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Billet de blog 14 septembre 2022

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Ne plus être les seconds rôles du film catastrophe

Souvent, on me traite de « bobo » sur les réseaux. Mais ce terme ne veut plus rien dire, car maintenant le « bobo » c'est juste l'altruiste, même s'il est pauvre. Le second rôle qui vit autrement. Et qui, dans le film catastrophe bas budget qui se joue, commence à en avoir gros de se faire insulter. Notre mode de vie est celui de l'avenir. Ne vous en déplaise. Les seconds rôles vaincront.

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Sur la toile, il existe un type particulier de gros con qu'on n'est jamais surpris de croiser. Il s'agit de celui qui, sitôt que sur le réseau officiel de la haine en ligne, aussi appelé Twitter, je poste un de mes papiers portant généralement sur ma volonté de ne pas laisser les pauvres / les arbres / l'humanité mourir (rayer la mention inutile, de leur point de vue il semblerait qu'elles le soient toutes), ou tout autre desiderata puéril de gaucho fragile, dégaines ses deux plus beaux neurones pour aussitôt commenter : « Encore un délire de bobo de merde qui bosse à Mediapart », fin de citation. On appréciera la puissance de frappe argumentative.

Passons rapidement sur ce deuxième point : non, je ne travaille pas pour Mediapart. Et d'ailleurs, afin que je devienne enfin un journalope-islamo-gauchiasse-coupé-des-réalité digne de ce nom, j'encourage ces valeureux critiques de ma vie et de mon œuvre, aux pseudonymes souvent ravissants, et que je remercie pour leur attention, à écrire à Edwy afin de lui demander qu'il foute mon C.V. en haut de la pile, merci. Non ; ce petit détail évacué, ce qui me paraît plus intéressant, à défaut d'être surprenant, c'est que ce genre d'indigent dégueuli rhétorique, qui surgit tel un pastis trop chargé avalé de travers, s'étale un peu partout, et ce jusque dans les fauteuils les plus en vue du pouvoir et des plateaux d'invective en continu.

Tous communient dans cet anathème : si tu cherches à défendre des causes altruistes ou à mettre en lumière les saloperies du monde, et à vivre autrement plutôt que d'assumer comme eux d'être un gros connard égoïste, c'est nécessairement que tu es un abruti aveuglé par une idéologie absurde qui t'empêche de voir le vrai monde réel de la réalité véritable. Ce monde réel si bien connu des macronistes, qui en parleront sans aucun doute en long et en large dans leur petite secte du comité national de refondation, ce nouveau délire masturbatoire de notre monarque élevé en serre avec des nouilles tout autour de devinez où. Ou des footballeurs du PSG, ex-pauvres oublieux d'où ils viennent et désormais effondrés de rire à la seule idée de prendre le train, quand bien même ce dernier serait plaqué or. Ou des zemmouristes grabataires ayant passé leur été à souiller de peur la piscine de leur villa de vacances, effondrés devant la rubrique faits divers de Fdesouche. Ou de la horde des endeuillés stockolmiens du décès pas vraiment prématuré de la Queen-parasite, petit ange parti un peu tard tout de même, l'un des postes simili-décoratifs les plus inesthétiques (puissent ses robes et ses chapeaux être enterrés avec elle) et ruineux des soixante dernières décennies.

Et même chez des personnes se réclamant de la « gauche », ce discours prospère. Je m'étais promis de ne plus accorder trop d'attention aux frasques affligeantes de l'inégalable Fabio-l'arsouille, le bourgeois-bourrin tendance Knacki-balls mystérieusement placé à la tête du PCF, mais en l’occurrence, c'est lui qui a fait livrer avec recommandé et frais de port offert la boule de soumission et le martinet à clou pour se faire battre en pourfendant «la gauche des allocations » en faveur de celle « du travail » (un sujet qu'il connaît bien puisqu'il fait de la politique depuis ses 28 ans). Et quelques temps auparavant, toujours dans l'idée de « faire populo » contre l’ennemie publique n°1 Sandrine Rousseau qui avait osé s'en prendre à la surconsommation (avérée) de bidoche par les mecs, il s'était exclamé : « Vous n'allez pas me parler du sexe des escalopes, quand même » (clin d’œil, rire gras et applaudissements enregistrés). Une telle kolossale finesse, on n'avait pas vu ça depuis les téléfilms AB production de type « Salut les Musclés ». Et on se rappelle bien sûr du magnifique « ça fait longtemps que le PS ne parle plus qu'aux bobos des villes et Mélenchon à la fraction radicalisée des quartiers périphériques. »

