Mačko Dràgàn
Journaliste punk-à-chat à Mouais, Télé Chez Moi, Streetpress...
Abonné·e de Mediapart

210 Billets

4 Éditions

Billet de blog 1 avril 2023

Mačko Dràgàn
Journaliste punk-à-chat à Mouais, Télé Chez Moi, Streetpress...
Abonné·e de Mediapart

Vers la chute de la maison Macron ?

Spoiler : je pense pas. Mais il peut plier. Et en tous les cas cependant, l’avenir nous expose à deux dangers : une défaite démobilisatrice, et une victoire tout autant démobilisatrice, sur le ton du passage-à-autre-chose. Quoiqu’il puisse arriver, il va donc falloir conserver et raviver l’essentiel : l’autogestion à la base. Dans les usines, les facs, les rues. Car le pouvoir, nous l’avons déjà.

Mačko Dràgàn
Journaliste punk-à-chat à Mouais, Télé Chez Moi, Streetpress...
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Il faut désormais prendre au sérieux l'hypothèse d'un renversement de Macron. Et imaginer le champ des possibles qui s'ouvrirait, en cas de triomphe », écrivent les camarades de Contre-Attaque dans un texte qui a pas mal circulé. De mon côté, fidèle à la pensée de ce bon Walter Benjamin, j’en reste là : « Pessimisme sur toute la ligne, certes, et totalement. » (1) Et je ne suis donc pas sûr que ça soit demain la veille qu’on se fera un feu de barbecue végan avec des morceaux de tiroirs du bureau de Macron dans la cour du palais-bunker de l’Élysée.

Il faut cependant bien le reconnaître : ça commence à grincer sérieusement. Manu-le-Dingo a beau faire son malin et continuer à arborer cette petite gueule de bourge arrogant qui le rend si insoutenablement insupportable, force est de reconnaître que la situation lui échappe. Tout brûle, et les gens encouragent le feu en scandant des chants qui lui prophétisent tous un avenir plus ou moins inconfortable à base de corde, de guillotine, de piques et de plein de trucs que bien-sûr-que-c’est-pour-rire (je précise car à Nice notre «paillassou», poupée de chiffon traditionnelle à l’effigie de Macron, a vu son créateur, le pote Thomas, essuyer il y a quelques jours 7 heures de garde à vue et une perqui’ menotté pour « outrage », comme quoi le délit de lèse-majesté existe encore) mais qui témoignent de son image de marque auprès d’un peuple un brin remonté. Parce-que comme dirait (enfin, comme elle l’a, hélas pour sa dignité, réellement dit) Nathalie Saint-Cricq: « Emmanuel Macron réussit, il est jeune, il est diplômé, il est riche… Bon voilà, ça c’est quelque chose qui, naturellement, peut énerver les gens. Il faut considérer que c’est irrationnel, mais ça existe. » Le fait est qu’il énerve, en effet.

Voyons les faits. Selon une étude de l’institut de sondage (oui, je sais : beurk) Odoxa publiée récemment, 30% des personnes interrogées pensent que le gouvernement est responsable des « violences », et 44% les jugent compréhensibles. Une autre étude du labo Elabe, cette fois-ci pour BFMTV (oui, je sais, beurk derechef), voit 25 % des sondé·e·s ne pas condamner les dégradations et les affrontements contre la police, tandis que 42 % les « comprennent ». Même au temps béni des Gilets Jaunes, on n’avait pas vu un tel soutien des émeutiers. D’ailleurs, les dons faits aux caisses de grève atteignent des sommets, ce qui donne des envies de rester en générale illimitée jusqu’à la fin du quinquennat bis (quant à la CFDT, au vu de leurs besoins d’utiliser ces caisses ces dernières décennies, ils ont sans doute de quoi tenir jusqu’à la fin des temps).

Le groupe financier Bloomberg, dont l’avis importe tant pour les gens en testicule-cravate, recommande aux investisseurs d'éviter la France. Le Financial Times, quotidien libéral de référence en Europe, et, vous vous en doutez, pas révolutionnaire pour un sous, ne s’en exclame pas moins, dans une article à lire avec la voix de Mélenchon : « La France ne peut pas continuer comme cela. Il est temps d’en finir avec la Ve République, avec sa présidence toute-puissante – la plus proche dans le monde développé d’un dictateur élu – et d’inaugurer une sixième République moins autocratique ».

Les Anglais sont tentés de s'inspirer du mouvement d'opposition à la contre-réforme des retraites, faisant monter sur Twitter le hashtag : #BeMoreFrench (soyez plus Français ; comprendre : vous aussi, « do riots »). Bravo à Macron, qui est enfin parvenu à faire resplendir le modèle social français à l'étranger. Comme on le lit dans The Telegraph, pourtant l’équivalent outre-manche du Figaro : « Ne vous y trompez pas. La personne qui remportera les élections de 2024 ou de 2025 tentera un jour de relever l’âge de la retraite .... À ce moment-là, nous devrions tous être prêts à être un peu plus français, et à aller aux barricades.» My goodness ! Et cette tentation du mouvement social « à la frenchy » fait d’ailleurs tâche d’huile un peu partout en Europe et pas seulement en Angleterre -ce qui est d’ailleurs une des pistes les plus solides pour pousser au retrait de la réforme, tant les autres dirigeants risquent d’aller voir Macron pour lui dire : « Ecoute, visiblement tu t’es bien amusé mais le feu que tu as foutu chez toi commence à prendre aussi chez nous, donc stop ».

Notre machin présidentiel a tellement le seum qu’il a même du faire annuler la venue du roi Charles III, et sa propre venue au Stade de France pour un match de football, dont sa simple présence était susceptible de grandement perturber le bon déroulement. En clair : l’autocrate de l’Élysée a le sex-appeal d’un putois galeux dans la loge d’une mannequin Channel, et ça ne semble pas prêt de s’arranger. Même sa propre classe sociale, dont les montagnes de poubelles et les jeux de joies se multiplient sous les fenêtres de leurs beaux quartiers, commence déjà sans doute à le trouver incapable, -donc : indésirable.

Il ne reste donc à ce pauvre homme, outre la palanquée de sous-doués ministériels qui répètent en chœurs et en continu les post-it chiffonnés qu’il leur donne en guise d’éléments de langage, que ses gars sûrs, ses BFF : les flics.

Et il ne se prive pas pour les solliciter. La fin de semaine dernière, à Saintes-Soline, pour protéger un trou, on a ainsi vu des condés vivre leur meilleure vie en faisant du quad autour de manifestant·e·s en panique, tandis que leur collègue à l’arrière leur tirait dessus au LBD. En conséquence, à la mi-journée de samedi, les organisateurs du rassemblement faisaient déjà état de plus de 200 blessé·es « dont 40 dans un état grave », avec « des mâchoires arrachées, des plaies délabrantes provoquées par des grenades GM2L et des LBD ». Et dimanche soir, le parquet de Niort annonçait 3 blessé·es graves (2). Dont Serge, dont le pronostic vital est engagé suite à une blessure occasionnée par une grenade GM2L ; ses parents viennent d’annoncer, au moment où j’écris, avoir déposé plainte.

Dès avant ça, commentant le déferlement de violence policière aveugle, à la BRAV-M en tête, qui a suivi l’annonce par le gouvernement du recours au 49.3, entraînant de nombreuses manifestations spontanée, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, s’était inquiétée : « Les conditions dans lesquelles les libertés d’expression et de réunion trouvent à s’exercer en France dans le cadre de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites sont préoccupantes ».

Donc, oui : Manu la poigne ne tient plus que sur sa bleusaille, lui et l’abject Damanin ayant commandé pour 38 millions d’euros de fournitures de « maintien de l’ordre » à base de diverses grenades arracheuses, ainsi que 90 véhicules blindés ; et aussi nombreux soient les agents de la répression, une réalité arithmétique demeure : il y avait 224 000 policiers et gendarmes en France en 2019, et nous sommes des millions (et comme l’a pertinemment rappelé dans un tribune le collectif Les Inverti·e·s, « les condés sont des condés, ils ne seront jamais nos alliés » : donc arrêtez avec le « rejoignez-nous », s’il vous plaît).

Cependant, beaucoup d’exemples historiques sont là pour nous montrer que cela peut amplement suffire à maintenir en place de très, de trop longues années un pouvoir même profondément discrédité. Et les règles de la « démocratie » bourgeoise actuelle étant faites de telle sorte qu’il soit difficile voire impossible pour les intérêts des classes dominées de s’y faire entendre, les dominant auront beau jeu de continuer encore et encore à se réclamer de la « légitimité » de celle-ci pour dire « élu ! J’suis perché, vous pouvez rien faire ! »

C’est pour ça que j’ai actuellement un peu de mal à croire à croire en une quelconque « révolution », même si que sera, sera (whatever will be). D’autant plus que quand bien même, miracle, Macron se déciderait à déguerpir sous pression populaire, il a hélas fort à parier que le même cirque anti-prolétaire continue ensuite. « Tu sers à quoi ? », lui avait demandé quelqu’un. Réponse : il ne sert à rien. Rien à part servir les intérêt des possédants. Au sein d’un système construit pour servir les intérêts des possédants.

Donc : il faut faire tomber la baraque. Mais ça ne sera pas une mince affaire, et il ne suffira pas d’allumer autant de feux de poubelles qu’on voudra. L’avenir proche nous expose à deux dangers : une défaite démobilisatrice -car après des mois de lutte, la fatigue peut gagner-, et une victoire… tout autant démobilisatrice, sur le ton du passage-à-autre-chose une fois derrière nous le temps du on-a-gagné. Ainsi quoiqu’il puisse se passer, après cette séquence, il va nous falloir conserver et raviver l’essentiel : l’autogestion à la base.

Car ce qu’il se passe en ce moment nous montre l’importance de la complémentarité des stratégies, et, dans ces stratégie, le primat de l’auto-organisation spontanée, qui ne demande qu’à coaguler, et à se constituer en un ensemble de réseaux aptes à incarner ce que cette chère Corinne Morel Darleux appelle des « remparts costauds à la destruction des écosystèmes », « lucides en termes de résistance au capitalisme » et « opérants en termes de préfiguration de « comment nous pourrions vivre » », dans le cadre d’une « bataille culturelle vive, queer dans l’âme, c’est à dire bizarre, déviante, inadaptée aux normes sociales que l’on veut défaire » (3).

Opposition ferme à l’assemblée, ne serait-ce que pour montrer que celle-ce ne sert désormais plus à rien ; actions syndicales de blocages et de diverses formes de sabotage et d’action directe, sur fond de manifestations intersyndicales massives de formes « pacifiste » ; occupations ouvrières des lieux de travail ; manifs sauvages émeutières, zbeul éruptif, « guérilla des poubelles » ayant lieu en marge des manif’ classiques, et tous les soirs à partir de 18 h : tout ceci ne s’oppose pas, et est bel et bien complémentaire.

On l’a vu récemment à la raffinerie du Havre (4), où, autour des salariés, travailleurs portuaires, dockers de la plateforme TotalEnergies en lutte contre la réforme, contre les CRS, contre les réquisitions, on a pu voir des membres du Réseau pour la grève générale, des étudiant·e·s, un intellectuel « installé » de la gauche radicale comme Frédéric Lordon, un artiste prolo « organique » -au sens de Gramsci- comme le grand rappeur Médine, une membre des sphère culturelles, par ailleurs « féministe et lesbienne », comme la merveilleuse Adèle Haenel (« Il faut imposer un rapport de force sur tous les piquets » dit-elle, avant d’entonner un chant « féministe et radical »), et quelques élu·e·s -le maire, Alban Bruneau, Paul Lecoq, du PCF, et Alma Dufour, de la FI et du Parlement de l'Union Populaire…

Ceci peut commencer à ressembler à un monde désirable, un comment-nous-pourrions-vivre. En prenant le meilleur des plus belles de nos émeutes sauvages, la quintessence des ZAD, le must des Gilets Jaunes, le plus exaltant de l’occupation nationale des théâtre, et le plus radicalement efficace des dernières grandes grèves (parfois lointaines, certes, mais rappelons-nous que les contrôleurs ont en décembre dernier obtenu gain de cause grâce à un grand mouvement de grève -menée hors cadre syndical), et aussi un peu éventuellement de changement par les urnes (tout en gardant en tête que la démocratie bourgeoise prétendument représentative fera toujours plus partie du problème que de la solution), en saupoudrant de cet ingrédient essentiel qu’est l’auto-gestion à la base, et en touillant bien, on pourrait peut-être obtenir quelque chose de beau, de puissant.

Et que l’on pourrait éventuellement, en effet, appeler Révolution. Avec un grand R. Comme Retraites. Comme Rêve. Comme Rien-faire-sauf-l’amour. Comme Ras-la-casquette. Comme Rire. Comme Regarder-leur-monde-brûler (5).

Malgré leur violence, les grenades et les matraques, beaucoup de choses restent encore à écrire. Comme dit sur une pancarte vue dans les mains d’une pote en manif’, « Macron tu la retires, on commence à jouir ».

Salutations libertaires,

Macko Dràgàn

Pour me/nous soutenir : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais

(1) Walter Benjamin, « Le surréalisme, dernier instantané de l’intelligentsia européenne », Œuvres, II, Paris, Gallimard, 2000, p. 132.

(2) https://www.mediapart.fr/journal/france/260323/sainte-soline-le-jour-d-apres-il-n-y-eu-aucun-discernement-des-forces-de-l-ordre

(3) https://mouais.org/creer-des-desertions-fecondes-entretien-avec-corinne-morel-darleux/

(4) https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/240323/la-raffinerie-du-havre-la-greve-est-reconduite-sous-les-bravos-d-adele-haenel-et-frederic-lord

(5) (Et comme RRR, excellent blockbuster indien anti-impérialiste à la sauce shakespearienne que je vous encourage à regarder pour vous motiver à la lutte).

Illustration 1
La chute de Sauron.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte