Cher camarade,
(Je dis : camarade car tu te dis toi aussi anar’ ; ne crois pas que la possession commune de chromosomes X et Y n’entraînera un jour de ma part une quelconque camaraderie avec qui que ce soit). Hier, par un hasard bien ironique, je lisais avec horreur, et une douleur infinie doublée d’une infinie admiration pour elle, le récit du procès du mari tortionnaire et des violeurs de Gisèle Pélicot. Tu sais, cette femme qui a été durant des années mise à disposition, sous sédatif, par son conjoint, à la merci de dizaine de porcs, dont cinquante et un passent à la barre. Des monstres ordinaires, j’y reviendrai. Et c’est alors que j’ai reçu ton courrier.
Oui, alors que des larmes me venaient aux yeux devant le courage de celle qui a voulu que ce procès n’ait pas lieu en huis-clos, et élever haut la voix pour dire l’horreur, dire la voix de toutes les femmes violentées, violées, niées, dire aussi leur dignité et leur force, j’ai dû les essuyer pour prendre connaissance de ce mail qui commençait en annonçant sobrement : « Je viens de lire ton billet daté du 10 mars 2024 (« Saleté de mecs (j’en suis une) »). Et là, franchement, permets moi de te dire : Macko, tu déconnes ! »
Et pourquoi donc ai-je déconné ? C’est bien simple : « Comment peux-tu écrire qu’ ‘’Aucun homme, même « allié » en apparence, n’est digne de confiance. Aucun’’ ?» En effet, selon toi, tout cela est « bien manichéen : d’un côté nous aurions les ‘’mâles blancs dominant de merde’’, est, de l’autre ‘’la voix de ces femmes courageuses’’ ». Car « La réalité, à condition de la prendre pour ce qu’elle est, s’avère plus complexe, plus retorse, et n’a pas de toute façon l’aspect binaire que tu lui prêtes ».
Et là, je t’arrête tout de suite : contrairement à notre cher président que le monde nous envie, je ne suis pas adepte de la « pensée complexe ». qui lui permet de dire, face à des témoignages accablants de femmes meurtries, que Gégé c’est quand même un sacré bon acteur et que c’est ça la France qu’on aime. Non, moi, j’emmerde les violeurs, j’emmerde leurs soutiens, j’emmerde leur monde, leurs sales gueules et leurs foutues paires de couilles et si je n’étais pas également anti-carcéral je leur souhaiterais volontiers d’aller tous pourrir dans la plus miteuse des cellules de prison, où passerait en boucle le refrain des Lacs du Connemara.
Passons sur le moment où, me posant comme un « disciple du jésuite Edwy Plenel », pourquoi pas, tu déplores évidemment l’horreur de ce ouèbe maléfique où se fomentent de viles campagnes publiques de diffamation de pauvres bougs putativement innocents, « discréditant, déligitimant, voire criminalisant quiconque ferait l’objet, à tort ou à raison, d’accusations sur le plan sexuel ». Car si je suis d’accord pour dire que le fonctionnement inhérents à ces réseaux est tout de même bien de la merde, on ne me fera pas croire que le pedigree global des mis en tort c’est du chocolat, et jusqu’à présent nous n’avons guère eu d’exemples massifs de braves citoyens injustement traînés dans la boue par la plèbe féministe et sa haine aveugle *.
Non, allons plutôt directement au cœur de tes reproches. A savoir, ce moment où, m’écris-tu, « tu (moi, donc) bats ta coulpe en évoquant ta peur de penser qu’auparavant tu avais pu être, malgré tout, un agresseur. Que donc la société, contrairement à ta famille, t’avait inculqué. « toutes ces choses qui font de toi ‘’une saleté de mec’’ ». Que n’ai-je dit ! « Tu ne sais pas à l’évidence, eh non car je suis très con, que ce genre de discours, par excellence de culpabilisation, renvoie à l’un des invariants du christianisme ? » Et là, j’ai envie de dire : et alors ? Si le christianisme, ce dont je doute cependant, a pu nous laisser comme héritage le sens des responsabilités quant à nos actes passés, on ne s’en plaindra pas -et beaucoup de prêtres feraient bien de s’en souvenir.
