Travailleur associatif, je consacre la majeure partie de mon temps à des activités bénévoles variées. Pour exemple, avec les nombreux collectifs dont je fais partie (Pilule Rouge, Punk & Paillettes, Collectif Mangoustes, Rue Libre, Mouais…), j’ai depuis un an contribué à organiser une quinzaine de concerts, à éditer deux guide papiers, à tenir des stands dans divers festivals, à réaliser trois reportages vidéos, à mettre en place une journée consacrée aux arts de rue, à créer un journal mensuel… Tout en filant un coup de main ici et là aux associations des potes, en traduisant du Bookchin, en m’investissant dans les élections municipales, et en participant aux Gilets Jaunes et autres mouvements sociaux d’occupation de l’espace public (et aussi, j'en conviens, en passant pas mal de temps au bar).
Je pense donc pouvoir dire que je ne chôme pas. Quoi que puissent en dire les glorieux travailleurs qui nous dirigent, et qui me traiteraient sans doute, étant donné qu’il arrive souvent que ces activités soient financées par le RSA, d’assisté et de glandeur.
Et pourtant, très souvent, à côté de ça, je travaille. Je veux dire, en tant que salarié. En bon lumpen-prolétaire, j’ai déjà fait plein de petits (ou pas) boulots : intérimaire, manœuvre, professeur, particulier ou en collège, surveillant, jardinier…
Je connais donc très bien les réalités du travail salarié. C’est pourquoi je peux dire que, dans la société capitalo-consumériste néo-libérale dans laquelle j’ai l’heur de devoir survivre, on ne gagne rien à travailler.
Petite plongée dans ma vie rêvée de prolo. Il y a peu, j’ai traversé la rue, et trouvé un nouveau boulot. Je travaille, à mi-temps, comme surveillant de nuit. Deux nuits et une demi-journée par semaine, soit 35 heures (temps de sommeil compris, certes) pour un mi-temps (quelques années auparavant, m’a dit un ami qui a fait le même métier dans le temps, c’était considéré comme un temps complet), payées un peu plus de 600 euros –les heures de nuit ne sont pas majorées.
C’est donc une place de roi, on en conviendra. Comment résister à un poste aussi attrayant ? Comment ne pas se dire, le cœur gonflé d’une joie enfantine, la main posée sur la poitrine et mes yeux embués de larmes tendrement levés vers le drapeau : « Ah ça oui, ça paye, de travailler ! Merci patron, merci, Macron ! »
Mais ce n’est pas tout. Comme la plupart de ces postes précaires que l’on finit par dénicher afin de trouver pitance, celui-ci est loin de mon domicile –une demi-heure en train. Sans oublier la demi-heure de marche nécessaire pour aller de chez moi jusqu’à la gare, et l'autre demi-heure de la gare d’arrivée jusqu’à mon travail. Je dois donc quitter mon domicile une heure et demi avant d’embaucher, et ce temps consacré à me rendre au travail est, bien entendu, bénévole (tout comme les 15 minutes d’avance que l’on me demande d’avoir avant de prendre mon poste).
D’autant que ce trajet, encore faut-il le payer. Dans l’attente de ma carte de réduction (dont le prix a été, dans l’indifférence générale, multiplié par dix en septembre par la SNCF, passant de 15 à… 150 euros. Merci bien.), je suis sensé payer plein tarif mon voyage, soit 4,80 euros l’aller –faisant tous mes courts trajets à pied, j’économise au moins les 1,50 euros de ticket de bus… Presque 10 euros l’aller-retour, deux fois par semaine : cela représente donc 80 euros par mois, à décompter de ma paye déjà époustouflante de, rappelons-le, 600 merveilleux euros sonnants et trébuchants -soit très bientôt l'équivalent de trois paquets de clopes.
J’aurais pu, certes, lassé des trains en retard, des guichets SNCF surpeuplés et des contrôleurs tatillons qui ont l’amende facile (déjà une au compteur depuis septembre, qu'ils soient maudits), y aller en voiture. Mais, d’une part, en écolo radical, je n’ai ni code, ni permis de conduire, et, d’autre part, un véhicule, entre frais d’essence, de parking, de péage et d’assurance, coûtant entre 200 et 300 euros par mois, la moitié de ma paye y serait partie. Et je me serai retrouvé, comme beaucoup du reste, dans la situation absurde de celui qui travaille pour payer le véhicule dont il se sert pour aller travailler.
Je suis donc un salarié épanoui. Je travaille, vous êtes contents ? Contents de me voir quitter les rivages de mes activités associatives qui ne font jamais qu’apporter joie, amitié et partage autour de moi ? Contents que je m’en aille plutôt tirer la tronche dans les transports pour une paye de misère ?
Avec toute la cordialité dont je suis capable, je le dis donc à tous les planqués qui passent leur vie d’assistés aux maximas sociaux à végèter à l’assemblée, au gouvernement et dans les salons feutrés du CAC40, en répétant en cœur : « la France doit se mettre au travail », je leur dit : je vous emmerde. Très cordialement. Ou pas. Le jour où vous travaillerez, ce qui s’appelle réellement travailler, c’est-à-dire, apporter quelque chose à la collectivité, autant que moi, que nous, les précaires, les associatifs, les prolos, on vous autorisera à la ramener.
D’autant que, côté RSA -sans même évoquer la récente réforme des allocations chômage-, pour celles et ceux qui souhaitent demeurer « fraudeurs-assistés-parasites », le trajet pour l’obtention du petit pécule social qui leur permettra de subsister est lui aussi jonché d’épines et de nids-de-poule (même si, vu leur taille, nid de ptérodactyle serait plus juste).
