« Le roman de Houellebecq aura peut-être une postérité : il marque en effet un moment terrifiant, celui où les clichés les plus abjects sont retournés à la banalité du lieu commun », écrivent, dans leur article Houellebecq à l’Ehpad, la critique en soins critiques, Joseph Confavreux et Lise Wajeman.
Qu’on en juge : dans ce nouvel opus de l’oracle des Carrefour Markets, comme d’habitude, les « Arabes » sont remisés dans un lointain exotique et effrayant, celui des « racailles » des « banlieues », les militants du Bloc Identitaires sont des sortes de héros « qui s’élèvent contre le nihilisme moderne », les autres jeunes… n’existent pour ainsi dire pas, les femmes libres sont des « salopes », « merdes vénales » fascinées par les Noirs et les « trans, les zadistes, voire les trans zadistes », et les femmes, les « vraies », d’après l’image très Sardou-compatible qui en ressort dans ce triste roman, des bonniches bonnasses au foyer bonnes qu’à branler leur bourgeois ennuyé, libidineux malgré sa bandaison molle, figure ultra-libérale et vaguement fascistoïde du pater familias des temps bénis de l’avant, qui emprunte ici étrangement les traits… de Bruno le Maire, idole christique plus qu’inattendue, dont l’égo démesuré n’en attendait sans doute pas autant, et grâce auquel « l ’économie française était […] redevenue puissante et exportatrice » tandis que « le niveau de productivité du travail avait augmenté dans des proportions hallucinantes », ce qui est tout de même bien le plus important, il faut se l’avouer.
Devant une telle logorrhée digne du moins élégant des tontons racistes misogynes bourrés au pastis, la réaction instinctive de toute personne vaguement formée à l’attention pour son prochain, sans même parler d’amour, sera sans doute de vomir, tout en se rappelant ce bon mot de l’époque de Mona Chollet à propos de l’escroquerie Houellebecq : « Un coup de hache dans la mer gelée qui est en nous », c’est ainsi que Kafka définit la fonction de la littérature ; sur cette mer gelée, Houellebecq, lui, se contente de faire du patin à glace. Son écriture est totalement inerte : elle se contente de reproduire les signes du monde marchand, et de les restituer tels quels ».
Mais le monde dominant, lui, devant ce miroir paresseux et complaisant tendu à son abjection, ne vomit pas : cette prétendue « réalité » puante saturée de tous les clichés réactionnaires imaginables, il trouve ça magnifique, et à longueur de médias, il s’extasie, comme c’est beau, ce moisi, cette haine, cette rancœur, comme c’est fascinant ce dégout profond craché à la gueule de toutes celles et ceux qui ne sont ni blancs, ni hommes, ni hétéros (« l’entité constituée par un couple, et plus précisément par un couple hétérosexuel, demeure la principale possibilité pratique de manifestation de l’amour »), ni soumis à ces hommes blancs hétéros, ni nostalgiques d’un passé idéalisé, et même pire, désireuses et désireux de lutter pour un monde où chacune et chacun aurait sa place, quelle horreur.
Et tout ça, au nom du « réel ». Mais oui, putain, ils osent : tous ces bourgeois (dont, malgré son état de décomposition avancée et ses allures de sac poubelle non recyclé, Houellebecq fait bel et bien partie) se réclament de la « vie réelle », supposément décrite par le menu dans les pages de « Anéantir », où pourtant je ne vois, moi, que les obsessions dégueulasses propres aux testicules-cravates qui dirigent notre société, tout en voyant ce pouvoir progressivement leur échapper, et dont la peur de l’inconnu confine à la psychiatrie.
« Vie réelle » ? Mon cul, ces gens-là ne connaissent rien à la vie réelle. Perclus dans leurs bunkers physiques et mentaux où ils ressassent leurs psychoses paranoïdes, ils ne connaissent pas nos quotidiens ; ils ne sont pas là quand, au matin, je prends un petit café au PMU avant de partir au chantier ; ils ne sont pas là quand je suis dans ces files d’attente odieuses des administration où les prolos viennent à la chaine se faire humilier ; ils ne sont pas là chaque soir quand je marche dans mon quartier, saluant et discutant avec toutes celles et ceux qui l’habitent, de la serveuse au sans-abri ; ils ne sont pas là quand, tous les jours, à cause d’eux, à cause de leurs caprices, de leur pouvoir dément sur nos vies, de leurs narcissisme destructeur, nous on en bave, nous on en chie.
Mais surtout, ils ne connaissent rien à la beauté de la vie, de nos vies, en tous les cas, qui ne ressemblent en rien à cette recension écœurante d’un vieux monde déjà mort sur laquelle se pignole une presse unanime.
Houellebecq a tort, Houellebecq ment. Café brûlant à l’aube, larme qui sèche sur la joue d’un gosse soudain heureux, petits matins rouges et bleus, fourrure d’un chat frémissant sous les doigts tendus, parfum du creux d’un cou après une nuit complice, courage d’un ami face à ses propres cauchemars, d’un inconnu face à ses propres doutes, de n’importe qui face à ses multiples démons, tout ce qui pousse une lèvre vers une autre lèvre, une main vers une autre main, des yeux vers un détail que personne n’avait jamais remarqué et qui tout d’un coup, grâce à ce regard, se met à exister, et lutte quotidienne pour que nos existences soient bien plus qu’une sordide accumulation de douleurs : la voilà, la vie. Parce que la vie, c’est aussi, c’est surtout, construire quelque chose avec les gens qui nous entourent.
Amour, humour, beauté et joie de vivre, bordel de dieu, je m'en fous de passer pour un hippie, et je le dis : ça a existé, ça existe, ça existera toujours, et ça existera plus encore quand nous auront fini de lire ce monde à travers le regard de ceux qui l’anéantissent.
Et sur ce, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne nouvelle année, quoique que ce genre de choses soit désormais un peu risible. La pandémie permanente s’installe, le mur s’approche et, comme dans Don’t Look Up, les dirigeants regardent ailleurs, mais néanmoins, une chose est sûre : l’avenir appartient à celles et ceux qui luttent, pas à ceux qui moisissent. Et n’oublions pas, tel Simon Tanner, héros de Robert Walser (toujours cité par Mona Chollet), qu’il « est bien agréable d’avoir en réserve, en arrière-garde quasiment, quelque chose qu’on aime bien. C’est comme si on possédait une maison, un endroit à soi chez quelqu’un, une retraite, un lieu magique, puisque décidément je ne peux pas vivre sans un peu de magie sous la main. »
Salutations libertaires,
Mačko Dràgàn
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