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Billet de blog 16 juin 2023

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Bleu Marine 2027, le jour où tout a merdé

[REDIFFUSION] Automne 2027, France. Ça fait quelques mois que le RN l’a emporté face à une version Wish de Macron à droite, et une endive et un jambon désunis à gauche. Ça n’a pas été une grosse surprise, tout avait été fait pour que ça arrive. Tout semble foutu. Depuis un trou dans l’espace-temps je vous envoie donc ce courrier, en espérant que vous puissiez enrayer l’(in)évitable.

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Automne 2027, France. Après la grosse mandale de l’accession au pouvoir du clan Le Pen, conséquence logique de décennies d’inexorable ascension vers les codes de la mallette nucléaire, le soufflé est retombé et, comme en Italie, on se fait déjà plus moins sereinement à l’idée d’être gouvernés par une clique fasciste. Difficile de savoir si c’est de la sidération mais ce qui prime, un peu partout, c’est un long « bwaf »-haussement d’épaule, comme si tout le monde avait intériorisé depuis longtemps que tout était foutu et que ce merdier devait fatalement se finir dans une dystopie post-nazie sur fond d’apocalypse climatique.

Quelle sale gueule elle tire, la France de maintenant ? Bon, pour tout vous dire, elle n’avait déjà pas sa plus belle tronche avant et, comme on pouvait s’en douter, la fille-de-l’autre n’a pas fait le quart de ce qu’elle a dit qu’elle ferait, et n’a sans doute ni les moyens, ni l’envie de le faire, tant les choses telles qu’elles sont et qu’elle les a récupérées clef en main -une démocratie bousillée par un capitalisme autoritaire violent aux fondements racistes et colonialistes- lui vont semble-il parfaitement, et elle s’en accommode sans soucis.

Il y des années, faisant le bilan des 100 premiers jours au pouvoir de la néo-fasciste Meloni, Joseph Confavreux interrogeait le chercheur Steven Forti, auteur de l’Extrême droite 2.0, de la normalisation à la lutte pour l’hégémonie, qui affirmait : « On ne peut pas dire que rien n’ait changé. Les politiques économiques, budgétaires ou diplomatiques sont certes similaires à ce que faisait le gouvernement précédent. Meloni a compris tout de suite [qu’il] y avait deux lignes rouges : montrer à Washington que l’Italie est un partenaire fiable [] et ne pas heurter de front Bruxelles. Mais, sur les questions identitaires, les migrants, les droits sociaux et civiques, il y a déjà un vrai changement qui n’est pas que rhétorique ». Et Confavreux de lister ces mesures : « Ont été successivement annoncés ou promulgués la fin du revenu de citoyenneté, une sorte de RSA [...] ; l’obligation faite aux ONG de bateaux qui secourent les migrant·es en mer de débarquer dans les ports lointains [...] ; la mise en place d’un « état d’urgence migratoire » aux contours incertains ; la loi votée en urgence contre les raves », ainsi qu’un projet de remise en cause de la législation définissant la torture comme un crime, car on la suspecte d’être pratiquée dans les prisons italiennes, comme c’est rassurant.

Vous allez sans doute vous exclamer : « Mais dites-voir c’est du Macron, tout ça ». Et vous n’auriez vraiment pas tout à fait tort. Non, vraiment pas. Parce que, oui : la France dans laquelle nous vivons, celle des fascistes officiels dûment estampillés, celle du parti créé par des Waffen SS et des collabos, des colleurs d’affiche tueurs, des ratonneurs et des putschistes de l’OAS, eh bien cette France-là ressemble quand même pas mal à une copie Carbone de celle de Manu -dont le parti, qui a subsisté à l’Assemblée, vote d’ailleurs toutes les lois, mêmes les plus xénophobes et les plus répressives, des gros cons incompétents fascistes au pouvoir. Entre gros cons incompétents bien à droite, on se comprend bien, m’voyez.

A tous les niveaux la Lepénie, c’est la Macronie en un peu pire. Vous vous rappelez du fonds Marianne ? Le gouvernement qui, suite à l’assassinat de Samuel Paty, confie 2,5 millions d’euros à… Marlène Schiappa, déjà ça partait mal, qui refile donc sans aucun contrôle la moula à tous ses potes, dont le stand-uper raciste Mohamed Sifaoui ? Marine Le Pen fait pareil : depuis ses quelques mois au pouvoir, elle a déjà arrosé la quasi-totalité des assos facho-fantoches du pays, pendant que toutes les autres moins orientées travail-famille-pinard-cochon ont dû plier boutique ou basculer dans la marge et le système D.

