Alors, évidemment, pour la plupart d’entre nous, nous n’avons pas désarmé depuis le début du confinement, le 15 mars (une éternité !), étant demeurés, comme toujours, là où est notre place : sur le terrain, auprès des riens, des mal-logés, des demandeurs d’asile, des derniers de cordées, dans les rues, les hôtels réquisitionnés, les squats, les quartiers. L’action du Secours Pop et de ses bénévoles, à Nice et dans les alentours, aura été à cet égard exemplaire, et nous sommes fiers d’y avoir participé avec nos camarades d’Emmaüs-Roya (tandis que les compagnons, de leur côté, dans la communauté de Breil, ne chômaient pas pour livrer leurs bons produits de la ferme à toute la région).
Comme d’habitude donc, nous étions là, et comme d’habitude quand les conséquences de leur politique commence à semer ses méfaits avec un peu trop d’ampleur, euphémisme, les pouvoirs publics étaient bien contents d’avoir le soutien de nos réseaux, de nos bénévoles, de notre énergie et de notre désintéressement.
Qu’ils sachent cependant que nous n’oublions pas, ni ne pardonnons. Dans notre ville, M. Estrosi a déjà su j’espère trouver un endroit adéquat pour carrer ses remerciements autre part que dans nos oreilles ; nous avons œuvré pour le bien-être de toustes, en situation de crise, en partenariat avec la mairie, mais l’électoralisme, le clientélisme, la guerre contre les pauvres et l’ultra-libéralisme à tendance sécuritaire qui ont fait toujours le sel de sa politique sont et resteront toujours dans nos mémoires.
Et ceci vaut pour tous les élus locaux complices –des regardeur-ailleurs aux incendiaires actifs- de cette crise, dans tout le pays. D'autant beaucoup de nos collectifs sont actuellement épuisés par le travail bénévole à fournir...
Passons. A partir du 11 mai, progressivement, nous allons commencer à réinvestir nos rues, nos lieux, nos jardins, nos places, nos salles –et, espérons-le à échéance pas trop lointaine, nos bars bien-aimés.
La question de pose donc : qu’allons-nous faire ?
Nous avons envie de reprendre nos activités. D’organiser des concerts de punks et de cougourdon, des déambulations-manifs de jongleurs de rue et de cracheurs de feu, de la danse contemporaine hip-hop dans des parcs, des initiations à la permaculture en milieu urbain, des projections de films documentaires en ourdou même pas sous-titré…
Et surtout, nous voulons continuer à faire ce que nous avons toujours fait, mais en passant à la vitesse supérieure parce que cette fois-ci, vraiment, ça presse : construire notre monde pas-si-petit-que-ça écolo et antiautoritaire qui s’il-ne-vous-plait-pas-personne-ne-vous-oblige-à-vivre-dedans, ce monde qui ne doit pas être un délire de « bobos » mais plutôt un rêve pour tous les prolos. Et pour ça, nous allons développer plus encore les lieux associatifs, des villages aux quartiers, les rencontres, les partages, relancer nos AMAP et sortir nos pioches pour défoncer le bitume et végétaliser nos villes.
Bref : nous allons faire vivre la culture alternative.
D’autant que finalement, avec cette crise, un vaste continent se dégage devant nous. Emporté par sa logique capitaliste du toujours-plus, toujours plus cher, toujours plus grand, une grande partie du monde de l'événementiel se casse tristement la gueule. Les usines à fric que les adeptes du business culturel avaient monté sur les os broyés des circuits locaux autogérés (qui se rappelle qu’il y a encore une dizaine d’année, chaque département, même le plus perdu, comptait chaque année une dizaine de petits festoches à taille humaine faisant vivre moult musiciens, artistes techniciens et autres intermittents ?) tombent à grand bruit, laissant nombre d’entre nous à poil sur le carreau.
Donc : nous avons à faire. Il s’agit de notre premier enjeu : reconstruire un réseau pérenne, fonctionnel, humain, de petits événements, de petites salles, de petits bars locaux, de petites librairies, aptes à faire vivre celles et ceux qui, dans la musique, la danse, le chant, le théâtre, le cinéma, l’écriture, le dressage de puces savantes, la convivialité, l’équilibrisme et j’en passe, avec la bande de celles et ceux qui montent les scènes, gèrent le son et les lumières, entretiennent les locaux, programment les calendriers, bref toustes celles et ceux pour qui la culture est une passion de toujours mais aussi un gagne-pain –et le bénévolat, ça va bien deux minutes.
