Et vous, ça se passe comment, votre apocalypse ?
Les mois de janvier à juin 2024 étaient déjà les plus chauds jamais enregistrés. Le mois de juin de cette année fut quand à lui le plus chaud depuis 2003. Là où je vis, la température en surface de la Méditerranée a atteint 26 degrés en moyenne. La nuit, comme la mer relâche la température accumulée durant la journée, on cuit comme des patates au four, avec 27 degrés dès 6 heures à Nice.
Plus au sud, en Espagne et au Portugal, il a fait jusqu’à 45 degrés.
Au sommet du mont Blanc, où la température est restée positive pendant 24 heures, un dégel a été observé. La NASA, qui surveille l’élévation du niveau des océans grâce à plusieurs satellites, a alerté : en 2024, la mer s’est élevée de 0,59 cm, au lieu des 0,43 cm prévus, soit 37% de plus -de pire- que craint.
« Dans les alentours de 9 heures trente, ou un peu plus car j’ai du retard, comme d’habitude, le modeste ouvrier paysagiste occasionnel que je suis est occupé à perdre plus ou moins sereinement vingt litres de flotte à la minute en échange de quelques euros de l’heure, compensation indispensable quand il s’agit de se confronter au brasier des enfers. Parce que, ouais, il fait chaud, à s’en suriner la peau à l’opinel pour faire passer un peu d’air, et ce ne sont hélas pas les sirops de menthe frais que m’amène gentiment Mme B., ma petite bourgeoise à la retraite préférée dont je suis le jardinier attitré, qui vont me consoler » (1).
C’est ainsi que je commençait mon billet d’il y a trois ans. Aujourd’hui, pareil, je rentre du taf, épuisé par la chaleur. Gratouillant le cou du chat qui agonise sur les carreaux de la cuisine, car le pauvre matou a le poil long, je lance le ventilo et la radio, histoire de prendre les nouvelles du désastre.
Le, ou la ministre de la Santé, car du diable si je sais qui c’est, s'est enfin exprimé sur la canicule infernale que nous vivons : « 1. Buvez de l'eau 2. Mouillez-vous le corps 3. Appelez ce nouveau numéro vert ».
De mon côté tout suant, puant et grognant, j’ai plutôt envie de 1. Leur faire tous fermer leurs grandes bouches de macronistes 2. Mettre fin au capitalisme et 3. Placer les responsables de tout ça dans des Tesla fermées hermétiquement, avec pour seules ressources le dernier album de Vianney et deux kilos de céleri rave, et balancer tout ça au fonds de la fosse des Mariannes.
J’ai appelé le numéro vert, dans le doute. Ça ne marche pas, j’ai toujours aussi chaud, et je vole donc au chat le tapis frais de la salle de bain. Les yeux fixé sur le plafond, je bout. Extérieurement, car il fait 32 degrés (ressenti : cratère du Vésuve), et intérieurement aussi, car j’ai la rage. Une douloureuse colère.
Je pense à cette question, dans Fury Road : « Qui a tué le monde ? »
Ils nous tuent.
Je me répète, lentement, cette phrase : Ils. Nous. Tuent.
Chaque victime du changement climatique est une personne assassinée. C’est aussi simple que ça. Il y a pas mal d’empreintes sur l’arme du crime : celle de Macron, de Trump, de tous leurs copains capitalistes d’Israël à Dubaï, leurs ministres, eux tous, tous ces bourges, avec leurs voitures allumées clim’ à fond pendant les réunions de parasites, leur jets, leurs grands appartements, leurs dîners au frais où il engloutissent l’équivalent moyen de dix ans de consommation de viande d’un gamin du Tiers-Monde.
J’ai chaud, et je les hais.
Je te hais, toi, bourgeois satisfait. Oui, toi. Regarde par-là.
Je t’imagine, dans ta belle maison, ou une nombreuses autres que, je suis sûr, tu possèdes. Elle est magnifique, ta maison.
Très bien située, sans aucun vis-à-vis, je suppose. Un bâtiment historique, sans doute, restauré à grands soins, dans une subtile alliance architecturale de cachet ancien et de fougue contemporaine. Décoré avec un goût certain. Et peuplé de ce qu’il faut de domesticité pour faire de cette maison une sorte de monde parfait, un écosystème à part, parfaitement fonctionnel, où tout semble concourir à un grand dessein global, où tout communie dans le fait d’être là, à sa juste place, pour sa juste fonction.
Mais il ne faut jamais se fier aux apparences. Et moi, derrière cette perfection, je vois tout à fait autre chose. Quelque chose de bien plus terrifiant. Tu ne le vois pas, toi ? Non, bien sûr que non. Sinon, tu ne vivrais pas ici, il y a longtemps que tu serais parti en hurlant. Mais regarde, concentre-toi bien.
Tu commences à voir ? Non ? Un indice : c’est rouge. Regarde. Tu le vois, tout ce sang ? Il est là, partout, il suinte de chaque centimètre de ta si belle maison. Il coule de tes lustres d’époque, il suinte de tes tableaux de peintres en vue à New-York ou Venise, il goutte de tes moulures, il jaillit de ta cave remplie des plus délicieuses bouteilles, de ta vaisselle en cristal, de ton mobilier design, de tes livres des plus grands poètes, de tes vinyles des meilleures pianistes, du sang, du sang partout, regarde, ça y est, tu le vois, enfin ? Le sang des milliers, des millions de personnes qui sont mortes, meurent et mourront pour que tu puisses vivre ici, toi, avec tout ton confort bourgeois.
Du sang de femmes, d’hommes, d’enfants, morts dans des bidonvilles explosés par un accident industriel, intoxiqués par un épandage dans leur rivière, écrasés au fond de leur mine, ou juste lyophilisés, la soif, la chaleur et la faim. C’est ce sang, qui coule de ton robinet. Ce sang, avec lequel tu te laves, chaque matin.
Le terme, récemment, apparu, d’écocide, désigne « les actes illégaux ou gratuits, commis en sachant qu'il y a une forte probabilité que ces actes causent des dommages graves et étendus ou à long terme à l'environnement ».
De ce crime, vous êtes tous coupables.
Et nous vous jugerons.
Ni oubli, ni pardon. Contre l’inaction climatique, une seule solution, la révolution.
Mačko Dràgàn
Journaliste punk-à-chat à Mouais.

Agrandissement : Illustration 1
