Quand je lis chaque article sur une énième affaire de violences sexuelles, je le scrute, le dissèque, hanté par divers sentiments. Le dégoût bien sûr. Dégoût de l’impunité de ces -souvent- mâles blancs dominant de merde, odieuses bites marchantes à cravate, dégoût de ces vies brisées parfois par dizaines. La voix de ces femmes courageuses résonne dans ma tête ; envie de chialer, envie de tout brûler car ce monde est indigne de leur douleur et de leur force. Un sentiment contrebalancé par cet autre : celui que dire ça, le dire largement, massivement, semer ces voix comme autant de bombes, c’est déjà faire justice, c’est déjà obtenir une forme de justice, au-delà d’une justice institutionnelle toujours si défaillante quand il s’agit de vider nos ordures.
Mais il y a un dernier sentiment. Un horrible sentiment. Celui d’être un homme, né homme, sociabilisé homme. Je n’ai pas souvenir d’avoir fait un jour du mal à qui que ce soit, femme ou homme. Ni même aucun être sentient. Mais je n’en suis pas moins un homme. « L’affaire Miller montre encore une fois qu’il n’y a pas de stéréotype de l’agresseur. En l’occurrence, il a un visage à facettes multiples. Ça peut être mon meilleur collègue », explique la députée LFI Pascale Martin dans un article de Mediapart. Et comme l’a formulé Sandrine Rousseau, « C’est un combat dans lequel on ne peut compter sur aucun homme ».
Qu’on me comprenne bien. Je ne parle pas ici de prétendues « pulsions sexuelles » qui pousseraient les hommes à agresser. Les agresseurs le décident. Ils pensent leurs crimes. Quand le vieux Miller invite chez lui, après leur lycée, deux adolescentes de l’âge de sa fille, c’est planifié. Un mode opératoire suppose l’élaboration de ladite opération, c’est pas une improvisation. Miller était pleinement conscient, comme tous les autres, de ce qu’il faisait. C’est pas le sheitan testiculé qui sommeillerait en sa chair de porc qui a pris possession de lui. Il est ce sheitan. Cet intellectuel dégueulasse qui a conçu ces stratagèmes d’agression.
Mais il y a aussi des zones plus grises. Celle d’avant, d’avant que nous mecs ayons pris avec sidération en considération la palette extrêmement vaste, et parfois autrement plus insidieuse, de façons d’être un agresseur. Ces terres passées où surnagent des doutes.
Et c’est là où j’ai peur. Peur de ce que je suis. Peur de ce j’aurai pu faire, sans m’en souvenir. Car moi aussi, j’ai cette atrocité dans les tripes et la tête. Ma mère et mes sœurs ne m’ont pas éduqué à nourrir le monstre, bien au contraire, et bien des choses dans ma famille m’ont prévenu de combien il pouvait être violent, mais la société s’en est chargé pour elles. Elle m’a inculqué de parler fort, beaucoup. Trop. D’être impatient, ne pas refréner mes caprices. D’être brusque, violent parfois. Toutes ces choses qui font de moi une saleté de mec.
« J’ai été victime à 7 ans d’un homme en situation de pouvoir et de domination. Jamais une femme n’a nié ou minimisé la douleur que j’exprimais. Les seuls qui en ont ri sont des hommes. La culpabilisation et la honte ont toujours été accentués par d’autres hommes », dit un témoignage du #MeTooGarçon. Saleté de mecs.
Saleté de mecs. A propos de « Moi, les hommes, je les déteste » de Pauline Harmange, j’avais écrit à l’époque : « Moi aussi, les hommes, je les déteste. Parce qu’il vaut mieux détester qu’avoir peur. Je les déteste pour cette atmosphère de terreur qu’ils font régner. Je les déteste pour leurs regards agressifs et lubriques dans les transports en communs, leurs remarques dégueulasses sur les réseaux sociaux, pour leur amour de la force brute, pour leur virilité basée sur l’humiliation, je les déteste, et je les ai toujours détestés, depuis la cour d’école quand, petit bout’chou perdu dans un monde trop grand, trop violent, je les voyais « faire les grands », s’insulter, se battre, poursuivre les filles en hurlant, se comportant déjà comme si tout ceci était à eux, cette cour, ces filles, cette société entière ». Je les déteste, oui. Mais j’en suis un.
J’ai été, je suis, je reste une saleté de mec.
Saleté de mec. A toutes les femmes que j’aime, que j’ai aimée, à toutes les autres, à mon aimée, je ne saurai assez dire ma désolation et ma gratitude. Tout ce que je pourrais bien dire ou écrire ne pèse rien face à l’ampleur de l’horreur de ce que, malgré moi, j’incarne. J’espère avoir toujours été respectueux. Je pense l’avoir été. J’ai toujours essayé de l’être. J’essayerai toujours. Et la saleté de mec vous remercie de la confiance que vous m’avez accordée. Car elle n’était pas méritée. Les saletés de mec ne méritent aucune confiance.
Où j’en vais avec tout ça ? J’en sais rien. Je crois juste que je suis dégoûté et fatigué. Dégoûté et fatigué que le problème soit si immense, et dégoûté et fatigué d’en faire partie. J’en veux à ce patriarcat de merde d’avoir fait de moi un perpétuel danger potentiel. Et je voulais simplement mettre quelques mots sur ce dégoût et cette fatigue.
C’est pas grand-chose. C’est au moins ça. Entre être une victime de #MeTooGarçon et être un accusé par #MeToo, il ne devrait pas, il ne devrait plus y avoir à choisir. A nous d’explorer une infinité d’autres voies, d’autres voix, loin, le plus loin qu’il soit possible de la masculinité toxique, subie ou exercée.
Mais allez, disons que c’est pas foutu. Et que nous saleté de mecs allons apprendre. Apprendre à ne pas faire le mec. Apprendre le silence, apprendre à écouter. A caresser, à rêver tendrement. Apprendre à ne pas prendre tout l’espace. A prendre soin. Apprendre à fermer sa gueule. Apprendre le langage des corps, du désir, du refus, du consentement.
A devenir comme dans ce poème qui est le plus beau des poèmes, et qui a été écrit par la plus grande des poétesses, Alejandra Pizarnik : « Demain on me vêtira de cendres à l’aube, / on m’emplira la bouche de fleurs./ J’apprendrai à dormir / dans la mémoire d’un mur, / dans la respiration / d’un animal qui rêve ».
Mačko Dràgàn
Journaliste à Mouais
J’ai fait un documentaire sur la sexualité libre & libertaire si jamais : https://www.youtube.com/watch?v=FJ6kzwC6Bzo&ab_channel=TeleChezMoi

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