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Billet de blog 3 juillet 2023

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Cette dystopie nulle et moche dans laquelle nous vivons

Ou comment de riches mégalos débiles font de notre monde un enfer. État policier, injustice partout, cybertechnologies stupides sur fond de pensée managériale autoritaire, « on vit vraiment dans la dystopie la plus nulle du monde ... sans les costumes cools et les néons partout » (Bolchegeek). Il y a urgence à revivifier nos imaginaires d’un futur désirable, et à remettre du punk dans tout ça.

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(J’ai écrit ce papier la matinée du mardi 27 juin, sur le trajet qui me menait de la Courneuve, où je crèche maintenant lors de mes passages sur Paname, jusqu’à Nice. Le soir j’ai appris, avec tristesse et rage, l’énième assassinat d’un gosse, Nahel, ayant écopé de la peine de mort à la Judge Dredd pour un simple « refus d’obtempérer » -qu’on devrait plutôt renommer « réticence compréhensible à finir en bavure raciste »-. Une légitime, jeune et furieuse révolte a alors embrasé le pays entier. A voir ce que tout ceci donnera, mais il est à craindre que la piteuse dystopie sécuritaire ne fasse que se renforcer plus encore. Le gouvernement sort les muscles, le RAID, la BRI, et ses plus beaux hélicos. Le syndicat policier factieux Alliance menace clairement de faire un putsch. Sur les réseau, l’extrême-droite conspi’-soralienne, aux relents antisémites so 30’s, appelle à la « résistance » contre les « parasites » et « l’élite apatride ». Dans les rues -enfin, les rues des centres-ville bourgeois, il ne faut pas déconner, leur courage a des limites- les nazillons sont de sortie, battes à la main. This is fine.)

Bon. Dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre, accusés ni plus ni moins que « d’éco-terrorisme », en s’en justifiant par un texte improbable mettant principalement en cause des... livres, bidouillages soviétiques à l’Assemblée pour balancer au sanibroyeur un projet de loi visant à l’annulation de la contre-réforme des retraites, un président qui ne circule plus sans un protocole digne d’un déchet nucléaire mal empaqueté, on ne compte plus les « dérives » -si tant est qu’on puisse dire d’un A380 cramant son kérosène pour foncer à toute vitesse vers la falaise qui lui fait face qu’il « dérive »- du pouvoir en place. Et ceci nous donne la troublante impression de tremper quotidiennement dans ces dystopies (1) qu’on aime tant voir au cinéma, mais qu’on apprécie beaucoup moins quand on vit dedans.

D’autant que cette dystopie a une caractéristique : elle est d’une médiocrité sans nom, et d’une hideur telle que même Paul W.S Anderson, réalisateur honni de l’indescriptiblement laid Les Trois Mousquetaires 3D, trouverait ça moche. Comme l’a dit le vidéaste Benjamin Patinaud, aka le Bolchegeek, dans une récente vidéo (2) « on vit vraiment dans la dystopie la plus nulle du monde ... sans les costumes cools et les néons partout ». Soulignant à quel point les « innovations » à deux bitcoins et les grands-projets-révolutionnaires-incroyables-du-turfu des « happiness manager radicalisés sur Linkdin » et autres « zinzins de la Silicon Valley » qui dominent ce monde en partenariat avec leur idiots utiles à la Macron font pitié, -tel un long et douloureux voyage dans l’uncanny valley (3) organisé par un VRP en photocopieuse déguisé en méchant de James Bond-, il ne peut en effet que le constater : certes, tout ceci « est abyssalement dystopique, mais n’a même pas le mérite d’être stylé ».

Car oui : Blade Runner, ça fait bader, mais c’est beau. Comme les décors du jeu vidéo Cyberpunk. Comme l’univers de la série Arcane. Ça nous présente un futur dystopique bien flippant mais au moins il y a des fringues incroyables, une architecture retro-baroque de dingue et des technologies de ouf. Et K. Dick, ce sont des réalités falsifiées, imbriquées ou atomisées, mais génialement démentes. Alors que nous, regardez donc ce qu’on nous propose : le community manager Macron qui, entre un cul-sec de Corona et une bise à Musk le milliardaire taré et defiscalisé, promène son costume trois-pièces bien repassé dans les décors gris plâtre du Bourget où il est venu causer aviation bio et fioul propre.

Bolchegeek : « Ils nous font des trucs du futur qui marchent pas en plus d’être dangereux. Et, cerise sur le gâteau, dans des versions nulles. à. chier. C’est ça qui saute aux yeux : à quel point ces parodies humaines ont un imaginaire pauvre ; leur univers intérieur, c’est le désert ». Tellement pauvre qu’il consiste donc soit à aller piocher dans le déjà-existant pour créer IRL de ce que des auteurs de SF avaient dit de ne pas créer car ça allait nous détruire -le terme Metaverse, choisit par Zuckerberg pour nommer son monde numérique visuellement cauchemardesque, venant par exemple d’un roman dystopique disant de ne surtout pas faire ça-, soit à créer des purgatoires du bon goût comme une Dubaï bâtie, selon un architecte cité dans la vidéo, selon les délires de « dictateurs milliardaires stupides et mégalos » à partir de projet affreux pichés en cinq minutes « car leurs capacités limitées ne leur permettent pas de rester concentrés plus longtemps », ce qui donne cette équation : « Smoothbrain dictator + construction project = dumb shits » (dictateur débile + projet de construction = des conneries).

