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Billet de blog 14 septembre 2025

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À toi qui m’a gazé ce 10 septembre, with love

Nos regards se sont croisés, ce 10 septembre. Avec tes collègues, tu chargeais et gazais le cortège pacifique où je me trouvais. Réfugié dans un hall d’immeuble, je t’ai vue. Puisse ces mots tendre d’anar’ aller jusqu’à ton cœur, et vaincre ce pouvoir qui t’emploie. Comme au Népal. « Nous irons sur la route avec les anarchistes. Et nous vaincrons d'amour la vie qu'on désaima » (Apollinaire).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Notre coup de foudre a été soudain, comme un tir de grenade. Comme un flashbang une nuit d’émeute. Nous étions dans la rue. Parce que Bayrou, parce que Lecornu, ce sosie de monsieur Preskovitz dans le Père noël est une ordure (et sa nomination, c’est kloug) « exaspéré par le communautarisme gay », pour qui « une famille se construit entre un homme et une femme », qui en 2017 était en binôme aux élections départementales avec une représentante du parti d'extrême droite Sens commun et était présenté comme le « Monsieur Chasse » du premier quinquennat Macron, pratiquant lui aussi cette noble activité consistant à se fringuer en djihadiste pour aller décimer des espèces protégées en même temps que des cyclistes, des randonneurs et le chien de leur pote Roger.

Et donc, nous, nous étions là, nassés à Gare du Nord. Et c’est alors que, sans raisons particulières, tes collègues et toi ont chargé. Avec rapidité et brutalité, qui étaient sans doute les deux mots d’ordre du jour de votre (ex?) patron Retailleau, vivement sa retraite et son exil en Argentine.

Avec d’autres, nous nous sommes mis à l’abri derrière une pote cochère grillagée et vitrée. Et c’est là que nous nous sommes vus. Ce fut, là, soudain, le début de cette brève mais intense idylle.

Illustration 1
photo de moi-même

Dans ton regard cependant, j’ai vu la haine. Une haine armée, matraquée, pas même insidieuse, juste toxique et franche comme un jet de poivre.

Tu avais l’air d’avoir mon âge, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins. Peut-être les même origines sociales. Je n’ai pas connu mon père, mais je me suis imaginé le rencontrer le tien le dimanche, pour le café. Des enfants, tu as des enfants ? Des avec des rires, des qui jouent, des qui pleurent, des qui se rebellent, dès qui grimpent aux arbres, des qui te demandent Maman, tu as fait quoi aujourd’hui, et à qui tu répondrais ce soir-là Je ne sais pas trop, mon enfant, j’ai voulu frapper un homme, il avait mon âge et nos regards se sont croisés, dans ses yeux verts j’y ai vu toi, j’y vu moi, j’y ai vu un nous, comme c’est étrange.

Oui, étrange. C’est étrange, c’est dérangeant, cette violence que, moi, j’ai pu lire dans ton regard. Je lui aurais demandé, à ton gosse -qui, si notre histoire était allé plus loin, serait devenu un peu le mien-, je lui aurais demandé s’il comprenait cette violence de sa maman contre des gens qui, eux, se battent, mais avec les armes d’une tendre radicalité, pour que, lui, il puisse grandir dans un monde moins laid, moins bête. Voire un monde tout bonnement, tant la question même de notre présence ici bas-bas dans le siècle à venir commence à se poser, avec l’effondrement des mégacourants océaniques.

Violence. Nos regards qui se croisent. Tu me pointes du doigt. Je ne sais pas ce que ça veut dire, peut-être que toi non plus. « Toi, toi, je vais t’aimer si fort, tu vas en pleurer, salopard ». Et, oui, j’ai pleuré. L’amour lacrymogène. Larme poivrées et salées coulant sur mes joues.

Revenons à toi. Qu’est-ce qui t’a poussé à devenir policière ? Ma mère, à moi, était institutrice, je sais donc ce que c’est que les vocations de service public. Mais elle n’a jamais frappé qui que ce soit. Jamais gazé, matraqué, poursuivi, bousculé, insulté, scruté un inconnu pacifique avec une haine flambante dans ses pupilles. Non, elle, elle apprenait des trucs à des gosses.

Toi, qu’est-ce qu’on t’a appris, dans ton école de flic ? Et, je te le demande à nouveau, qu’est- ce qui t’a poussé à vouloir y aller ?