Les manifs, pareils. En Macronie, c’était ultraviolent, en Lepénie, c’est pire. D’autant que les flics sont enfin à 100 % d’accord avec le pouvoir en place -quoique certains la jugent trop molle et conspirent un coup d’État en faveur de Zemmour et Marion Maréchal.

Pour les droits des personnes en situation d’exil… Je ne vais pas vous surprendre en vous apprenant que Darmanin est toujours ministre de l’intérieur, le Rassemblement National ayant tenu à le garder, car un collaborateur d’une telle qualité ça ne se trouve pas ni sous les sabots d’un cheval ni sous les chenilles d’un panzer.

Bon, je ne vais pas tout lister. Notre principal problème, actuellement, c’est les groupuscules néonazis qui, évidemment, ont le vent en poupe, ils auraient tort de se gêner. Partout, dans les villes, les villages, même les plus reculés, des milices se sont crées, et ça tabasse sévère, des personnes LGBTQI+ (ce sigle est interdit, de même que l’écriture inclusive, je risque beaucoup en l’employant) et/ou racisées aux activistes de gauche et journalistes indépendant·e·s (point médian, je suis un fou), bref tout ce qui n’a pas la tête du bien-de-chez-nous et les idées de Pascal Praud -notre ministre de la culture, oui ça nous a fait un choc, mais moins que Morandini ministre de l’information. Moi-même avec ma tête de roumano-punk, je ne peux plus circuler seul dans les rues trop tard le soir.

Quant au climat, Macron avait déjà acté qu’il s’en battait la testicule-cravate avec des stock-options, et Le Pen poursuit bien sûr dans la lancée ; le fioul, le charbon et le gaz Russe coulent tellement à flot qu’on en a tous déjà sans doute perdu de l’espérance de vie. Le gouvernement assume sans problème que chaque français moyen ait droit à l’empreinte carbone d’un fan de tunning en régime protéiné, cet été les mégafeux se sont succédé, les alertes à la sécheresse se multiplient, Mad Max is coming (le film, pas le héros), mais la réponse est d’enfermer les militants écolos et de foutre encore plus de goudron et de béton partout, donc je ne vous cache pas que ça commence à méchamment sentir le roussi.

Qu’est-ce qui a merdé, nom de nom ? Comment on a pu en arriver là ? Il y a des années, je m’en rappelle, pendant les luttes pour nos retraites, quand nous étions unis pour une société plus solidaire, on se disait pourtant, même si on avait perdu, que la volonté de vivre autrement, de façon égalitaire et horizontale, était là, massive, inarrêtable…

Passons rapidement sur l’évidence : Macron et les siens ont tout fait pour qu’aucun autre scénario ne soit envisageable, en refusant à la gauche le titre d’opposition légitime -et en l’éjectant même hors du cadre républicain-, en faisant de l’extrême-droite leur partenaires habituels de « débat », pour ne pas dire leur sparring-partner, en menant une politique régressive qui instrumentalise les affects les plus abjects et violents, en enchaînant volontairement les prises de position toujours venues du fin fond du trou du cul de la droite. Manu leur a fait les courses, acheté un canapé bien confort, mis une enceinte avec leur playlist préférée (des chants traditionnels pyrénéens de l’association Canto), rempli le frigo de bière fraîche, allumé le feu de cheminée, et après il s’étonne qu’ils soient venus se caler au chaud pour prendre l’apéro à la tête de l’État.

Mais tout ceci ne doit pas nous exonérer de reconnaître nos fautes. Car en vérité je vous le dis : nous avons été une gauche de merde, et/ou nous n’avons pas su faire en sorte que les figures publiques de la gauche ne fassent pas de la merde. Navré pour le ton un peu cru, mais je vis sous le règne RN, j’ai donc des raisons d’avoir les boules.

Il y a des faiblesses, face à nos ennemis fascistes, qui nous sont innées. Contrairement à eux, nous ne faisons pas de récupération des drames horribles qui parfois ponctuellement nos endeuillent, on ne se jette pas comme les Détraqueurs d’Azkaban pour aller bouffer ces âmes qui ne nous appartiennent pas et les digérer sans aucune forme de honte. On ne ment pas en inventant des polémiques à la con destinée à créer des paniques morales sur des trucs imaginaires, comme les mots « misix » -pour monsieur/madame- ou « mapa » -pour maman/papa- que jamais personne n’a employé mais dont ils font croire que le grand complot des woko-indigénistes transgenres les impose à leurs enfants. On ne triture pas les chiffres pour leur faire dire n’importe quoi. On ne noie pas les réseaux sociaux de déluges de fausses informations. On ne se comporte pas, tout simplement, comme si la dignité n’avait pas été inventée.