Bon. Soyons très clairs. De mon côté, en ce qui concerne ma possibilité d'être ou de devenir « bobo », je suis serein. Je sais d'où je viens, pas comme ces purs dominants qui, comme certains prédateurs, nous imitent pour mieux nous bouffer. Ma mère, fille de coiffeurs charentais, était institutrice (elle vit encore le ciel en soit loué, mais elle est aujourd'hui à la retraite). Mon père, mort quand j'étais encore tout petit, qui a grandi à Mantes-la-Jolie dans une famille fraîchement débarquée de Brăila, en Roumanie, était, après divers boulots, jardinier. J'ai passé mes premières années, avec mes frères et sœurs, et mes cousins punks quand venait le temps du couscous, dans les petits HLM d'un minuscule village varois, avant de déménager, beaucoup. J'ai fait une infinité de petits tafs, de déménageur à commis de cuisine en passant par manœuvre ou manutentionnaire, et j'oscille désormais entre diverses activités alimentaires à la sauvette et journalisme indépendant peu ou pas payé.

Je suis un prolo, et je vous emmerde.

Alors, certes, les vrais « bobos », ça existe. Des gens avec un peu de thune qui bouffent des légumes de l'AMAP (et j'ai envie de dire : so what ? Tant mieux pour eux, ma foi). Et certes encore, on ne va pas se mentir, certains comportement comme le végétarisme sont tendanciellement moins répandus au sein des classes populaires -quand d'autres, comme le fait de bouffer bio et local, leur sont tout simplement inaccessibles.

Mais ça n'est pas ça, le problème des gens précités. Leur problème vis-à-vis de ce qu'ils appellent « bobo », et qui bien souvent sont des précaires comme moi (le terme désignant désormais généralement des gens aux minima sociaux ou vivant en-dessous du salaire médian), c'est : comment on vit. Parce que, ouais, je n'achète quasiment rien de neuf, je trouve toutes mes fringues en friperie ou dans les fonds de cartons des potes ou de ma meuf, ce qui me donne cette dégaine inimitable de roumano-punk mal fagoté. Ouais, je n'ai pas mon permis, ni mon code, et je ne les aurai probablement jamais. Je me douche à l'eau froide, j'achète pas de viande industrielle, sauf pour mon chat que je ne suis toujours pas parvenu à convertir au végétarisme même modéré, tous les téléphones portables que j'ai eu étaient issus de la récup' et sont généralement à moitié pétés. Pas loin de chez moi, dans un parc, j'ai planté des tomates et des courges. Je me passe autant que je peux du confort consumériste qui noie notre société dans des produits de merde ni faits ni à faire, et je fuis autant que possible la technologie capitaliste. Et pire que tout, je fais partie de tout plein d'asso qui organisent des concerts sauvages et viennent en aide aux demandeurs d'asile, entre autres activités subversives qui mettent à mal l'ordre social millénaire que nous avons eu le bon goût et la bienveillance délicieuse d'importer et d'imposer dans le monde entier dans tant « d'histoires d'amour avec leur part de tragique », comme l'a si joliment formulé Manu.

Bref. C'est donc bien ça, au fond, qui les fait chier, tous ceux qui n'ont que le mot « bobo » à la bouche pour nous renvoyer au rang de minorité parasite coupée de la vaste marche du monde. Ce qui les dérange, ce qui les agace, c'est comment je vis. Comment nous vivons. J'avoue que j'ai bien du mal à comprendre ce que ça peut leur foutre, mais nos p'tites vies pas pareilles, voilà ce qui leur fait peur ; peut-être car ça leur rappelle, discrètement, insidieusement, comme en sourdine au fond de leurs têtes de cons, la bêtise de leur propres existences, et les dévastations sociales et environnementales qu'elles entraînent, ces « carcasses de gosses qui pourrissent en silence / De la chair sur un os pour ces chiens de la finance », comme l'a chanté mon pote Zip', qui ajoute : « Ils vont finir l'assiette en deux trois coups de langues / Et on va bien s'le prendre ce putain de boomerang... / Y aura un milliard d'empreintes digitales dessus / -dont les tiennes, je sais t'es déçu / [...] Regarde tes mains mon frère / Sisi je t'assure qu'il y a du sang dessus / Même si tu sembles sûr du contraire ».