J’ai lu quelque part que l’État galérait à vous recruter. En cause, comme le formule un syndicat de flics, « les violences en manifestation, la défiance d'une partie de la population, des conditions de travail jugées dégradées, etc. Auprès de la commission des lois du Sénat, la direction de la police (DGPN) souligne une « relative désaffection des candidats » ». Quelle tristesse, n’est-ce pas.

Et en conséquence, désormais, « Le concours est de moins en moins sélectif ». En 2019, l’épreuve de gestion du stress a été supprimée, « jugée trop chronophage ». «Elle était pourtant très pertinente », regrette un psychologue de la police, cité par ce même syndicat. Et pour qui «la vraie raison, c’est que cela éliminait beaucoup de personnes qui ne présentaient pas les garanties psychiques pour faire face à ce métier », voilà qui est rassurant. Et explique ton regard.

Ainsi, parmi vous, on est admis avec un 7/20. C’est d’ailleurs comme ça que l’on s’est mis à vous appeler en manif’, et je reconnais sincèrement que ça n’est pas très sympa, car les notes, ça ne veut rien dire : regarde moi, j’en avais de très bonne, et je suis devenu rien, un prolo anonyme, de la chair à nasses mobiles. Et peut-être que toi, tu adores Alejandra Pizarnik -« Demain je m’habillerai de cendres à l’aube / Me remplirai la bouche de fleurs / Dans la simple mémoire d’un mur / j’apprendrai à dormir / dans la respiration / d’un animal qui rêve »- ou les poèmes de Guillaume Apollinaire : « Nous renierons les temps et d’antan les idées / Au bord des fleuves vierges nous irons pêcher ».

Je me suis perdu. « Dans la source de tes yeux / vivent les nasses des pêcheurs de la mer délirante. / Dans la source de tes yeux / la mer tient sa parole » (Paul Celan). Excuse-moi pour tous ces poèmes, mais la poésie c’est le dernier fond de ce qu’il reste quand il n’y a vraiment plus rien. Et là, nous, les pauvres qui se sont fait taper dessus par toi et tes collègues ce jour-là, nous n’avons vraiment plus rien. Plus d’argent, un climat flingué, plus d’avenir. Plus de gouvernement non plus, mais ça, on s’en passe très bien, et on espère que ça durera -Manu, si tu me lis, prend note : pas la peine de sortir d’autres sous-doués de ta manche.

La gardienne de l’immeuble, que son nom soit sanctifié, est parvenue à vous empêcher de rentrer nous massacrer dans la cour où nous nous étions réfugiés. Comme dans un film, nous avons alors sauté un mur de trois mètres pour nous échapper, certain en s’aidant en guise de corde d’un long tuyau d’arrosage gracieusement prêté par les voisins.

Et le reste du jour de ce 10 septembre, toi et les tiens ont continué à nasser, à gazer, à frapper des gens qui ne leur avaient rien demandé à part un peu de justice sociale. Et de poésie : « Et nus comme des dieux, débarrassés des lois, / Nous irons sur la route avec les anarchistes / Et nous vaincrons d’amour la vie qu’on désaima. », comme le dit Apollinaire à la fin de son sonnet.

C’est tout ce que l’on peut souhaiter pour les enfants de ce monde.

Il y a quelques jours, au Népal, la jeunesse s’est embrasée. Des résidences de dignitaires ont été prises d’assaut, et le Parlement a été incendié. Le maire de Katmandou, Balendra Shah, dit Balen, 35 ans -mon âge, ton âge, donc, vieux que nous sommes- a affirmé qu’il était « important de les comprendre ». « Ils ont tout mon soutien », a-t-il écrit, concluant ses propos par cette question : « Chère Gen Z, dis-moi : quel genre de pays veux-tu voir ? »

Peut-être un pays sans pouvoir, sans chefs, sans patrons, sans gouvernement. Que de la tendresse -et de la poésie.

Alors, lâche ta matraque, pose ton casque, enlève tes gants coqués, et viens, toi aussi, sur les sentiers de l’anarchie.

Tu vas voir, on sera bien.

Amitiés,

Mačko Dràgàn

Rédac en non-chef prolo-punk à chat chez Mouais : https://mouais.org/abonnements2025/

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