Bon, je sais, « parasite », c’est un bien vilain mot, ça rappelle des heures sombres, mais comme les gouvernants qui t’emploient ne se lassent pas de s’en servir pour me désigner moi, l’ignoble petit improductif réfractaire punk qui « profite du système » pour se payer ses bières, ses clopes et les croquettes de son chat noir (des Purina, en plus, espèce de petite vermine aristocratique), eh bien je ne vois pas pourquoi je me priverai à mon tour.
Si je t’écris aujourd’hui, parasite adoré bien au chaud dans ton bureau, c’est que tu commences à me devoir beaucoup d’argent, et que cet argent, j’y ai droit et j’en ai fort besoin, car il ne t’a pas échappé qu’il se passe quelque chose comme une crise économique. Et si je t’écris ici, c’est car il est presque impossible de te joindre autrement, tant, dans ce charmant monde sécurisé et covidé, prendre contact avec une quelconque administration est devenu aussi facile que de comprendre les mesures sanitaires du gouvernement –si tant est, en l’espèce, qu’il y ait quelque chose à comprendre, mais bref.
Laisse-moi te conter une scène ordinaire de ma vie quotidienne, et de celles de milliers de personnes dans ce pays. Je tourne en rond dans ma chambre, fumant clope sur clope. Cela fait vingt minutes que j’écoute la musique d’attente, c’est mon troisième appel en une heure, j’ai déjà essayé les trois chiffres qu’on me proposait de composer, « 1 », « 2 » et… « 9 », pourquoi pas, et par deux fois déjà, tout ceci s’est conclu par un laconique : « toutes nos lignes sont occupées, veuillez renouveler votre appel ».
Soudain, miracle, lumière divine, petit ange tout nu descendu des cieux : une voix me répond. Douce comme si elle me susurrait des mots d’amour, elle prononce cette phrase que j’attendais depuis si longtemps : « MSA Provence Azur, bonjour »
« -Bonjour, je n’ai plus de nouvelles de vous depuis longtemps, et je n’ai plus de prime d'activité depuis 10 mois. C’est long. Pourtant je vous ai tout envoyé. –Je vois qu’on a reçu les derniers papiers très récemment, monsieur. –Heu… vous me les avez demandés en juillet, je les ai envoyés tout de suite. -Nous les avons reçus en septembre. -On est en novembre. -Heu... c'est les délais de traitement... –Ah oui mais pendant ce temps-là moi c’est 300 euros par mois que j’ai pas, je fais comment pour bouffer ? –Je note tout ça, on vous recontactera », souffle-t-elle finalement avant de me raccrocher au nez.
Et ceci dure depuis janvier dernier, depuis que la CAF, ayant constaté que je dépendais désormais de la MSA (régime agricole), a eu la fameuse idée, bien sûr sans me prévenir, de transférer la responsabilité du paiement de ma prime d’activité à ces derniers, m’obligeant à refaire TOUT mon dossier. Mais ça, c’est moi qui ai dû m’en rendre compte tout seul comme un grand, puisqu’évidemment personne dans vos bureaux ne s’est dit qu’il serait pertinent de m’informer de ces changements.
Vous vous êtes juste contentés de me radier, sans courrier, sans explications, sans rien, et depuis c’est 300 euros que je me mets mensuellement dans le fondement.
Rien de surprenant du reste, quand on sait que le premier avis d’internaute qui s’affiche, quand on cherche votre numéro sur un moteur de recherche, c’est, ouvrez les guillemets : « La vérité c'est que dans les bureaux les dames se font les ongles et quand il y a trop de dossier on jette la moitié à la poubelle ». Tout un programme.
Donc, je me répète : c’est la crise, non de Dieu. Nous sommes des milliers, des millions à être tributaires de l’aide sociale, qui n’est pas une faveur mais un dû, pas pour faire la « bamboche », car en ce moment l’ambiance est plutôt au cocktail Xanax-Lexomil-vin de cubi à pas cher, mais pour vivre tout simplement, pour aller jusqu’à la fin du mois, voire même juste au milieu du mois, sans crampes d’estomac et courrier du proprio pour retard de loyer.