Cette dystopie nulle et moche dans laquelle nous vivons, le vidéaste se propose de nommer ça le COGIPpunk (tout comme il y a du steampunk, du cyberpunk, et même du Giscardpunk -un monde alternatif où Giscard est devenu président à vie), en référence à la COGIP, cette grande entreprise à l’activité mal définie concurrente de la COFRAP apparaissant dans les Messages à caractère informatif de Nicolas Charlet et Bruno Lavaine, qui détournent de véritables films d'entreprise des années 1970 et 1980.

La COGIP, c’est comme si le pire de la pensée managériales à la con des 80’s -Tapie forever- avait lui-même poussé ses curseurs à fond. Dans des bureaux glauques et ternes au-delà de toute raison, entre deux ficus en toc, on y croise ainsi des comptables blafards à la cravate en berne et à la calvitie précoce, des secrétaires-zombies à l’existence aussi miteuse que leur tailleur, et bien sûr des winners à la moustache rutilante pratiquant le dégraissage d’effectifs et la revente de stock-options avec autant d’aisance qu’ils arborent le costard. En bref, une galerie de personnages aussi médiocres que l’imaginaire capitaliste d’entreprise inepte qui s’est imposé sur les ruines fumantes de la flambée libertaire de 68, et qui domine aujourd’hui le monde. Oui : cet univers parodique con et moche sur VHS est devenu notre réalité. A cause des milliardaires en roue libre et des bourgeois qui les encouragent, ce cauchemar est désormais quotidien.

Et le pire est que si ces crétins parviennent enfin à faire advenir la fin du monde que leur inconséquence de demi-dieux attardés s’obstine à rendre inévitable, il y a de fortes chances que ces sous-doués demeurent comme derniers survivants représentants de notre sotte-mais-quand-même-moins-qu’eux espèce, du moins, le temps qu’ils réalisent qu’ils sont en fait incapables de lacer leurs chaussures tout seul, et donc voués à périr en quelques jours.

A moins que de demi-dieux, ils ne se décident à devenir dieux tout court. Je suis, il y a quelques jours, tombé sur un article terrifiant, portant sur un lieu à la sonorité elle aussi puissamment dystopique : Zuzalu. C’est une ville quelque part au Monténégro, mais ne cherchez pas, elle n’existe pas et son nom a été généré par -évidemment- ChatGTP. Et comme le rapporte l’article en question, « Zuzalu est l'illustration de l’obsession d’une certaine élite pour la jeunesse éternelle. De mars à mai 2023, des centaines de personnes, principalement des entrepreneurs de la biotech, des investisseurs en cryptomonnaies et des chercheurs scientifiques, ont investi ce lieu sur la côte adriatique ». Le but de ces « longévistes », dont on peut voir des photos en tongs au bord de leurs piscine de beaufs riches comme un pays émergent, étant d’une part de foutre des milliards dans la recherche biomédicale et des projets techno-zinzins afin de ne pas vieillir voire, idéalement, ne pas mourir, d’autre part « de savoir si cette communauté pourrait vivre ensemble et en permanence ». Car, afin de pouvoir mener leurs expérimentations de savants fous hors de toutes pénibles contraintes éthiques, sanitaires et légales, ces dingos envisagent de créer leur propre État, financé par une cryptomonnaie.

Une dystopie, oui. Conne. Moche. Insensée. Comme la Macronie, ce territoire où deux mondes s’affrontent : l’un, dévasté par la pauvreté et la précarité, où les files devant les banques alimentaires s’allongent jour après jours, où l’on mange principalement du riz et des pâtes sans grand-chose d’autre, et où on galère chaque jours dans des transports en commun vétustes et trop chers. Laideur des parkings, grisaille des boulevards pollués. Tu m’étonnes, que certains veuillent piller et brûler tout ça. L’autre, tout aussi laid et tout aussi gris, mais d’une indécente opulence, avec du gros verni coloré de pognon sur la mocheté, et peuplé de politiciens bourgeois autoritaires proprets qui seraient prêts à vendre leur propre mère aux milliardaires débiles et incontrôlables de la Silicon Valley. Qui, eux, étendent partout des technologies de consommation et de contrôle aussi stupides que risquées tout en cherchant, pendant que nous on crève de faim ou butés par des flics, les secret de l’immortalité.