A nous de réinventer ce réseau, mis à mal par une décennie de gestion catastrophique de la culture locale et de l’économie du spectacle.
Théâtre de plein-air, ballets dans des parkings, ginguettes itinérantes, tout est envisageable et rien ne doit nous êtres interdit.
Reste la deuxième question : quand, et comment ?
Car la crise sanitaire que nous traversons n’est pas prête d’être résorbée. Voilà bien la seule chose intelligible, à défaut d’être intelligente, qu’aura jamais dit notre premier ministre à la barbe magique (ça ne doit pas être de lui, quelqu’un a dû lui souffler) : nous allons devoir apprendre, pour les mois, les années à venir, à vivre avec le virus.
Le principal des enjeux à venir pour nous, au-delà du problématique, j’en conviens, enjeu économique, est celui-là : l’enjeu sanitaire.
Comment ne pas mettre en danger ? Ne pas se mettre en danger ? Toutes nos activités supposent de rassembler des gens dans des lieux et/ou en extérieur : comment le faire pour que cela ne soit pas irresponsable ? Comment faire malgré tout : et même plus que ça, comment faire avec, et faire tout aussi bien ?
Pour le déterminer, nous allons devoir nous concerter. Parler, nous écouter, déterminer ensemble les voies qui nous permettrons de nous retrouver. Rendez-vous est pris pour les semaines à venir, à nous de choisir le lieu et l’heure.
Une chose est sûre : cette vie associative se fera bien entendu avec nos partenaires de toujours, les travailleuses et travailleurs sociaux, qui nous permettent de ne pas construire un monde alternatif en décalage d’avec la société, mais elle se fera aussi désormais avec les collectifs de soignantes et de soignants, qui sauront sans aucun doute nous dire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas, et qui nous aideront à construire la démocratie sanitaire autogérée que les circonstances exigent.
Rendez-vous est donc pris avec elles et eux également.
Allez : à l’attaque !, comme le chantait Loïc Lantoine. C’est maintenant que le plus dur commence. Les lendemains ne seront pas radieux. Mais nous pouvons avoir confiance. Nous avons toujours faire énormément à partir de rien, créer du lien avec un projo et trois palettes, de la beauté avec un peu de maquillage, une bande de pote, deux danseuses et une guitare désaccordée, de la magie avec un chapeau et un chat, du rire avec une flûte et un banjo.
Nous n’allons pas reconstruire leur monde : nous allons continuer à façonner notre société, libre des ineptes rapports marchands mais pas de la juste rémunération. C’est à ce prix-là seulement que la culture, quoi que ça puisse être, pourra être sauvée.
Un bar associatif, une friche, un chapiteau social et solidaire, un petit festoche de campagne, peuvent faire vivre des gens. Nourriture, boissons, culture, les ressources locales sont nombreuses. Des centaines, des milliers de lieux ici, à Nice, et partout dans le pays, l’ont prouvé et le prouvent encore. Sans qu'il ne soit besoin de touristes : nous devons aussi apprendre à faire sans eux.
Comme nous avons hâte de toustes vous retrouver, les copaines !
La suite sera catastrophique peut-être. Mais nous ferons tout pour qu’elle soit grandiose. Vive l’anarchie !
Philémon "Mačko" Dràgàn
(Pilule Rouge, Mouais, Punk & Paillettes, Rue Libre Nice, Collectif Mangoustes, Collectif Anarchiste Côte d’Azur, Parti Populaire du Pantaï, Télé Chez Moi, Diane’s bar à potes, Radio Chez Moi, Bob Real, Concert Chez Moi, Ti Pantaï, Emmaüs-Roya…)
Notre Mouais est toujours en accès libre : https://fr.calameo.com/books/006110248c246080b6403. ABONNEZ-VOUS !
Et avec une énorme et tendre pensée pour les copaines des Gilets Jaunes, Roya Citoyenne, la Cimade, l’Anafé, Habitat & Citoyenneté, Nice-à-Vélo, Solidaires étudiant-e-s Nice, Mots du Monde, Ecomon, Viavélo, le DAL06, Attac 06, Sauvons la Roya, Keskon Frabrik, ADN, les Diables Bleus, le Pigeonnier, Zu Maï, les Eco-Charlie, le GRAF, Zéro Déchets, Alternatiba06, nos potes libraires, et de tous les autres, ici même et dans tout le pays, dans les villes et les campagnes...
Et merci d'avoir été assez nombreuses et nombreux à suivre mon blog pendant le confinement. Portez-vous bien !