Alors certes, il y a quelques temps de cela, l’inénarrable Philippe Corcuff nous a à nouveau régalé de ses analyse toujours finement ciselées (non) dans un billet tâchant de nous prouver ni plus ni moins que cette hypothèse audacieuse voulant que deux points ouvrez les guillemets « la surenchère verbale quant à Emmanuel Macron et sa politique par des politiciens et des intellectuels de gauche soutenant le beau mouvement social contre une réforme injuste des retraites pourrait davantage servir, de manière non intentionnelle, le Rassemblement national que booster la gauche » et on ferme les guillemets.
Ne me demandez pas comment diable, ce n’est d’ailleurs pas expliqué non plus dans son article malgré ses 22 655 signes et ses 27 notes renvoyant majoritairement à lui même. Mais pour lui la chose est claire : dire comme les copaines de Frustration Magazine que « la France est bien une dictature » (un article qu’il semble n’avoir pas lu puisqu’il y est écrit que « nous ne sommes ni dans l’URSS de Staline, ni dans l’Allemagne nazie ou dans d’autres régimes totalitaires, avec parti unique, contrôle total de l’information, culte du chef et surtout des millions de morts. On le sait, ce n’est pas le propos » ; Rob Grams parle en fait d’un -indubitable- “déjà-la fasciste”), c’est… nourrir l’extrême-droite, ni plus ni moins.
Même chose pour celles et ceux qui disent que la Macronie est une « démocratie illibérale » à la hongroise ; et, surtout, celles et ceux qui, tel l’ignoble Frédéric Lordon, osent qualifier notre président pas-dictateur-du-tout de « forcené » au « regard halluciné » (en ce qui me concerne ça me fait tout de suite penser à « du pain, du fromage, des choses simples » et à « enfourcher le tigre », des séquences qui m’ont rappelé ces belles années où j’allais en teuf), n’hésitant pas « à aller au bout de sa folie », ajoutant, même, pour sa plus grande honte, qu’un « forcené ça se déloge ». Sainte mère de Dieu. Une rhétorique reprise par l’odieuse Mathilde Panot, qui a évoqué le « forcené de l’Élysée » lors du vote de la motion de censure.
Ils ne faut donc pas dire que Manu-la-Poigne, ses ministres, de Schiappa-ça-veut-dire-nul-en-italien (1) à porno-Bruno le Dilaté en passant par Darmanin qui trouve la fasciste Meloni trop timorée avec les migrant·e·s, et leur clique de supporters en attente de prise en soin par la Miviludes sont complètement cinglés, ça n’est pas très gentil et, selon la formule consacrée, ça-fait-le-jeu-du-RN et sans doute aussi du réchauffement climatique.
Cependant, quel terme autre que « forcené », et quelle hypothèse autre qu’un léger grain pour désigner cet homme qui s’obstine dans une réforme imposée de façon ultra-violente et dont personne ne veut ? Qui a dit hier que « le vrai mépris, c'est de mentir aux gens » alors même précisément qu’il vient de passer trois mois à nous prendre pour des truffes sur les réalités de son projet retraites -à propos des femmes, des 1200 €… Et qui a récemment, à l’occasion d’une cérémonie du 8 mai sidérante, défilé tout seul sur un grand boulevard désert, faisant se demander à Bonjour tristesse sur Twitter : « Si y a un président qui serre psychiatriquement, y a une procédure de prévue par notre démocratie républicaine ? Nan parce que là le frérot il se fait des petites ride solo sur les Champs ça sent le joint de culasse quand même ».
Et comment désigner ceux qui soutiennent encore le bunkérisé du 55 rue du Faubourg-Saint-Honoré ? La propagande dont ils inondent les réseaux devient tellement inepte, à ce point en butte avec la toujours brutale réalité des faits, que le compte « Ensemble avec Macron » a récemment partagé, accompagné de la mention « la remontada de Emmanuel Macron », le visuel d’un sondage où il apparaissait pourtant dès les premières lignes que de 60 à 77% des sondés le jugeaient « autoritaire », « arrogant », « méprisant » et « inquiétant ».
Navré, mais ces gens sont fous. Thierry de Cabarrus, « journaliste » entré dans le macronisme comme on part en Terre Sainte, m’a bloqué, et je ne peux donc plus accéder aux pépites de réalité alternative qu’il débite chaque jour ; mais il n’est malheureusement pas seul, et voici un pot-pourri de parole d’illuminés par la grâce. Un certain Frédéric Lodéon, en réponse à Mathilde Panot, encore elle, qui critiquait l’intervention du monarque sur TF1 : « Ah bon! Moi je l’ai écouté. Il a été clair,pédagogue, précis sur tous les dossiers. Je comprends votre amertume car vous n’arriverez jamais à son niveau. Heureusement que c’est Emmanuel Macron qui dirige la France ». Olivier Babeau : « La dynamique entrepreneuriale contribue à façonner notre culture, à élargir notre vision du monde et à améliorer notre qualité de vie ». Rafik Smati : « Tous les entrepreneurs étrangers avec qui je discute sont d'accord sur un point : la France se réveille et un petit miracle économique est en train de se produire. Et pourtant, chez nous, beaucoup sont convaincus que tout va mal. Curieux paradoxe. #ChooseFrance ».
Vous avez bien entendu, chères et chers camarades prolo actuellement occupées à crever la gueule ouverte, nous vivons dans un véritable « petit miracle économique », ça fait chaud au cœur autant que la sécheresse cataclysmique qui s’annonce pendant que la seule envie du Prez c’est de faire venir chez nous un max d’industries, même polluantes, et non-asujetties à l’impôt s’il le faut car notre salut est à ce prix.
