L’actualité générale étant, disons, légèrement anxiogène, j’ai envie aujourd’hui de parler de quelque chose qui m’a fait du bien, et qui donne un peu d’espoir dans ce monde de merde dirigé par des cons et gangrené de puantes tumeurs fascistes.
La scène est glaçante. Avec l’accord de la justice française, le tribunal administratif ayant suspendu l’interdiction du défilé au motif qu’elle portait « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester », et c’est vrai que ce serait dommage de s’en prendre à ces pauvres nazis qui ne demandent qu’à revivifier la mémoire de Hitler dans la dignité, des troupes cagoulées, croix celtique au vent, nuque rase, défilent dans Paris, à quelques jours du 8 mai, soit la célébration, on appréciera l’ironie, de la victoire des forces alliées sur l'Allemagne nazie. L’histoire ne repasse pas les plats, ok, mais des fois elle dégueule ses produits mal décongelés.
Sarah Kerrich-Bernard, avocate au Barreau de Lille et conseillère régionale des Hauts-de-France, sur Twitter : « Le négationnisme est un trouble à l’ordre public. Le port d’insignes prohibés est un trouble à l’ordre public. La diffusion d’une idéologie raciste est un trouble à l’ordre public. Il était tout à fait possible, et souhaitable, d’interdire. Réveillez-vous !»
Mais par les temps qui courent, la France dort bien profondément. Un sommeil lourd de pays bourré bavant sur son coussin, et qui se réveillera peut-être un jour, oui, mais sans aucun doute avec une solide gueule de bois, et pour s’en remettre il lui faudra un Doliprane aux dimensions de l’ego de Macron, c’est dire la taille du truc.
« Tout est perdu, fors [sauf] l’honneur », comme l’a dit François 1er après sa lourde défaite à la bataille de Pavie. Et de jour-là, c’est une jeune femme Noire, de passage aux abords de la manif’, qui a sauvé l’honneur alors que tout semblait foutu.
Le lendemain de ce naufrage civilisationnel, alors même que l’on constate avec consternation que Valéry Hayer, tête de liste macroniste aux européennes, n’a rien trouvé de mieux à faire que de poser tout sourire avec les organisateurs du défilé -elle se défend en affirmant avoir été « piégée », n’ayant pas vu le T-shirt « The white race », la distraite (1)-, une vidéo, notamment partagée par le média indépendant Cerveaux Non Disponible, devient virale.
« Les vrais reines ne portent pas de couronne », nous avertit la vidéo. Et effectivement, dès les premières secondes, la queen s’impose. Regardant passer les fafs avec un dédain délicieux, elle s’écrie : « C’est quoi ça ? Franchement c’est la honte. La France, la honte. C’est une marche de facho, en fait. Une marche de putain de racistes ».
Un type du service d’ordre -un ordre bien vertical et bien musclé- se met alors devant elle, lui tournant le dos. Elle le prend à partie : « Qu’est-ce qu’il y a ? Tu peux te mettre devant moi, ça va être marrant. Vous êtes des sales putains de fachos de merde. Je marche ici, je suis en France et c’est mon pays, qu’est-ce qu’il y a. T’es pas content, c’est pareil ».
La régalade continue. La jeune femme -qui se nomme, on finit par l’apprendre, Adja Traoré, et se définit comme « photo reporter et militante engagée dans les luttes contre les violences policières et les injustices sociales »- resplendit, impressionne, bouleverse, émeut, on a envie de l’applaudir, de lui hurler bravo, de la serrer dans ses bras. Des manifestants viennent l’intimider. L’un d’eux se dresse devant elle, collant son visage au sien, menaçant. Elle se démonte pas. « Toi, tu dégages ! » Un autre, comme pas mal de ses camarades, se dissimule derrière un parapluie : « Pourquoi tu caches ton visage ? T’as honte ? T’assume pas ? Enlève ton sale putain de parapluie et assume qui tu es, gros raciste ».
Elle continue à marcher, fière et belle et forte, au milieu du défilé qui scande des slogans fachos. Un rasé l’interpelle en lui disant que c’est « pour les blancs », lui intimant : « Rentre chez toi ! ». Sa réponse : « Ah, voilà ! Il est blanc, il a le droit d’être là, c’est ce qu’il a dit. Te sens pas supérieur à moi parce que t’es blanc, je te le dis ». Et enfin, tandis qu’un gars essaye de s’en prendre à elle : « Retouche moi encore, tu vas voir ».
Actuellement, sur les réseaux asociaux, les partisans de Vichy sont en train de tenter de la faire passer, elle, pour la raciste -je rappelle qu’on parle de nostalgiques de l'ère de la hiérarchie des races-, aux prétexte qu’elle aurait fini par partir en disant : « sales blancs de merde » -personnellement j’entends « sales puants de merde » mais bon, j’avoue qu’à mes yeux ça ne change pas grand-chose, quand des suprémacistes blancs se réclamant de leur sang aryen te disent de te casser de la rue car tu es Noire il me semble que tu as peut-être le droit de considérer que oui, il y a un soucis dans la façon dont ils se revendiquent de leur couleur de peau.
Moi je voudrais juste dire : merci. Merci à toi, Ajda Traoré. Comme le dit cette fameuse réplique du chef-d’œuvre La Classe américaine, « je préférerais avoir ta classe plutôt que la mienne, car moi, je suis un petit peu just ». J’envie ton courage, la simplicité et la fougue avec lesquelles tu as exprimé ta juste colère, ne laissant aucun nazillons troubler ta voix.
Les temps à venir s’annoncent complexes, et c’est un euphémisme. Manu-le-taré a officialisé sa stratégie consistant à nous foutre la Le Pen et sa clique à la présidence en 2027 afin de mettre le pays à feu et à sang, soufflant sur les braises d’une future guerre civile (2) avec l’illusoire fantasme de revenir derrière en sauveur pour un troisième mandat. De toutes façons, d’ores et déjà, il est bien difficile de voir ce qui sépare la politique de notre gouvernement de celle de pouvoirs ouvertement fascistes comme l’Italie de Meloni et la Hongrie d’Orbán. Et pendant ce temps, des milices brunes militarisées défilent.
Alors, oui, merci, lueur d’espoir dans cette nuit sans fin. Puisse-t-il y avoir des dizaines, des centaines, des milliers de Adja, pour leur dire que nous aussi, nous surtout, « on est chez nous », que l’avenir est à nous, que la rue nous appartient, que leurs drapeaux à vomir et leurs slogans abjects sont une honte et une offense à tout ce qui fait l’honneur du genre humain, que notre honneur à nous sera toujours de nous dresser devant eux, sans ciller ni sourciller.
Et en conclusion, je citerai la camarade Blanche Jardin : « Marre de voir des soc-dem parler de courage pour la meuf qui a osé défier les fafs à leur manif de mort. C'est pas du courage, c'est de la nécessité POUR SURVIVRE. Cette nécessité de se battre contre le fascisme frontalement que les soc-dem refusent par privilège.
[…] C'est pas une question de courage mais une question de faire le taf quand la grande majorité de la société choisit la résignation ou le déni face au fascisme ».
A bon entendeur.
Salutations libertaires,
Mačko Dràgàn
Journaliste punk-à-chat à Mouais, mensuel papier de poil à gratter, d’enquête, de reportage, d’analyse, d’information, soutenez-nous, abonnez-vous ! https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais
Agrandissement : Illustration 1
(2) A propos, voir l’indispensable Civil War d’Alex Garland, sorti il y a eu en salles.