Il me faut cependant apporter un petit bémol. Je suis actuellement inconfortablement posé dans un Ouigo, qu’avec ma copine on appelle Ouimerde, un modèle de TGV low-cost moins développé que les trains de quand j’étais gosse -des fois, la tech’ régresse. Et la semaine dernière, j’étais assis en face de mon assistant social. Dans son minuscule bureau en sous-sol, insalubre, aéré par un petit ventilateur qu’il a ramené lui-même. L’ordinateur sur lequel il tape péniblement ses dossiers date d’il y a dix ans, je pense. De même que la photocopieuse dans le couloir, qu’ils doivent être une dizaine à partager. Ici, le « futur » n’existe pas. Niveau machine, pas de risque de Matrix : manifestement, presque rien n’a changé depuis mes cours de techno au collège, au début des années 2000. L’époque de Paint (que personnellement j’utilise toujours), de Trombi le trombone et des gifs banane qui danse. Une science-fiction basée sur cette technologie-là, personne n’aurait pu l’imaginer.

Mais comme généralement dans ces billets primesautier, vient maintenant le moment de la fameuse question : contre cette dystopie à la con, qu’est-ce qu’on fait quoi ? Car personnellement, ça ne m’enjaille pas beaucoup que mon chat et mes hypothétiques futurs enfants grandissent dans un film de SF tout naze au scénario adapté d’un rêve mouillé de Margaret Tchatcher et aux effets spéciaux réalisés par Mark Zuckergberg sous acide.

Évidemment, se soulever, lutter, contester tout ce qu’on peut et ce qui doit l’être. Pratiquer, aussi, dans son quotidien, quand on le peut, et ceci est tout autant important que ce qui précède, une manière de vivre amicale pour tout ce qui palpite ici-bas et ne fait de mal à personne, centrée sur le jeu et le rire, la beauté et la tendresse -histoire de leur monter quand même un peu, aux autres là-haut, que leur dystopie n’a pas encore dévoré la moindre portion de notre espace et notre temps, et que d’ailleurs elle ne le pourra jamais.

Et il y a l’art. Tous les arts. Cet univers délirant qu’ils nous imposent est un fascisme qui ne dit pas son nom, et une créativité nécessairement antifasciste doit donc s’y opposer. Comme l’a bien dit Guillermo del Toro (4), « le fascisme est là, dans le monde, en ce moment même. Il a l’air sympa, il porte un beau costume, il a un joli sourire, et personne ne le critique, mais ça reste le fascisme. A nous de trouver un autre moyen de secouer les gens pour qu’ils se réveillent un peu. Avec de l’horreur, des jeux vidéos, peu importe. C’est le but de l’art ».

Et surtout, n’oublions pas : punk ne va pas fort fort, mais punk is not dead. Frondeur, subversif, contestataire, désintéressé, éco-vénère, jouisseur et goguenard, en un mot, anarchiste, il y a urgence à le placer au cœur de nos imaginaires présents et futuristes, car lui seul, croyez-le-bien, tel l’élu de la prophétie dans les films paresseusement écrits, est en mesure d’enrayer les rouages répétitifs et ennuyeux de la COGIP, et de faire riper l’ère des humains-machines vers l’ère utopique du vivant en fête. On continuera à vieillir et à mourir, mais sans aucun regret, tant nos vies seront belles. Quant aux abrutis, on les enverra si ça leur chante dystoper dans un État autonome mais sans personne pour bosser pour eux, on verra combien de temps ça dure.

Andreas Malm, dans sa réponse à Darmanin et à l’État répressif français accusant ses essais d’être la « Bible » du Soulèvement de la Terre : c’est bien sûr grotesque, mais « il est vrai que [mon] livre met en évidence quelque chose qui glace le sang des tenants de l’ordre existant : s’ils entendent laisser intact le système en place, il y a toutes les raisons d’imaginer que les mouvements de masse prendront eux-mêmes en charge de « désarmer » le capitalisme fossile – ce qui n’est rien d’autre qu’un geste d’auto-préservation de grande ampleur ... Quelqu’un doit tirer le frein d’urgence. Si les gouvernements ne le font pas, le reste d’entre nous le fera ».

Au cinéma, comme dans les romans, comme dans la vraie vie, dans les dystopies, il y a toujours des rebelles. Qui, éventuellement, à la fin, gagnent. Les temps à venir sont très incertains et n’invitent pas à l’optimisme, mais que la rage insurrectionnelle qui explose actuellement se mêle à celle de la « nature qui se défend », et quelque chose pourrait se passer...

Salutations libertaires,

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(1) Dystopie : n.f. Société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné (def. Larousse). Ex : 1984 de Orwell.

(2) Qui a tué le cyberpunk, Bolchegeek, https://www.youtube.com/watch?v=1BcnhVVQhxA&ab_channel=Bolchegeek

(3) Uncanny valley : « vallée de l’étrange », un terme désignant le fait que plus la reproduction, robotique ou autre, d’un humain se veut réaliste, plus les différences avec ladite réalité seront perturbantes. On utilise aussi aujourd’hui parfois l’expression pour se moquer d’images numériques mal foutues (par exemple, The Flash se déroule dans l’uncanny valley).

(4) Cité dans une autre vidéo de Bolchegeek : https://www.youtube.com/watch?v=uGr3kL2Gkd8&ab_channel=Journall%27Humanit%C3%A9

Illustration 1

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