Qu’on en juge par cette anecdote croustillante, que je brûle de vous conter. Un hiver d'il y a deux ans, la CAF trouvant que je suis au RSA depuis bien trop longtemps à ses yeux, que ça commence à bien faire et qu’il est temps de me trouver une utilité sociale, je signe un document m’engageant à trouver un travail dans les trois mois, faute de quoi je serai mis sous tutelle du Pôle Emploi, avec rendez-vous hebdomadaire obligatoire pour suivre des formations toutes plus passionnantes les unes que les autres (comment faire un cv, se comporter durant un entretien d’embauche…). Ne souhaitant guère en arriver là, je postule pour devenir surveillant en collège, et décroche un poste quelques semaines plus tard.
Le salaire, comme de juste, est mirobolant : le SMIC à mi-temps (21 heures par semaines), soit 608 euros. Quittant la case : RSA, ayant des revenus trop importants, coquin de moi, j’entre donc désormais dans celle des travailleurs pauvres, qui donne droit à la prime d’activité. 219, 19 euros les trois premiers mois, 270, 40 les seconds, ne me demandez pas pourquoi, seuls les alchimistes de la CAF connaissant les secrets de leurs calculs des droits, un code mieux gardé encore que les algorithme Google.
Pour me bâfrer en toute tranquillité de tout cet argent, digne des plus délirantes folies d’un émir du Qatar, cependant, il faut bien évidemment transmettre mes fiches de paye à l’organisme concerné. Ce que je fais séance tenante, ouvrant mes droits et, dans le même mouvement, le robinet des mannes de l’Etat-providence.
Au bout de quelques mois, cependant, je reçois un courrier, me demandant de bien vouloir communiquer ma fiche de paye de janvier. Document… qui n’existe pas. Je le leur avait pourtant bien expliqué : ayant commencé à la mi-janvier, les deux semaines de ce mois-là, pour des raisons pratiques qui regardent l’Education Nationale, m’ont été payées en février, et apparaissent donc sur la fiche de paye de février, ainsi que je le leur avait indiqué avec force surlignage. Qu’à cela ne tienne. A nouveau, je leur envoie la fiche du mois de février, annotée de ma main, afin que les 308 euros de janvier y soient bien visibles, et en leur répétant fort gentiment que la fiche de paye de janvier n’existe pas.
Rien n’y fait. En juin, je constate, effaré, que le paiement de ma prime d’activité a été suspendu. Un mail demandant les raisons de cette suspension pour le moins problématique (240 euros de moins sur un budget mensuel ne passant pas inaperçus) ne reçoit aucune réponse. C’est en juillet que le piège diabolique se referme sur moi. Alors même que je m’apprête à partir en vacances (Grèce, Macédoine, Kosovo et Bosnie, on ne pourra pas dire que j’ai des goûts de luxe -cela ressemble plus à une décennie de travail d'un casque bleu), je reçois une lettre de ma CAF bien-aimée qui m’apprend que, pour n’avoir pas consenti à produire un document qui m’était demandé, ma prime d’activité m’a été amputée de moitié, passant de 240 à 130 euros et que, à ce titre, je leur dois le trop-perçu (la pension ayant été diminuée, CQFD) des mois précédent, soit 245 euros qu’on me demande de rembourser séance tenante.
J’arrête là. Sachez seulement que cette affaire s’est conclue au tribunal, où la CAF me traîne pour me réclamer l’argent que je ne lui dois pas et que, pour récupérer, elle est prête à dépenser au bas mot des milliers d’euros de frais de justice. D’argent public, donc.
Résumons-nous : d’un côté, comme travailleurs, on me dit que les caisses de l’Etat sont vides et qu’il est impossible d’augmenter le SMIC. De l’autre, comme RSAiste, je constate que ce service public dilapide l’argent du contribuable afin de faire cracher ses sous à un précaire totalement insolvable.
Travailler ? Pas travailler ? Dans notre belle société, le résultat est le même : on se fait ****. Et partout, sauf par là où c’est bon.
Sur ce, je vous laisse. J’ai écrit ce papier en rentrant de mon boulot de nuit, et je retourne à mes activités associatives. En bon glandeur que je suis.
Salut & sororité,
M.D.
PS : une petite chanson de circonstance pour conclure :
« Je rêve d'éclater un type des Assedics
Oui, éclater un type des Assedics
Un bien con, borné, qui veut pas lâcher mon fric
Je rêve d'éclater un type des Assedics
Surtout un qui me sort des excuses en bois
Pour ne pas lâcher le blé qu'il me doit tous les débuts
de mois […]
Je descends du bus, juste
En face de moi le bâtiment farci de gusses pleins
d'astuces
Faire des embûches? Je sais pertinemment
Qu'économiser est une consigne du ministère
Il y a quatre ans, ils m'ont laissé sans un franc
Quand leur patrimoine personnel est un mystère
Le haut de l’État me ramène à la raison
Les plus grands voleurs ne sont toujours pas en prison
Écoutez ces mots! Un sourire? Non, ce serait trop beau
Ils sont réglés et nous parlent comme à des robots
J'en ai assez de faire les frais de l'humeur de ces gens
Je le sens, je vais casser des dents
Que les exception dans ces professions m'excusent
Mais c'était un devoir de parler de ceux qui abusent
Il fût un temps, j'étais diplomate et passif
Je suis agressif avec les écorchés vifs »