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Billet de blog 11 octobre 2023

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Porte-toi bien, petite madame

Pas envie de parler de ce qu’il se passe. Faites l’amour, pas la guerre. Des Gilets Jaunes jusqu’à un été de luttes, nous nous sommes aimés. Tu es partie. Rassurez-vous, rien de trop perso dans ce récit. Je veux juste causer d’amour, on en a besoin. Dresser l’anatomie politique d’un parcours amoureux. Et « porte-toi bien, petite madame, je vous rends au bonheur » (Loïc Lantoine).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une des premières fois où l’on s’est croisés, c’était sur la place Masséna, un soir d’hiver 2019, en plein mouvement des Gilets Jaunes, non loin d’une piteuse barricade, et tandis que nous courrions au milieu des lacrymos, les flics ayant commencé à nous pointer avec leurs LBD. Il faisait froid, les gaz lacéraient doucement la nuit. Légère bruine, me semble-t-il me souvenir. Quelques temps plus tard, les chargés passées, tous ayant été dispersés, nous nous sommes retrouvés pour la traditionnelle pinte de fin de manif’ dans la bar favori des gauchos du Vieux-Nice.

Puis peu à peu, à partir de là, l’amour s’est fait. De discussions en danses, de cortèges coude à coude en canettes sur la plage, de chez-toi en chez-moi, la tendresse montre son museau puis s’étire, s’élance et s’accroît.

Le détail de la suite, des jours, des semaines, et finalement des mois puis des années qui ont suivi nous appartient à nous, rien à qu’à nous, et sur cette aventure, je ne saurai jamais mieux dire que Loïc Lantoine :

« Je suis tombé d'amour pour une pas pareille, qu'a su me faire pousser. Rien que d'y re-rêver, je crois que la vie, j'suis pour… Nos rires sont ma fierté, on a tout inventé. On a appris nos corps, on a mêlé nos têtes. Et on s'est ressemblé, des jumeaux amoureux. De la peur de grandir, on a fait une fête. Y en avait plein pour nous et un peu moins pour eux... »

J’avais déjà vécu ça bien sûr, auparavant. Et je le revivrai, je le sais, car l’amour dure toute la vie, mais avec des personnes différentes. Mais voilà, pour le moment, une longue aventure s’est terminée -enfin, elle va continuer, mais sous une autre forme.

Reste la mémoire d’une relation, d’une douce folie à deux qui fut toujours, dès notre rencontre donc, intimement liée au politique. Le vagabondage main dans la main de gauchistes amoureux dans la France de Macron, ce qui n’est pas précisément une promenade de santé mais quand on n’est pas seul, même ça, ça devient tolérable. Rends-toi compte : notre amour à rendu le macronisme vivable. Cela tient du miracle.

Ensemble, nous avons fait les procès des copaines. On a manifesté, crié, chanté. Lutté. Occupé, bloqué. Dans les charges et les nasses, en plein cœur de l’attaque, nous nous sommes serrés dans nos bras, les yeux emplis de larmes poivrées. Dans les ZAD, les rassemblements, les festoches militants, blottis dans ma vieille tente Quechua à 15 euros, petite coquille de noix, nous avons écouté la pluie torrentielle frapper sur nous, en riant.

Illustration 1

Quant tu n’étais pas à mes côtés, souvent, j’ai eu peur. A Paris, où tu étais montée vivre en banlieue, tu étais de tous les cortèges Gilets Jaunes. Et moi, de loin, de nombreuses fois, j’ai eu peur que tu ne te fasse frapper, éborgner, arrêter, mutiler. Lors de l’acte 53, date d’anniversaire du mouvement, tu étais place d’Italie, te prenant de pleine volée la sauvagerie répressive, et je t’ai eue au téléphone, toi terrorisée, moi impuissant, ne pouvant te dire que de fuir, de fuir au plus vite. Je ne pensais pas vivre ce sentiment un jour, dans mon pays prétendument démocratique. Avoir peur pour la vie de son aimée en manif’…

Ensemble, entourés de tous nos potes, nous avons fait des fêtes, nous avons des concerts, nous avons des milliers d’apéros, nous avons fait des potagers, nous avons fait des joies, nous avons fait du « nous », nous avons fait des jeux, nous avons tenu des buvettes, nous avons tenus des stands, nous avons fait quelques bêtises, nous avons été passages.

Ensemble, nous avons voyagé, aussi. Longues randonnées brumeuses sur les côtes de Bretagne, road-trip sur les sentiers de Compostelle, journées de repos et de repas dans des petits villages camarades du Sud et d’ailleurs, les pieds dans la rivière. Soirées errantes à dormir dehors devant les gares, interrompus en plein sommeil par l’arrosage automatique. Et ce matin qui me revient soudain, à Gijón, dans les Asturies, quand nous nous sommes levés à contempler l’océan immense en face de nous, après une nuit au parc et quelques litres de bon cidre.

Ensemble, nous avons vécu le confinement, dans mon squat-appartement d’alors dans le Vieux-Nice. Pour passer le temps, entre deux balades dûment justifiées-attestationnée et les maraudes avec le Secours Pop’, nous avons bu (parfois trop), nous avons bien mangé, nous avons écouté de la musique jusqu’à bien tard, nous avons regardé films et série sous la couette, nous avons fait des soirées déguisées à deux, et nous avons même fait du sport (enfin, surtout toi). Je pense pouvoir dire que nous avons été heureux.

Nos dernière vacances ont commencé dans notre chère vallée de la Roya, été poursuivies en Suisse aux Rencontres anti-autoritaires de Saint-Imier, puis au Larzac, avant un crochet dans les Pyrénées pour les traditionnelles vacances des copaines de ta fanfare la Locomotive, et une conclusion en apothéose pour un mariage de coloc’ à la Courneuve.

Puis ça s’est terminé, un peu soudainement, en cette triste rentrée de polémiques à la con, de casse sociale, d’horreur lampedusienne et de guerre là-bas-au-loin.

Comme la marque que vraiment, en cet automne, tout était voué à nous signaler que quelque chose ne va pas, et que ça ne va pas être facile.

Mais jusqu’au bout, pour nous, tout aura été très réussi. J’ose croire que nous nous aimés en toute bienveillance, en tout respect et en toute égalité. Que notre histoire commune fut celle de deux amis autant que de deux amants.

Et cela m’encourage à penser que quoi qu’il puisse se passer par la suite, ça vaut la peine de s’aimer. Ça bourre la vie de miel. Ça arme pour les luttes.

Ça enrichit, ça grandit, ça intelligence, ça bouleverse, ça dubitativise. Ça rapetisse dans un trou de souris au chaud quand il faut, ça géantise au front quand il se doit. Ça porte, ça fait lame, ça fait vague, ça fait torrent même. Ça donne des raisons d’y croire, ça aide à croire qu’on a raison. Car avoir raison tout seul, c’est souvent n’être qu’un pauvre con. Raison à deux, c’est au moins être fous ensemble, et c’est déjà ça.

A nouveau je ne saurai pas mieux formuler que Loïc : « Si les ans, ben voyons, nous on refait étrangers, je recompte en moi nos dizaines de milliers d'heures... Alors, alors c'est pas toi qui m'apprendras à langer… Porte-toi bien, petite madame, je vous rends au bonheur ». Oui. Porte-toi bien, petite madame. Je te rends au bonheur.

Vive l’amour, et que maudite soit la guerre.

Mačko Dràgàn

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