Tu poursuis : « Macko Dragan entend se racheter (aux yeux de son lectorat ? des femmes ?) en s’accusant d’avoir été et de rester une « saleté de mecs ». C’est de l’ordre de l’ontologique, comme dirait l’autre ». Au-delà du fait que je t’encourage à vérifier la définition du mot « ontologie », tu me permettras d’être pour le moins agacé de retrouver ici cet argument phare (mais éteint car l’ampoule a pété) des mascus généralement fafs et dont le QI atteint très rarement l’équivalent de la température anale : nous autres, pathétiques hommes-soja gauchistes, ne professerions notre intérêt pour la pensée féministe que pour « plaire aux meufs ».
Ma déconstruction, jamais finie, plaît à mes amies, et plaît à ma compagne, car elle rend pour elles ma virilité socialement acquise moins pesante à vivre. Mais ce n’est pas pour ça que je le suis. On n’est pas antiraciste pour « plaire à ses amis Noirs ». Quant on est contre les dominations, contre les injustices, on l’est tout simplement, sans rien attendre en retour, et dans l’utopie rêvée et inaccessible d’un monde où plus personne n’aurait à en souffrir.
« Même si je parle en mon nom propre, j’entends également parler en lieu et place de ceux de mes amis d’hier et d’aujourd’hui ; des deux sexes certes, mais en premier lieu du côté masculin » (sans déconner). À savoir que nous nous ne nous considérons pas responsables, en tant qu’hommes, de ce que « ce patriarcat de merde », à te lire, ferait de toi (et par extension de nous) ». Et pourquoi ? « Pour une bonne et excellente raison. Nous avons toujours défendu sous toutes ses formes l’égalité entre les deux sexes et l’émancipation du sexe féminin ». C’est donc aussi simple que ça ! Tu ajoutes par ailleurs : « Je tiendrais le même discours envers le colonialisme, dont je ne me sens pas plus responsable. ». Eh bah nickel, ça doit être bien sympathique de vivre dans ta tête camarade, on n’y est jamais responsable de rien puisqu’on pense tout bien dans les clous, c’est donc sûr qu’on ne fait jamais rien de mal, CQFD.
Quant à toi, tu me trouves « un poil démago quand tu remercies les nanas [je n’emploie par contre pas le mot « nana », n’étant pas né dans les années 60] que tu as aimées de t’avoir malgré tout fait confiance (toute « saleté de mecs » sois-tu). D’autant plus que tu ajoutes : « Car elle n’était pas méritée. Les saletés de mecs ne méritent aucun confiance ». Où tu vas, là ? Tu ignores que tu es en train d’associer « le péché d’être un homme » à l’autocritique de type stalinien ». Après avoir été repeint en curé, me voilà stal’, mon compte est bon.
S’ensuivent des attaques totalement gratuites contre l’excellent livre d’Alice Coffin, Le Génie lesbien, et contre Sandrine Rousseau car évidemment que tu n’aimes pas Sandrine Rousseau, ça aurait été étonnant. Contre la première, tu écris qu’elle « rejette la moitié de l’humanité », foutredieu, et t’exclames : « Encore un effort camarade ! Il te reste à rejeter tout livre écrit par un mec, tout film réalisé par un mec, toute œuvre plastique crée par un mec, toute composition…, etc » Ce n’est pas du tout ce qu’elle dit de faire, mais pourquoi pas ? Il y aurait largement de quoi remplir mon existence de beauté jusqu’à ma mort.
Et puisque tu m’encourages à « faire preuve d’un peu plus de discernement sur un plan disons politique », je vais te rendre la pareille, et te dire pourquoi ta missive m’a heurtée, tout en t’éclairant sur les raisons pour lesquelles j’ai écrit mon billet.
Je pourrais te ressortir toutes les fois où j’ai assisté à ou subi la violence des hommes depuis mon enfance mais, comme on le voit dans ton cas, en demeurer à ce qu’on connaît peut parfois s’avérer contre-productif, puisque de ton côté il semblerait que tu n’aies rien vu de tout ça. Alors on va juste regarder les chiffres.
En 2022, environ 48 800 femmes et filles dans le monde ont été tuées par leur partenaire ou d’autres membres de leur famille. En moyenne, plus de cinq femmes ou filles sont tuées toutes les heures par quelqu’un de leur famille. Dans le monde, on estime que 736 millions de femmes, un tiers, ont subi au moins une fois des violences sexuelles. Ceci ne tient pas compte du harcèlement sexuel. En France, un viol est commis toutes les 6 minutes. La plupart -91 %- des victimes détectées de la traite à des fins d’exploitation sexuelle sont des femmes. Les clients sont des hommes. La plupart des violences contre les femmes sont perpétrées par le mari ou le partenaire intime actuel ou passé. Des hommes **.
