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Billet de blog 6 juin 2017

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Macron et la vulgarité bourgeoise

Avec sa sortie sur les migrants Comoriens, Macron a suscité l'indignation, à juste titre. Mais combien de temps, à chaque "faute de com'" ou "dérapage" de nos dirigeants, allons-nous fermer les yeux sur ce qui constitue le cœur véritable du problème : la crasse vulgarité, condescendante et ignorante, de nos "élites" ?

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« La vulgarité ne dit jamais "fils de pute"
"Enculé d'ta race" ou "va niquer ta mère"
La vraie vulgarité ne tient pas ce vocabulaire
Elle se cache derrière de belles familles, de belles carrières
De sourires hypocrites et de bonnes manières
Tu la reconnais au ton condescendant
La vraie vulgarité se lâche comme ça, en plaisantant
Elle croit que tout lui est dû, que tout s'achète
L'argent et le pouvoir lui sont montés à la tête
Elle fait son beurre sans scrupules dans la misère
La vraie vulgarité sait comment s'en satisfaire
Vénale, sans complexe, elle s'étale
Dégueulasse, elle a ce mépris de classe qui fait mal
Elle est vicieuse, elle est sournoise
La vraie vulgarité, elle est bourgeoise »

La Canaille, Monsieur Madame (https://www.youtube.com/watch?v=fd0K5ytIhmc)

« La vraie vulgarité, elle est bourgeoise » : par cette formule lapidaire Marc Nammour, plus connu sous le nom de scène de La Canaille, met le doigt sur ce qui est constamment passé sous silence par ceux qui nous dirigent ; à savoir, que ce sont eux, les nantis, les dominants, qui incarnent réellement ce que peut être l’indécence.

Etymologiquement, la vulgarité vient du mot latin signifiant "peuple", mais le terme a peu à peu dévié pour désigner le mauvais goût. Et désormais, pour ce qui est de l’humour notamment, il sert souvent à caractériser les saillies sexistes, racistes, les brimades insultantes : bref, la marque de ce mauvais esprit ignorant, bête et méchant que, dans les hautes sphères, on attribue volontiers au peuple, cette masse de prolétaires sous-éduqués fermés aux délices de la haute culture des élites.

Mais la vulgarité authentique ne se trouve pas dans les bars PMU puant la sueur et le rosé du matin. Elle ne se trouve pas dans les cabines des camions avec lesquels les manœuvres rentrent de leur chantier, le soir. Elle ne se trouve pas dans les vestiaires des usines. Cet humour-là, celui que le peuple pratique au quotidien, en famille, avec les collègues, peut être maladroit, douteux, raciste, sexiste, idiot, inacceptable, mais ce n’est pas à lui que l’on peut faire le reproche de l’indécence.   

Qu’est-ce que la véritable indécence, en effet ? Faire des blagues racistes avec nos amis Arabes et Noirs (car oui, ça m’arrive) ou, entouré d’une bande de rupins en costard-cravate, tous vieux, blancs et catholiques, oser une sortie sur « le bruit et l’odeur » ? Ce qui est réellement vulgaire, c’est de rire de gens qu’on ne connait pas, d’une misère que l’on ne connait pas –et, pire encore, que l’on a, en tant que dirigeant, en tant que membre de « l’élite », contribué à créer. La vraie vulgarité, c’est ce jeune énarque éduqué hors-sol, en serre, comme une tomate hydroponique, et qui, bien habillé, sûr de lui, les dents blanches luisantes, les mêmes avec lesquelles il a rayé tous les parquets de la Vème République, se gausse sans honte de 20 000 migrants Comoriens morts en voulant rejoindre Mayotte. Et ce faisant, se moque de toutes les victimes d’une politique migratoire que, en tant que ministre, il a lui-même activement cautionnée. Là se trouve la véritable indécence : dans ce rire des puissants se moquant des exclus, de tous ceux qui souffrent de leur propre incompétence de nantis.

Le racisme des classes populaires existe, bien entendu. De même que le sexisme et l’homophobie. Mais il ne faut jamais oublier que ces aberrations prospèrent aussi dans les hautes sphères, toujours promptes à se présenter comme plus capables que le petit peuple de décider de ce qui est bon, ce qui est vrai, ce qui est beau. Et c’est leur sexisme et leur racisme à eux qui est véritablement indécent, parce qu’il est la marque de leur mépris pour nous, de leur volonté acharnée de ne rien changer à un ordre des choses injuste et inégalitaire, mais qui les engraisse et leur donne richesse et puissance. Leur rire est celui du chasseur humilant sa proie, du bourreau au milieu des charniers. Un rire dégueulasse d'homme que personne n'est là pour contredire et pour brimer.  

Quand un camarade de bar ou de chantier sort une vieille blague douteuse, je peux en parler avec lui, tenter de lui montrer que là, non, ça n’est pas drôle, qu’il a dépassé les bornes. Mais qui ira lui expliquer, à Macron, l’horreur de sa déclaration ? Je le sais : ses communiquant, qui ne lui diront pas : « Putain, ce que tu as dit était ignoblement raciste et irrespectueux », mais : « Là, tu as fait une faute de com’ ». Une faute de com’. Au pire, un dérapage, comme ils disent. Une erreur isolée, donc. Sauf que la vulgarité bourgeoise n’est pas un épiphénomène : elle sévit à grande échelle, au parlement, au sénat, à l’Elysée, dans les bureaux des cadres sup’ et des PDG –et si elle ne ressort que rarement dans la presse ou à la télévision, car ces gens-là tâchent de faire attention à leur image, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas quotidienne. Car, contrairement à ce qui a lieu pour ce peuple qu’ils disent toujours vouloir éduquer, personne n’est là pour leur dire, à eux, qu’ils sont vulgaires, indécents et que ça ne peut plus continuer comme ça. Et c’est pour cette raison que ça continuera encore longtemps. Dans l’ombre. Et nous, peuple grossier, malpoli, mal éduqué, nous ferons semblant de ne rien voir, rien savoir, jusqu’à la prochaine « faute de com’ » qui nous dessillera un instant, le temps d’un micro ouvert au mauvais moment, d’un dérapage, et le temps d’une indignation vouée à ne jamais aller jusqu’au cœur du problème : à savoir que nos « élites » ont sombré, depuis longtemps déjà, dans une indignité qu’entretient leur certitude de ne devoir rendre de comptes à personne, leur impunité de dominants. Et ça, c’est sans doute leur plus mauvaise blague –en ce qui me concerne, cela ne me fait plus rire, mais alors, plus du tout.

Salut & fraternité,

M.D.    

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