Nous sommes bien d'accord : tout ces trucs colibristes de la politique (qui n'en est même pas une) des « petits gestes », c'est bien pourri et ça ne mène pas très loin. L’unique issue, c'est la fin pure et simple du capitalisme. Mais ceci étant dit une bonne fois pour toutes, en attendant d'avoir trouvé la sortie, ça ne signifie pas non plus qu'il ne va pas falloir sacrifier deux ou trois choses dans nos quotidiens. Du confort, des habitudes, des caprices auxquels nous allons devoir renoncer. Et ça, ce ne sera pas un « délire de bobo » : c'est juste une nécessité évidente, déso Roussel, déso Agnès Pannier-Run(à)ch(i)er boycotter-le-mondial-au-Qatar-ça-sert-à-rien, déso tous les autres, mais oui, le mode de vie des « bobo »-zadisto-précaires que vous aimez conspuer et le seul en mesure de nous assurer un avenir.

Oui, il y a des comportement que l'on va devoir jeter aux poubelles. Les piscine privées ? Adios. Les trajets récurrents en avion ? Bye bye. Manger une entrecôte tous les jours ? Orevwa. Se racheter un smartphone neuf tous les ans ? Do widzenia. Prendre sa voiture pour un oui ou pour non ? Auf Wiedersehen. Et ainsi de suite.

Je l'admets, ces sacrifices seront peut-être plus difficiles pour eux, dominants : parce que nous, les prolos, finalement, on a déjà l'habitude. Nos vies sont constituées d'une infinités de petites galères, pour nous, tous les chemins sont les plus longs, mais au moins, on pollue moins, qui plus est quand on est prolo-gaucho-décroissant. Et pourtant, ils nous insultent, nous toisent, nous méprisent. Nous, les personnages secondaires, les figurants en arrière-plan, les second couteaux du film catastrophe délirant qu'ils sont en train de nous écrire sans talent en nous donnant le rôle du Noir dans les films d'horreur des années 80.

En parlant de ça, allez donc voir Nope (Ben non au Québec, parce que pourquoi pas), tiens, le dernier film du grand Jordan Peele. Ça cause d'un frère et une sœur afro-américains, éleveurs précaires de chevaux pour le cinéma, dont le père est mort mystérieusement et qui se retrouvent en lutte avec une terrifiante menace venue de l'espace ; une entité prédatrice métaphorique qui avale et broie impitoyablement tous les seconds couteaux qui gravitent dans le milieu du divertissement, tout ce prolétariat, souvent racisé, composé de figurantes, de monteurs, d'acteurs et d'actrices de troisième zone, d'ex-stars sur le déclin... et, donc, aussi, d'éleveurs de chevaux. Chevaux qui symbolisent eux aussi ce prolétariat de l'industrie du divertissement -et du monde capitaliste en général-, exploités par la prédation de la société du spectacle, mais qui demeurent des être pouvant devenir à nouveau des prédateurs en mesure de se défendre, de ruer, et de blesser ceux qui veulent les dompter. Attention, nous aussi, nous pouvons ruer, nous dit le réalisateur. Et affronter du regard la bête qui nous traque et nous broie.

Oui, des pauvres, des personnages secondaires peuvent se rebeller, et ruer. Et décider, par exemple, que le mode de vie consumériste idiot qu'on nous impose ne nous satisfait pas, aspirer à autre chose, à faire la part entre pauvreté subie et sobriété volontaire. Ça n'en fait pas pour autant des « bourgeois », loin s'en faut. Car les bourgeois, ce ne sont pas ces masses d'êtres divers tentant d'inventer d'autres façons d'exister, malgré le goudron et les ruine ; les bourgeois, ce sont les parasites véritables de ce monde, ces feignasses qui refusent obstinément de changer, se shootant au déni ultra-dosé en intraveineuse à longueur de journée dans leurs bureaux climatisés.

La fin de Nope, attention divulgâchage, nous montre la victoire des deux principaux protagonistes sur l'entité : de personnages de seconde zone, ils deviennent héros. A nous de faire de même, mais cette fois-ci, dans le vrai monde réel de la réalité véritable. Et puisse tout le monde, pauvres comme moins pauvres, finir par vivre comme nous. Sobrement, mais gaiement.

Salutations libertaires,

Mačko Dràgàn

PS : l'expérience « dans le vrai monde réel de la réalité véritable » est de Karim Debbache, bien entendu.

Journaliste punko-pauvre mais si vous vous abonnez au journal de mes potes et ma pomme peut-être pourra-t-on un jour vivre de ça ? C'est à peine 30 euros pour tenter l'expérience mensuelle pendant un an : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais

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Capture d'écran de Nope, de Jordan Peele.

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