Vois-tu où je veux en venir, camarade ? L’atroce histoire derrière le procès de Mazan nous l’a montré : le patriarcat, ce n’est pas -que- des monstres bavant, des prédateurs psychopathes dignes de films hollywoodiens. Des « saletés de mecs », tu en croises tous les jours, au travail, dans les transports en commun, dans les repas de famille. Ils te sauvent -ils sont pompiers-, te nourrissent -ils sont boulangers-, viennent en aide aux démunis -ils sont l’abbé Pierre, oui, même lui, ce qui doit vraiment nous pousser à ne jamais admirer aucun homme.
Ils sont toi. Ils sont moi. Parce qu’il y les chiffres que j’ai cité, il y a l’horreur de Mazan, et il y a tout le reste. Liste non exhaustive : crier sur ta partenaire. Adopter une posture physique menaçante à son encontre. Manipuler par le chantage. Tromper quand ce n’est pas prévu dans la relation, et ne pas accepter qu’elle fasse de même. Mentir pour parvenir à ses fins, notamment sexuelles. Te penser séducteur alors que tu ne fais que de la drague lourde, ce qu’elles n’osent pas signaler. Profiter de l’ivresse, ou d’un quelconque état second, ou d’un ascendant psychique ou social. Parler fort, parler trop, parler à la place. Invisibiliser. Porter des regards trop appuyés dans la rue. Faire des remarques désobligeantes liées au genre supposé.
Si tu coches une seule de ces cases, même si c’était il y a longtemps, même s’il y avait un contexte, je suis au regret de le signaler, mais tu es une saleté de mec. En déconstruction peut-être, plein de bonne volonté peut-être, mais une saleté de mec.
Donc : tu l’es. Je le suis. Nous le sommes tous.
Tu vas me dire : mais des femmes font ça aussi. Oui, sans doute. Mais elles ne dominent pas la société. Ce qui change absolument tout.
Tu boucles ta missive sur un éclair de lucidité, te demandant : « N’y aurait-il pas ici un problème générationnel ? Car, si j’en crois la tonalité de ton propos, ce en quoi il épouse un certain air du temps, tu ne serais pas (je parle au conditionnel) sans reprendre un discours en provenance de l’autre côté de l’Atlantique, discours qui n’est pas sans recueillir de larges échos dans des associations féministes, le courant racialiste, voire auprès de camarades anars (dont je constate plutôt contrarié qu’ils appartiennent aux jeunes générations). C’est implicite, et je préférerais être démenti ». Tu ne le seras pas. Oui, cher camarade, tu es à l’évidence ce qu’on appelle, pas forcément de façon péjorative, un « boomer ». Oui, les jeunes générations, dont j’espère encore faire partie quoique ayant 29 ans depuis maintenant quelques années, sont plus attentives à ces questions, et c’est une très bonne chose.
Oui, comme le chantait l’autre, et tu auras sans aucun doute la ref’, « vos fils et vos filles / sont au-delà de vos ordres, / votre vieille route / est en train de vieillir rapidement. / Ne restez pas sur la nouvelle / si vous ne pouvez pas nous aider, / car les temps sont en train de changer ». Oui, nous prétendons désormais construire une société où chacune, et surtout chacun, aura la décence de bien vouloir prendre conscience des dominations qu’il porte en lui, et des privilèges qui assoient, sans qu’il s’en rende forcément compte, son confort quotidien.
Nous devrons donc en rester sur ce désaccord. « Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet mais j’en resterai là. Et puis, je n’ai nulle envie de jouer le rôle d’un ‘’vieux con des neiges d’antan’’ s’adressant à un ‘’petit con d’la dernière adresse’’ (sic)», écris-tu dans ta conclusion. Ce serait effectivement dommage.
Je ne serai plus une « saleté de mec », et toi non plus, quand il n’y aura plus de patriarcat. Mais en attendant… Et sur ce, je vais câliner mon nouveau chat, Caeiro -un matou, mais je vais le faire couper, ce qui n’a évidemment rien à voir avec le sujet.
Salutations libertaires,
Mačko Dràgàn
Journaliste à Mouais : https://mouais.org/abonnements2024/
* Que je déplorerais le cas échéant, faut-il le préciser.
** https://www.unwomen.org/fr/what-we-do/ending-violence-against-women/facts-and-figures
