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Billet de blog 10 décembre 2025

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Lettre à Sarko : retourne à la Santé, ton livre est raté

Je me suis procuré le PDF de la masterclass de notre ex-président racontant de façon larmoyante son bref séjour en prison. Dans ma série « un prolo-punk anar écrit des lettres à des gens de droite qui ne lui répondent jamais », je vous propose donc ma réponse à Sarkozy, tant son « livre » repousse toutes les limites de la décence et de la dignité.

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Dans un monde normal, voir un homme politique ayant bâti sa carrière politique sur ce qu’il a appelé la « tolérance zéro » et sur l’envie martelée d’envoyer tout le monde en prison pour la moindre boulette de shit, finir lui-même en cabane pour des faits autrement plus graves dont la justice l’a rendu coupable, dans un monde normal disais-je, cet épisode aurait dû encourager l’homme politique en question au silence, et les médias à la salutation de ce qu’il existe encore une justice indépendante dans notre pays.

Mais ce n’est pas dans ce monde-là que nous vivons. Ainsi, non seulement Nicolas Sarkozy, reconnu coupable dans l’affaire des financements libyens -je vous laisse consulter les archives de Mediapart, mais sachez seulement qu’il est avéré qu’il a du sang bien épais sur les pattes-, n’est resté qu’une vingtaine de jours au frais, non seulement moult éditorialistes se sont lamentés sur son sort -car la prison c’est bon pour les gens comme nous, vous voyez, le petit peuple, pas pour les blancs riches en costume- mais en sus il en a pondu un livre qui est une insulte aux arbres sacrifiés pour ces 20 euros et 200 pages de vide, et qui a été reçu avec la même stupéfiante servilité par la plupart du monde médiatique.

Illustration 1

Or donc, Sarko -oui, à partir de maintenant, et cette introduction passée, c’est à toi que je parle-, en tant que jeune homme ayant eu à te subir depuis l’adolescence, que cela soit en tant que ministre de l’intérieur, président ou comme conférencier au Qatar, j’ai lu ton livre -en diagonale, il faut pas déconner. Et ce que j’y ai vu mérite une réponse aussi ferme que ton verbe est mou.

«  Le superflu était devenu inutile », écris-tu quelque part, ignorant à l’évidence et la signification de « superflu », et celle d’« inutile ». Mais cette phrase incroyable résume en elle seule très bien ton ouvrage.

« De droite, je l’ai toujours été, sans regret et surtout sans complexe, ce qui constitue à n’en point douter une circonstance aggravante », dis-tu dans les premières pages, comme si c’était ça le problème.

Et j’ai envie de te dire : No shit ! Par contre, non, mon Sarko : au-delà du fait que tu as été condamné pour « association de malfaiteurs » -notamment avec un terroriste responsable d’un attentat, celui du DC-10 d’UTA, ayant coûté la vie à des citoyens français- et non pour ton caractère droitier effectivement bien connu, ne pas aimer payer ses impôts et être fan de Sardou, contrairement à ce que tu essayes de faire croire, est plutôt promesse d’impunité et d’ascension sociale, en France comme ailleurs. Et c’est précisément car tu es un riche de droite que tu as passé si peu de temps en prison, contrairement à Georges Ibrahim Abdallah, que tu as l’audace de citer pour le rabaisser en le traitant de « terroriste d’extrême gauche » et qui a, lui, passé sa vie en taule, pas trois semaines.

« Je suis un bagarreur. Je ne peux le cacher. Je ne garde rien, ou pas grand-chose, par-devers moi. Cela peut souvent me conduire à surréagir, à mener des combats inutiles, parfois même à blesser inutilement mes interlocuteurs ».

Il se trouve que ça tombe plutôt bien, car je suis tout pareil. Mais étrangement,cela ne m’a jamais mené à pactiser avec un dictateur sanguinaire pour gagner une campagne présidentielle face à… Ségolène Royal, était-ce vraiment bien nécessaire de se donner toute cette peine, je te le demande.

Je passe le moment où tu joues les Cosette en écrivant : « J’avais gravi un à un les échelons de la vie sociale tout au long de mon existence. Je venais de redescendre d’un seul coup de dix étages », comme si tu étais né -comme moi- en HLM alors que tu as grandi à Neuilly d’un père aristocrate. Je passe également ce passage magnifique, ouvrez les guillemets : « Je sais d’expérience que c’est dans l’épreuve que l’on se connaît vraiment, non dans son anticipation. La modestie s’imposait », et fermez les guillemets en évitant de vous pisser dessus de rire.

Je veux en venir au cœur du sujet. Notre beau pays de Montesquieu et de Pascal Praud -que tu adores : à propos de son édito « je pense à lui » dans le JDD, tu écris : « Je l’ai lu comme la lettre d’un ami cher qui souffrait à ma place et imaginait ce qu’il en adviendrait s’il avait lui-même à affronter une telle épreuve »- est régulièrement condamné pour traitements inhumains et dégradants dans ses prisons, où la surpopulation est systématique, avec plus de 130 % de taux d'occupation, où l’humidité, les rats et les cafards règnent en maîtres, et où les problèmes de santé physique et mentale sont légion. En outre, dans mon milieu, celui des prolos, comme le dit la chanson Cayenne, « pour une simple connerie, on vous fout en zonzon », sans compter les anarchistes et autres militants écolos qui ont dû longuement y séjourner par pure répression politique, comme au joli temps plus si lointain des chemises brunes et des costumes Hugo Boss.

Or donc, après des décennies à décrire l’univers carcéral comme un club de vacance autogéré et à y envoyer des milliers de personnes, quand tu te lamentes : « Bienvenue en enfer ! […] L’espace d’un instant, je me suis demandé comment j’allais pouvoir sur vivre dans cet environnement hostile » ; « Je fus frappé par l’absence de toute couleur. […] Le premier contact était rude », ou chouine sur ton matelas trop dur - « une table aurait presque été plus souple »- et sur la « la salle d’activité sportive […] très petite », permets-moi de te dire que mes yeux et mon cœur restent bien secs, mon cher Sarko. Y compris quand, faisant face à ton incapacité bien bourgeoise à te faire tout simplement à bouffer, y compris un œuf dur, tu nous livres ce paragraphe bouleversant : « Ne souhaitant ni ne sachant cuisiner sur la petite plaque chauffante de ma cellule, je me contentais depuis mon arrivée de laitages, de barres de céréales, d’eau minérale, de jus de pommes et de quelques douceurs sucrées. C’était en vérité le minimum ». Quelle indignité, comme tu le dirais sur France 2, et tu étais dans le service public. Indignité d’autant plus grande que : « Quatre jours auparavant, j’étais Nicolas Sarkozy, l’ancien président de la République, reçu par le président Emmanuel Macron en personne, au palais de l’Élysée. A-t-on jamais imaginé un contraste plus saisissant ? Une situation plus ubuesque ? Je devais me pincer pour accepter cette réalité. La vérité m’oblige à dire que je ne l’acceptais pas ». Et pourtant : bienvenu dans le monde réel, camarade.

« L’évasion n’était guère envisageable, en tout cas pour un prisonnier comme moi » : Non, rien. Je mets ça là, juste pour le plaisir.

Mais ce n’était pas encore suffisant de ouin-ouiner sur une peine que tu décrivais trop douce par le passé, tout en affirmant qu’elle n’était pas assez appliquée (« Quand un individu revient pour la 17e fois devant le tribunal, il doit être puni pour l'ensemble de son œuvre », never forget), il a encore fallu que tu te compares, pêle-mêle, au Comte de Monte-Cristo, à Dreyfus, voire même, dans un élan de délire mystique probablement dû à l’excès de laitages en cellule, à Jésus lui-même, le fameux repris de justice : « Puisqu’il me fallait porter une croix, je devais tenter de le faire en m’élevant spirituellement [...] Il me fallait ne refuser aucune aide pour affronter cette injustice et surtout pas celle du ciel. J’avais à dessein emporté la magnifique biographie de Jésus-Christ écrite par Jean- Christian Petitfils » ; « Certains éditorialistes de gauche ont beaucoup glosé sur la comparaison que j’avais avancée entre l’affaire Dreyfus et la situation que je vivais. Et pourtant, pour tout observateur impartial et connaissant l’histoire, les concordances étaient stupéfiantes ; « Le Comte de Monte-Cristo, que j’avais apporté en prison, délivre un double message. La renaissance, bien sûr, mais aussi la vengeance ».

Écoute-moi donc bien, mon bien-aimé Sarko, petit escroc minable ayant déshonoré trop longtemps la vie démocratique de ce pays que je continue à aimer malgré tout1, parfois, notamment quand il continue à châtier les puissants.

Ce prolo-punk de Jésus a chassé sans ménagement les marchands du temple, pourfendu les rois, et, ainsi que l’a formulé Pierre-Joseph Proudhon2, dans son Portrait de Jésus, la prédication de ce dernier « c’est la réforme sociale, rien de plus, rien de moins – c’est la liberté, l’égalité, la fraternité, programme éternel des pauvres et des opprimés ». Le Comte de Monte-Cristo nous apprend qu’il faut « Attendre et espérer », -pas se plaindre sur les plateaux télé. Quant à Dreyfus, je ne reviendrais même pas sur l’indécence qu’il y a à se comparer à lui ; juste -tais-toi, Sarko, par pitié. Respecte-nous, respecte-toi.

Vers la fin de ton bref et indigent opuscule, tu te réjouis : « J’ai eu la bonne surprise de découvrir que le monde des journalistes et des médias était moins frivole et cynique que je ne l’avais longtemps pensé ».

Et c’est bien là l’une des pires choses à retenir de cet épisode. Quand le petit peuple, dans sa grande majorité, quoi que tu en dises, se montrait satisfait que justice soit faite, dans les grands médias, cela fut tout autre chose : tu as pu, à mon grand dégoût, bénéficier du soutien enthousiaste, voire extatique, de tout ce que l’hexagone compte d’éditorialistes au rabais, les mêmes qui réclament la peine de mort pour les voleurs de super-marchés et les sans-papiers.

Tu dis, en conclusion, toute honte bue, que dans cette « « épreuve » » (je ne mettrai jamais assez de guillemets à ce terme), « cela m’a aidé de penser à ceux qui souffraient bien davantage que moi. Je leur dois, à eux aussi, d’avoir pu tenir ». Alors, tu veux savoir qui souffre bien plus que toi ?

Les Libyens ravagés par le régime de Kadhafi, puis par la guerre absurde que tu es ensuite venu, BHL sous le bras, mener là-bas. Les familles et proches des victimes de l’attentat du DC-10 d’UTA. Toutes les personnes que ta politique ultra-sécuritaire, lors de ton passage au pouvoir, ados des banlieues, marginaux, prostituées, sans-abris, blessé·es de la vie, a mené·es à se faire tabasser, juger, emprisonner, pour le dixième du quart du millième de ce que tu as fait.

Donc, je te suggère un titre de deuxième tome, qui sera bien plus court et incisif : « Excusez-moi ». Un best-seller, à n’en pas douter.

Vive la justice et à bas les puissants, comme dirait Jésus.

Des bises de Quito,

Mačko Dràgàn,

Journaliste punk-à-chat, red-chef de Mouais, le journal dubitatif, présent en kiosque le mois prochain dans tous le pays dans une nouvelle formule, soutenez-nous, achetez-nous, abonnez-vous ! https://mouais.org/abonnements2025/

1C’est sans doute aussi que, actuellement en Equateur, j’ai peut-être un peu le mal du pays….

2Qui était antisémite et sexiste, ne l’oublions jamais.

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