Et si vous ne voyez pas le miracle, et que donc vous n’êtes pas très-très la joie, ne vous avisez pas de prendre une casserole pour aller le signaler à un ministre, car si vous le faite vous serez fasciste, mais oui. Brice Couturier, « journaliste » : « “Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C'est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l'expulser.” Françoise Giroud ». Vous pensez qu’il parle des 200 néonazis qui ont défilé à Paris le 6 mai avant d’aller chanter Sieg Heil à Saint-Cyr-l'École ? Nenni, voyons ! Il évoquait… le fait que Pap Ndiaye, ministre nul d’on ne sait plus trop quoi, soit resté quelques temps bloqué dans son TGV pour cause de manque de courage d’aller voir la manif’ pacifique à base de multiples dispositifs sonores portatifs qui l’attendait à la gare.
Dans ce contexte, oui, désolé, je pense que toute parole excessive à leur encontre, même la plus désobligeante, est plus que légitime. La vie devient infernale pour la classe populaire, les violences d’extrême-droite se multiplient dans l’indifférence totale du gouvernement car la NUPES et le Black Bloc c’est tout de même plus dangereux, le pouvoir détruit les unes après les autres les libertés civiles, fait réprimer dans le sang les manifestations par des milices policières en roue libre, balance par tonne des grenades sur des écologistes, l'opération Wuambushu à Mayotte évoque les pires heures de la brutalité coloniale, la Cour Européenne des droits de l’homme et l’Onu condamnent régulièrement la France pour ses dérives autoritaires, le président est muré dans son aveuglement idéologique qui le pousse droit dans le mur, et nous avec, sans écouter personne, cet été sera à nouveau celui du chaos climatique, pire encore que l’été précédent et ainsi de suite jusqu’à la fin du monde si on ne fait rien, je flippe pour les enfants que j’aimerais un jour avoir, alors ouais, ouais, ouais, il est grand temps de réaliser que ces personnes sont tarées et qu’il faut mettre un terme à cette séquestration.
Après, il s’agit de voir ce qu’on entend par folie ; car le pouvoir induit souvent il faut bien le dire une démence un peu particulière. Vázquez Montalbán, dans sa biographie de Franco, précise bien que « [s]a conduite ne fut jamais excentrique, bien au contraire ; elle résultait de la plus stricte rationalité et d’un calcul à la fois éthique et stratégique ». De même, sans comparer ce qui n’est pas comparable, pour Macron et sa cour : leur grain n’est pas celui des brisées, des doux-dingues, et des fêlées, dont on dit qu’au moins elles laissent passer la lumière. Et moi-même en instance de RQTH, je serai mal placé pour faire de la psychophobie. Non : leur problème est plutôt de parer leur imaginaire délirant des atours de la raison, et de vouloir l’imposer par la force au plus grand nombre, comme Staline qui chez Jean Cau « entend forger l’espace et le temps à sa mesure, et créer ainsi un Espace et un Temps stalinien » (2).
A nouveau sans comparer ce qui ne peut l’être, dans l’espace-temps macronien, il existe bien des règles, mais ces règles sont un non-sens pour les prolétaires que l’on oblige à vivre dans ce monde ; pour les millions de personnes enfermées dans la tête, et le froid -et d’une pauvreté et d’une laideur désolante- imaginaire brutal de ces monstres.
Il va donc falloir s’enfuir. Comment ? Je ne sais pas trop. Mais sans nul doute avec l’aide d’une bonne dose de vilains mots et d’anarchie -et sans celle de Philippe Corcuff.
Pour terminer, je ne résiste pas à l’idée de vous livrer la fin (attention spoiler) d’un petit livre que je viens de retrouver en cherchant un papier de la CAF, Lettre ouverte au banquier séquestré dans ma cave depuis plusieurs semaines, dont le titre parle de lui-même :
« Vous vous demandez certainement comment va finir cette histoire […] Cela dépendra. De comment je supporterai augmentation du prix du riz et des pâtes ; de comment j’accueillerai l’annonce d’une privatisation partielle de l’éducation nationale ; de comment mes nerfs seront mis à l’épreuve par un nouveau déremboursement de certains médicaments, […] une hausse du prix du ticket de bus, du prix de l’eau, du prix du gaz, de l’électricité, une baisse des minimas sociaux [...] Je vais vous garder au frais dans ma cave, et -chaque jour- je vous descendrais le journal. Je veux que vous le lisiez avec mes yeux : je veux que les articles qui faisaient sourire autrefois vous effraient. Nous partagerons la certitude que tout recul serait une catastrophe, puisque tout ce que je perdrai, je vous le prendrai ».
La chute : « Vous êtes au moins là jusque l’an prochain, lorsque sera publié le nouveau bilan de la progression de la pauvreté et de la bonne fortune des milliardaires. Vous savez déjà que je craquerai. Et cela en sera fini de vous. Bienvenue dans mon monde, camarade ».
Parce qu’il n’y a pas de raison que ça soit toujours les mêmes qu’on séquestre. Et je précise qu’il s’agit d’une fiction. Pour qu’on ne m’accuse pas de faire-le-jeu-du-RN.
Salutations libertaires,
Mačko Dràgàn,
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(1) True Story : schiappa : sostantivo femminile (familiare) : Essere una schiappa (in qc) : être nul (f nulle) (en quelque chose).
(2) Cittation extraite, comme la précédence, de Folie, Chapitre X : La folie du pouvoir : vanité, ostracisme et autodestruction, de Cécile Brochard, disponible en ligne

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