. Je n’ai rien contre Éric Ciotti et sa mère, mais il devrait être au même diapason que les autres. Ma sœur paye, et elle n’a pas de hauts revenus, les enfants participent. Pourquoi lui ne paye rien ? »

C’est une bonne question, Éric. Et peut-être une promesse pour cette nouvelle année que tu es venu bien malgré moi me souhaiter : il va un jour falloir payer. Je te conseille donc de plutôt te mettre « à disposition » des juges, plutôt qu’à la nôtre. Vivant à nos crochets depuis 1988, une retraite bien méritée t’attend -tu nous coûteras toujours beaucoup trop cher, mais tu feras bien moins de dégâts, et tu auras tout ton temps pour préparer ta défense face à la justice. Et en attendant, la prochaine fois que tu auras de l’argent public de ton mandat de député à jeter par la fenêtre, profite-en plutôt pour financer un centre d’accueil pour sans-abris dans le Vieux-Nice, j’ai beaucoup d’amis ici qui en ont cruellement besoin.

Comme disait l’abbé Pierre, qui je m’en doute ne fait pas partie de tes références intellectuelles bien qu’il ne se passe pas un jour sans que tu ne hurles ton amour du catholicisme et des prétendues « racines chrétiennes » de la France : « La politique, c'est savoir à qui on prend du fric pour le donner à qui ». A bon entendeur. Mais bon, je sais que tu n'as pas grand-chose à voir avec Pierre. Toi, tu me rappelles plutôt George, politiquement.

Salutations libertaires,

Mačko Dràgàn

Journaliste punk-à-chat notamment pour le mensuel Mouais, si vous souhaitez nous aider dans notre lutte contre Ciotti et son monde une seule solution c’est pas ici : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais

PS : "Tu me rappelle plutôt George" est une référence à un dialogue de la Classe Américaine, de Michel Hazanavicius : "-Tu me rappelles George, politiquement. - George ? Qu’est-ce que j’ai à voir avec George ? Rien en fait ! Parce que si on réfléchit bien, moi je suis un vrai démocrate. George est un fasciste de merde. Un fasciste de merde !"

Illustration 1

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte