Alors, d’entrée de jeu, j’aimerai poser cette question, peut-être provocante : l’israélisation du monde est-elle encore évitable ?
Je précise de suite, puisque l’extrême droite, la droite extrême et la gauche de droite n’ont désormais, face à l’évidence du génocide en Palestine, que ça à la bouche, qu’Israël est aussi proches des idéaux du judaïsme que Giscard des soirées pogo-8°6 dans les squats rennais ; et que la sagesse propre à cette religion, que je connais un peu, penche plutôt vers l’amour de tout ce qui vit, et où bat la présence divine, que de l’exécution sommaire de femmes et d’enfants. Comme l’a dit un bien meilleur Israël, Baal Shem Tov, « il est une guérison douce comme le miel, éveillant la compassion pour le monde et pour chaque personne : elle découle de la prise de conscience que D·ieu est dans chaque chose particulière ».
J’aurai pu aussi dire la « poutinisation », mais, fort heureusement, même si l’on aimerait que tous les régimes oppressifs bénéficient de ce traitement, la Russie fasciste n’est pas tenue pour un modèle dans nos contrées, sauf par Marine le Pen un jour sur deux quand elle arrive à se décider si elle préfère l’argent Russe ou les néonazis ukrainiens, même si bon, comme elle le dit, « la menace principale aujourd’hui, c’est le terrorisme islamiste ».
J’aurai pu dire « macronisation », du nom de l’abruti imbu de lui-même qui ne rêve que de nous envoyer dans des tranchées contre le zinzin ci-dessus, tandis que l’incompétent péteux de Pau qu’il a posé dans sa boite à con premier-ministérielle n’en finit plus de redéfinir les concepts d’abjection et d’indignité, mais il ne sera bientôt plus là, pour laisser la place enfin à ce qu’il a tout fait pour mettre à sa suite : un parti fondé par des SS.
J’aurai pu « călinisation » -au moins, ça aurait été mignon-, du nom de Călin Georgescu, politicien complètement maboul qui defraye la chronique dans le pays d’origine de ma famille parternelle, la Roumanie, en disant que « la science, c’est Jésus Christ et rien d’autre », affirmant que le changement climatique est une « arnaque » pour « faire peur aux gens », a défendu Corneliu Zelea Codreanu, dirigeant du mouvement fasciste de la Garde de fer dans l’entre-deux guerres, ou encore le maréchal fasciste Ion Antonescu, mais sa candidature pour la présidentielle a fort heureusement été rejetée, le boug étant inculpé pour fausses déclarations » de financement de campagne et « incitation aux troubles à l’ordre constitutionnel ».
J’aurai pu dire « Trumpisation », du nom de celui qu’on ne présente plus, qui a déclaré « Nous allons forger la civilisation la plus dominante qui ait jamais existé », en réponse de quoi le premier ministre polonais Donald Tusk a prévenu que « là partir d’aujourd'hui, l’Europe s’armera plus judicieusement et plus vite que la Russie », et tout ceci est très rassurant, tellement hâte que lui et son pote Elon finissent en soins intensifs après une ingestion massive de kétamine, mais en France, à part les « patriotes » mous du bulbe, personne n’est assez con pour vouloir s’inspirer de ce naufrage politique navrant.
Non. Si je parle « d’israélisation », c’est bien parce que ce pays, quoiqu’il représente sans aucun doute l’une des plus sinistres et brutales applications contemporaines du fascisme, continue assez largement par chez nous, disons du Parti Socialiste / EELV à l’extrême-droite qui l’adule, a être tenu pour un régime enviable -voire un modèle à suivre. « Vous êtes le meilleur ami qu'Israël ait jamais eu à la Maison-Blanche », a par ailleurs dit Netanyahou de Trump.
Lors d’une visite à Jerusalemn à l’occasion du Ramadan de l’an dernier, mon ami et collègue Pluto a décrit cette « dystopie ». « Alors que des centaines de milliers de Palestiniens musulmans voulaient prier à la Mosquée al-Aqsa pendant le Mois Saint […] au total, 98% des Palestiniens de Cisjordanie ont été empêchés d’entrer. Imaginez cela en France : quasiment tous les provinciaux interdits d’entrée sur Paname » (1).
En quoi consiste cette « démocratie » si parfaite, avec son « armée la plus morale du monde » ? Un régime à deux vitesses, avec des citoyens dotés de tous leurs droits civiques, et d’autres, non. « On peut affirmer qu’Israël est un régime colonial avec des pratiques d’apartheid », affirme ainsi dans ce reportage pour Mouais Suhad Bishara, directrice légale de l’organisation palestinienne des droits de l’homme Adalah. « Alors que les citoyens israéliens sont régis par les mêmes lois, on observe des pratiques très différentes selon la religion, la race, l’origine nationale et la classe sociale. Par exemple, il y a de grandes inégalités de logement entre Juifs israéliens ashkénazes, séfarades et éthiopiens… puis avec les Palestiniens d’Israël, qui sont des citoyens de seconde zone », explique-t-elle. Les Palestiniens de Jérusalem-Est ont encore un statut différent, lui-même meilleur que celui des Palestiniens de Cisjordanie.
Et là-dessus, la Macronie autant que le RN semblent tout à fait d’accord pour importer cette dystopie fasciste en hexagone, où elle s’acclimatera fort bien. Discrimination systémique, étatique et assumée des personnes de confession musulmane voire tout simplement Arabe, comme l’a prouvé encore récemment cette séquence lunaire de renvoi d’une chaîne publique d’un humoriste trop racisé et trop barbu. Conditionnement des droits au RSA. Privation de logements sociaux pour les familles pauvres se retrouvant mêlées au trafic de drogue. Et même jusqu’à proposition de déchéance de nationalité de Rima Hassan… Si on continue dans cette lancée, moi, punk-à-chat roumano d’obédience anarchiste et tendance borderline, j’aurai bientôt autant de droits sociaux que Depardieu de Badoit dans son frigo - soit, pas.
Pour le dire avec le terme scientifique adequat : on est donc bien dans la merde. Moi qui aspire à avoir des enfants, je me demande s’il ne serait pas plus prudent d’aller les faire naître et les élever directement dans le maquis.
Alors, quoi qu’on fait ? Déclassifié en 2008 un texte, le Simple sabotage field manual (« Manuel de terrain sur le sabotage facile »), document de 1944 rédigé par l’Office of Strategic Services (OSS), ancêtre de la CIA, est récemment, dans l’Amérique de Trump & Elon, devenu viral, et un des plus téléchargés sur le site du projet Gutenberg, une bibliothèque en open source. Qu’y trouve-t-on ? Ayant pour but assumé de « former des citoyens ordinaires à l’art du sabotage facile » pendant la Seconde Guerre mondiale, cette belle période où il était bien vu de latter les nazis plutôt que de leur servir la soupe, il visait à permettre à tout un chacun « à devenir délibérément des opérateurs téléphoniques ennuyeux, des conducteurs de train dysfonctionnels, des managers déroutants, des ouvriers maladroits, des clients de cinéma indisciplinés, etc. » (2)
Les méthodes ? « Agir de manière stupide », « pleurer et sangloter hystériquement à chaque occasion, surtout quand on est confronté à des employés du gouvernement », ou « signaler les espions ou des dangers imaginaires à la Gestapo ou à la police ». Ainsi, assure le Manuel, « la pratique généralisée du simple sabotage harcèlera et démoralisera les administrateurs et la police ennemis. Se produisant à grande échelle, un simple sabotage constituera un frein constant et tangible à l’effort de guerre de l’ennemi ».
On ne sait pas si c’est grâce à ce Manuel, sans doute pas, mais les nazis ont perdu la Seconde Guerre Mondiale. Tout comme, finalement, toutes les formes d’oppression, qui ont toutes fatalement fini par sombrer face à la tendance naturelle de beaucoup d’entre nous vers la lutte pour l’émancipation. Poutinisation, macronisation, călinisation, trumpisation et israélisation ne sont pas, je veux le croire, notre unique horizon.
Face au fascisme, soyons « ennuyeux », « dysfonctionnels », « déroutants », « maladroits », « indisciplinés ». Pour que jamais aucun d’entre nous ne devienne un citoyen de seconde ou troisième zone -voire pire, un « ennemi de l’intérieur », selon cette expression de triste mémoire que l’on voit ressurgir pour désigner la gauche et les musulmans.
Salutations libertaires,
N'en doutons pas, l'anarchie vaincra (mais ce sera pas facile),
Mačko Dràgàn
rédac’ chef punk-à-chat de Mouais, abonnez-vous : https://mouais.org/abonnements2025/

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