Mais il y a aussi des choses que nous aurions pu éviter. Des stratégies de lutte que nous avons complètement foirées, des combats que nous n’avons pas suffisamment menés. Des points où nous avons été mauvais, Jack, y a pas d’autre mot.

Nous aurions pu, notamment, plus, mieux occuper le terrain médiatique. Alors d’accord, les médias dominants ne veulent pas de nous, si ce n’est pour nous inviter tout seul à se faire bully sur un plateau garni par 5 ennemis de classe en mode rendez-vous à 4 heures du matin dans une ruelle sombre et, comme le dit souvent le camarade Lordon, répondre à la moindre petit ineptie idéologique qui sort de la bouche de ces imbéciles nous prendrait déjà des heures, tant il y a à déconstruire. Mais il était possible, je ne sais pas ? De développer nos propres médias ? De favoriser ce contre-pouvoir marginalisé de l’écosystème des médias libres que, à part ses membres les plus visibles, on laisse crever dans son coin ? Il y avait tellement de réponse à Cnews et à son monde, que nous n’avons pas su mettre en place…

Nous aurions pu nous autogérer à la base, bien plus que nous ne l’avons fait. Ne pas attendre que la solution au capitalo-fascisme nous vienne d’en haut, apportée sur un plateau par des « leaders » bienveillants et charismatiques dans l’espoir qu’on n’apprenne pas trop vite qu’ils tapent dans les caisses ou sur leur femme. Nous avons laissé cette chefferie -loin d’être antipathique et dénuée de talent, ça n’est pas la question- déterminer à notre place des stratégies qui n’étaient pas les bonnes, et nous en avons payé le prix et pour les retraites, et pour ce qui a suivi, et pour les présidentielles -avec comme résultat : un mur de parpaings dans la bouche. Et un sale goût brun-sang dans les gencives.

C’est donc pour ça que je vous écris. En 2023, avant un été s’annonçant caniculaire, tandis que le philosophe le plus con de France s’avérait quand même moins con qu’une IA, que les migrants mourraient en masse dans les eaux de la Méditerranée, que Macron, après avoir atomisé la démocratie façon puzzle pour faire passer sa contre-réforme des retraite, annonçait qu’il fallait temporiser sur l’écologie parce que le plus urgent c’était la dette, il y avait néanmoins encore moyen de réagir. De relever la tête, de serrer les poings, de brandir les drapeaux, et de faire sortir les barricades du sol pour que ni la Macronie, ni la Lepénie ne l’emportent.

A cette période là, en juin, je me souviens bien*, j’étais parti, avec les copaines d’Emmaüs-Roya, pour deux jours de marche dans les montagnes du Mercantour, au milieu des arbres, des fleurs, des fougères, des marmottes, des bouquetins, des aigles et des chamois. Une belle bande rieuse et gourmande de personnes toutes différentes, sans-papiers, RSAistes, trisomiques, paysans, travailleuses sociales, comme dans la fameuse chanson des Bérus : « Salut à toi l'handicapé, Salut Jeunesse du monde entier, Salut à toi le dromadaire, Salut à toi Tonton Albert, Salut à toi qu'est à la masse, Salut aussi à Fantomas, Salut à toi Roger des près, Salut à toi l'endimanché, Salut à tous les paysans, Salut aussi à Rantanplan ! »

C’était le bon temps… Celui de nos futurs pas encore passés à la broyeuse du « no futur », pas celui des punks, celui des pourris qui feront tout pour empêcher que nos gosses grandissent dans un monde plus beau et plus libre. Quant à la Roya, depuis, c’est devenu un maquis. Là, on se prépare pour une petite action contre la préfecture, mais chut. No pasaràn ? Si, pasaron, finalement. A moins que… ça vous dit, on n’attend pas que ce soit vraiment la merde pour réagir, et pour construire un vrai front populaire de luttes écologiques et sociales ?

Des bises de votre futur qui pue, viva l’anarchie quand même,

Mačko Dràgàn,

Journaliste punk-à-chat à Mouais, mensuel papier libertaire qui existe encore en 2027 sous le règne de Marine le Pen mais je vous cache pas que c’est dur, donc soutenez-nous, abonnez-vous : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais

*Note du quatrième mur : en même temps c’était le week-end dernier.

Illustration 1
Capture d'écran du film Les fils de l'homme, de Alfonso Cuarón

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