Si encore tu le détournais, ce pognon, cher parasite, toi qui a priori n’est pas un nanti, pas comme tes donneurs d’ordre… Si encore tu prenais mon argent pout toi-même boucler tes fins de mois, je comprendrais. Mais non, le seul argent que tu détournes, c’est le salaire de ton emploi fictif d’employé au service du peuple. Et là, j’avoue que franchement, je ne comprends pas, je ne comprends pas l’intérêt que tu as, toi qui ne nous connais pas, si loin que tu es dans ton petit bureau, de te foutre de nous en nous faisant galérer pour des miettes alors que quelques coups de claviers suffiraient pour nous verser ce que l’État nous doit.
Je ne comprends pas, ou bien, je crains de comprendre. Je crains de comprendre que les gouvernants qui vous emploient, tout à leurs économies de bouts de ficelles sur notre dos pour faire en sorte que les grands patrons puissent continuer à se faire du gras, et sans même avoir à vous le demander, ont fait en sorte que vous cherchiez à ne pas verser le moindre centime d’aide sociale qui pourrait ne pas être versé, même sous les prétextes les plus farfelus. On coupe, on coupe, on radie, on emmerde, on rend ça le plus long, le plus compliqué possible, et avec un peu de chance il y en a qui lâcheront l’affaire.
Parce que moi, je me bas. J’ai les armes pour. Mais les daronnes célibataires, coincées entre leurs gosses et leurs petits boulots ? Les prolos usés par la chaîne ? Les petits jeunes qui passent leur vie en intérim ? Celles et ceux qui écrivent mal, ou pas tu tout, ou que ces démarchent intimident ?
Eh bien, c’est simple : ils et elles n’ont pas le temps, pas les armes, pas les moyens de lutter contre vous, administration absurde et tentaculaire. Et l’État ne leur donne donc pas l’argent auquel ils et elles ont droit. Ce qui veut dire : il les vole.
Et, toi à qui j'écris, toi et tes semblables, vous les aidez à nous voler. Vous vous faites les complices (je n’ose dire : les collabos) de cette guerre sociale implacable. Dans laquelle, j’espère ne pas vous l’apprendre, il y a souvent des morts, et toujours du même côté, des morts de misère à jamais anonymes. Succession de noms sur des fiches, dans une pile de dossiers non-traités.
Bon, après, j’entends bien que toi, tu n’es souvent qu’une petite main dans cette histoire –et, je l’ai déjà dit, a priori, tu n’as rien à y gagner. Comme l’a dit à Mediapart Yann Gaudin, le lanceur d’alerte licencié de Pôle Emploi : « Des collègues m’écrivent car ils sont en souffrance. Ils ont un sentiment de clandestinité quand ils passent du temps sur le dossier d’une personne pour les informer de droits que Pôle emploi voudraient leur cacher. Car derrière, il y a des risques de représailles, de pénalités en matière de prime annuelle, et pour leur carrière. »
Il concluait alors : « en tant que citoyen, je veux que les usagers puissent avoir affaire à une administration honnête, rigoureuse, bienveillante. »
Donc, cher parasite, il fait bien le dire : toi aussi, tu as ton parasite, au-dessus de toi, te faisant régner dans la peur de tout simplement bien faire ton travail. Donc toi, homme ou femme vivant et vivante, si tu te levais et cherchait, dans les bureaux, qui est ton parasite personnel, et si tu lui disais que tu te refuses désormais à voler tes frères et tes sœurs ?
Ce ne serait sans doute pas le bonheur, mais au moins un début, un grain de sable dans la machine bureaucratique.
Et peut-être, qui sait, qu'un jour nous ne nous parasiterons plus les uns les autres, mais que nous vivrons ensemble en bonne entente, loin de ceux qui nous broient.
Bref. Je t'embrasse. Peux-tu faire en sorte qu'on me rende mon argent ? Mon chat te remerciera. Son sachet de croquettes est bientôt vide.
Cordialement,
Philémon Macko dràgàn,
Citoyen excédé
N.B. : Vous aurez sans doute noté que j’ai écourté la citation de Vian, qui est, en entier : « Si chaque homme vivant se levait et cherchait, dans les bureaux, qui est son parasite personnel, et s’il le tuait ». Vu les temps qui courent, j’ai préféré éviter un débat inutile du type « non mais ÉVIDEMMENT que je ne veux tuer personne » parce que je n’aime que les câlins. Le gouvernement a fait la même pour Jaurès, je ne vais pas me priver.
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